La grande pitié
- Un samouraï se doit d’avoir un entraînement, rude et régulier, ce n’est pas parce que nous sommes en voyage que nous devons nous y soustraire.
Sachina Kakita aimait à répéter cela à Aoto, cela avait le don de l’énerver et donc de rendre son escrime brouillonne.
- Touche, Cria Shinsaku ! Sachina Vainqueur !
- Elle m’a à peine effleuré, protesta le Yojimbo !
- Si ça avait été un duel protocolaire avec de vrais sabres, ton sang aurait coulé, dit Sachina.
- Oui et puis de toute façon tu trop brouillon pour travailler effectivement mon enfant, dit le vieillard. Et si tu me disais plutôt ce qui te trouble vraiment.
- Maître ! Avec tout le respect que j’ai pour Hayaku, je trouve que sa sélection de samouraïs pour cette mission laisse proprement à désirer. Sans parler de Ryutaro qui n’est ni plus ni moins qu’un incapable et un rônin, Yasunobou est un danger public qui semble s’être entiché de la gamine qui nous sert de shugenja. Hisaya est plus une herboriste qu’un samouraï et, pour finir, il y a Ikkou …
- Quel est le problème avec Ikkou, répondit le vieux samouraï ?
- Il est gros ! Bedonnant ! Il ne s’entraîne pas, mange comme deux et bois comme un trou. Je me permets d’ajouter que bien qu’il en ait les attraits, il n’a rien d’un samouraï. Son odeur corporelle est pire que celle du Nezumi et pourtant, je doute que celui-ci sache qu’il faille se laver.
- Tu juges trop hâtivement mon jeune ami. Maître Ikkou n’en a pas l’air, mais il est un redoutable combattant, surtout quand il est sobre.
- Parce que ça lui arrive de l’être, lance Sachina étonné ?
- Il sait s’arrêter de boire quand c’est important.
Shinsaku kakita avale une gorgée de thé avant de reprendre.
- Sais-tu ce qu’est un kaishakunin Aoto ?
- Le kaishakunin est le samouraï de confiance que l’on choisit pour son seppuku, c’est lui qui est censé abrégé votre agonie en vous décapitant, répondit le Yojimbo qui connaissait par cœur la coutume du seppuku.
- En effet ... Être un kaishakunin est à la fois un très grand honneur et une très lourde charge. La tâche n’est pas si simple que cela n’y paraît, décapité une tête, même avec un sabre très aiguisé demande une main ferme et un très bon entraînement.
- Ce n’est pas tout, repris Sachina. Il faut aussi savoir frapper pratiquement d’instinct à la base du cou afin de provoquer un traumatisme suffisamment puissant pour tuer le condamné avant même de lui avoir tranché la tête. C’est ce qu’on appelle le coup du lapin.
- Exactement, repris le vieux sage. C’est une technique ma foi assez récente et, pour l’avoir vu, hélas, un grand nombre de fois. Je peux vous garantir qu’il est rare de voir un bon Kaishakunin, même à la cour des Kakita.
- J’imagine bien, coupa sèchement Aoto. Mais quel est le rapport avec Ikkou ?
- Et bien si je te disais que depuis sa création la famille Yasuki a effectué 50 cérémonies de seppuku et que sur ces 50 cérémonies, 49 ont vu le seigneur Ikkou en être le kaishakunin.
La nouvelle fit l’effet d’une gifle à Aoto. Il ne pouvait pas admettre qu’un être aussi répugnant puisse avoir reçu autant de fois un honneur aussi grand.
- Vois-tu mon cher Aoto, ce que tu prends pour de la paresse n’est en fait qu’une sorte d’instinct de préservation. Je ne l’ai vu qu’une fois et c’était il y a bien des années, mais la technique d'Ikkou m’a profondément marqué. C’est une tranche nette est précise, instinctive. On dirait un coup de pinceau que l’on mettrait sur une toile. Cette technique est si parfaite que lorsque le sabre tranche la tête, aucune goutte de sang ne perle sur le sol, la tête reste perchée sur les épaules du condamné pour que celui-ci ait le temps d’adresser un dernier sourire de soulagement à ceux qui l’entoure.
- Où maître Ikkou a-t-il appris une telle technique, demanda Sachina ?
- Il ne l’a pas apprise. Elle est en lui. C'est pour cela qu'il ne s'entraine pas, il ne veut peut dénatuer son mouvement avec une quelconque formation. Pour cet homme trancher une tête est aussi naturel que respirer et son sabre n’est que l’application physique d’une pensée très profonde. La plupart des gens n’utilisent un katana que pour donner la mort, Ikkou lui tranche pour mettre fin aux souffrances de son adversaire. C’est pour cela que Yasuki elle-même appelle sa technique …
La grande pitié !
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