Passé prestigieux
Après la brève escarmouche contre des bandits, la petite troupe trouva refuge au sein du bosquet dont leurs assaillants avaient émergé quelques minutes plus tôt. Il fallait brûler les corps des bandits, monter les tentes, mettre en place le campement, faire le repas et soigner les quelques blessés légers de la troupe.
Kenmeï le kenku venait de monter sa couche dans le sous-bois quand il ressentit le besoin de méditer, de se retrouver lui-même. Akane avait décidé de le relayer au soin des blessés ce qui lui laissait une fenêtre d’une heure avant le repas. Il décida de se rendre prêt d’une cascade en amont du fleuve que Ryutaro lui avait indiqué quelques minutes plus tôt. C’était, celons lui, le meilleur endroit où méditer.
Il escalada quelques rocailles avant de s’envoler pour atteindre d’un seul bond le sommet de la cascade. Ses ailes n’étaient plus ce qu’elles étaient, avec son grand âge, il ne pouvait plus voler. Il se contentait de faire de grands bonds. Il se posa nonchalamment sur la corniche de la cascade et fut surpris de voir Shinsaku Kakita posé en tailleur.
- Comment êtes-vous arrivé jusque-là avant moi, lança le kenku quelque peu surpris ?
- Je n’ai pas d’ailes, mais je n’ai pas peur de faire de longues marches. À mon âge, tout le monde a tendance à se proposer pour faire ma tente à ma place, dit le vieillard.
- Vous abusez de leur naïveté, ce n’est pas très honorable, plaisanta le Kenku !
- Pas plus que de traverser le pays sous un faux non.
Le vieillard sortit d’une de ses manches son kiseru et commença à y fourrer ce qui ressemblait à du tabac, mais n’en avait pas l’odeur. Il embrasa l’herbe à l’aide de deux silex puis huma une grande bouffée qui s’écoula lentement de son nez. Il tendit la pire à l’homme oiseau.
- Non merci, j’essaye d’arrêter, dit-il avant de finir par se laisser tenter.
- Dur d’arrêter hein ?
- J’avais promis à dame Doji de ne plus fumer, je culpabilise.
- Elle est douée pour çà héhé, coassa le vieil homme qui ne savait que trop bien combien dame Doji pouvait être moralisatrice. Je peux vous poser une question ?
- Oui naturellement.
- Pourquoi inventer toutes ces histoires d’expertise sur l’Outremonde et ne pas leur dire simplement qui vous êtes ? Vous êtes parmi une des assemblées les plus honorables de samouraï que j’ai rencontré, bien que leur manière soient quelque peu douteuses.
- Je n’aime pas brandir mon nom comme une tetsubo, je préfère le manier comme un sabre et ne le sortir que lorsque c’est vraiment nécessaire.
- Oui, mais du coup le Nezumi, passent son temps à vous remettre en question auprès de l’épouse du seigneur Hayaku.
- Raison de plus de ne pas révéler mon nom, lança le Kenku en avalant une nouvelle bouffée de fumer.
- Et pourquoi donc ?
- Les Nezumi pensent différemment et vouent un véritable culte à la force de leur nom, ils pensent avec une certaine poésie que notre nom nous confère une sorte de pouvoir sur le monde si on l’entretient et qu’on l’honore. Si je dévoilais mon véritable mon nom, ils pourraient se sentir décontenancés et douter de ses capacités. Hors, c’est précisément sur ses capacités dont dépendent notre aventure.
Ils restèrent quelques secondes immobiles à écouter les fracas de l’eau tombant de la cascade en fumant. Puis Shinsaku reprit.
- Et du coup qu’avez-vous fait depuis le jour des tonnerres ?
- J’ai beaucoup voyagé, répondit le kenku, j’ai endossé de multiples noms afin de ne pas être poursuivis. J’ai appris beaucoup, j’ai eu de nouveaux amis et j’ai hélas, enterré beaucoup de mes plus vieux amis.
- Vous parlez des tonnerres ?
- Pas seulement, mais en grande partie, je passe des nuits de cauchemars à revoir Matsu réduite en cendre ou à revivre le sacrifice d’Isawa.
- Ils nous ont tous sauvées, ce jour-là, ils ont ramené la paix dans l’empire.
- Oui, mais ce qui a ramené la paix dans l’empire m’empêchera probablement de ramener la paix en moi-même. Car même si c’était l’unique solution, ce n’était pas une bonne solution.
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