Célèna et les sept cavaliers

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Dans la grande salle du banquet, les prétendants trépignaient. Les cavaliers étaient au nombre de sept et ce soir un seul partirait à son bras. Chacun cachait, derrière son armure, un sombre secret. Au cours de la soirée, ils ne devraient en aucun cas être percés à jour s’ils désiraient avoir la moindre chance. Dans sa robe de velours rouge, la princesse rayonnait. À son apparition, les voix s’étaient faites murmures, les pensées s’envolèrent à coup sûr dans ses yeux bleu azur. De longues boucles brunes tombaient en cascade sur ses épaules dénudées, sa peau opaline contrastait avec ses cheveux ébènes. Déesse le jour, magicienne au crépuscule. Céléna était respectée, vénérée et parfois crainte. Dans son regard cristallin, il y avait une douceur mêlée d’une délicate sensualité. Devenir l’élu de son cœur était la plus grande mission des cavaliers. Courageux et déterminés, ils avaient combattu plus d’un démon pour être en ces lieux en temps et en heure. Le chemin ne fut pas aisé, leur mission s’avéra des plus ardues. Le solstice d’hiver se terminait à minuit, ils n'auraient seulement que quelques minutes pour conter leur aventure et ainsi séduire la belle. Le printemps s’annonçait, les cerisiers étaient en fleurs, si l’un d’entre eux se montrait convaincant, il deviendrait son prince charmant. La fête était somptueuse, les liqueurs coulaient à flots, sur les nappes brodées de dahlias des gâteaux aux parfums délicats. À chaque bouchée qu’elle portait à ses lèvres ourlées de rose, tous rêvaient à l’idée de pouvoir y goûter. Des frissons parcouraient leur moelle épinière. Ils appréciaient des yeux chacun de ses gestes, leur peau entrait en fusion dès qu’elle saisissait du bout des doigts le moindre mets. Puis, Céléna se leva pour rejoindre son boudoir, elle allait les recevoir les uns après les autres, écouter leur histoire.

Le premier à se présenter arborait des couleurs rouges sang sur son plastron. Son casque orné d’une plume de phénix libéra une chevelure aux teintes rousses. Dans son regard, la princesse perçut la fureur d’un soir d’orage, ses iris bleu gris s’étaient fixés dans les siens. Quand il déposa ses lèvres sur le dos de sa main, une onde électrique irradia sa peau. Le courant était passé, la sensation peu agréable. Loin du coup de foudre et plus proche de l’hydrocution. La tonalité de sa voix l'agessa, les premiers mots qui glissèrent de sa bouche pincée furent dures et glacés. Au moindre mouvement, Céléna ressentait une agression. Dans la voix grave du cavalier Wut des plaines du Courroux, la princesse percevait l’agacement. Ses mouvements amples lui donnaient un sentiment des plus fâcheux. Les doigts de l’homme, au souffle saccadé, se déchainaient dans l’air et amplifièrent son irritation, la tension était palpable. Quand la magicienne découvrit le cadeau qui lui était apporté, son cœur se serra, une larme glissa le long de sa joue. Wut, vexé de son manque de gratitude, se leva en rogne, ses joues prirent des teintes écarlates, il était prêt à exploser. Exaspéré, par dépit il arracha des mains l'œil de jade et, dans un excès de rage, le jeta au sol. Le vent souleva les rideaux, éteignit le feu dans la cheminée, un air glacial s’engouffra dans la pièce. La nature se fit complice de la magicienne, la foudre s'abattit au pied du cavalier Wu telle une furie nocturne. Malgré ses algarades, les griffes du dragon saisirent le mécréant et l’emportèrent dans un monde où il pourrait assouvir sa haine auprès des monstres Atrabiles.

Le second à rejoindre la princesse dans son cabinet privé se montra mesquin dès son entrée sans aucun scrupule il s’assit sur le siège face à elle et ne prit la peine de la saluer. Devant un tel manque de savoir vivre, Céléna voulut le tester sans plus tarder. Sous son heaume de moindre facture et à peine assez grand pour sa tête, se dissimulait de petits yeux soulignés d’un trait noir, l’image d’un rat lui vint aussitôt à l’esprit. Dans une minuscule bourse accrochée à sa taille, elle aperçut un paquet. La magicienne songea que les messagers avaient raison, sa réputation de pingre l’avait devancé par de-là son royaume. Le cavalier Tacaño des terres de Ladrerie n’avait que faire de plaire à la belle princesse, le rapace espérait avec parcimonie la faire céder sans plus tarder. Lui, le maître de la thésaurisation, voyait là une belle façon de faire fructifier son pécule sans avoir à faire le moindre effort. Mais, il ne se doutait pas qu’une si somptueuse créature avait plus d’un tour dans son sac. En un geste, le piège se referma. Sa convoitise le perdait, il s'enlisa peu à peu dans sa cupidité. Attiré par l’éclat doré qui brillait à la surface du puits, vorace, il s’avança, dédaignant outrageusement la princesse et oubliant la raison de sa venue. Un premier remous, puis un second plus important emporta le vil dans les torrents le menant dans l’univers des vipères de Pouillerie, en ces lieux il pourrait s'asseoir en roi de la radinerie.

Le moment de la troisième visite s’annonça, Céléna attendait le suivant et se demandait ce que le destin lui réservait. Le cavalier Trots du pays des Crêtes se manifesta avec superbe dans son armure de fines dorures. Sur son gorgerin des gravures d’un paon aux couleurs chatoyantes, il gonflait sa musculature et n’hésitait pas à rouler des mécaniques. Le prétendant ne cessait de parler, son ambition était sans commune mesure. Il saisit Céléna et la souleva, triomphant. Devant son insolence, elle le pria de la laisser maîtresse de ses mouvements. Dans son regard hautain, elle vit ses pupilles se gonfler, toute son apparence semblait factice. S’il voulait faire preuve de sa supériorité, il faisait erreur, elle ne cherchait pas un mégalomane et ne désirait pas gérer son égo surdimensionné. Avec dédain, il se positionna devant la psyché, en ostentation, et se flatta, tout en admirant chaque muscle visible. Sa jactance en était risible, finalement il n’avait besoin que de lui-même. La magicienne attendait qu’il daigne la regarder mais il n’en fut rien. Le miroir s’assombrit, occultant le reflet, une main traversait l’écran de fumée et l’attira de l’autre côté, ainsi à jamais il pourrait enorgueillir les soleils d’Hybris.

Dans un soupir, le quatrième cavalier franchit le seuil du boudoir. Cette fois, point d’armure, point d’épée, l’homme se présenta dans son plus simple appareil, juste un pagne entourait sa taille fine. Sur son torse, le tatouage d’une sirène accrochée à son sein avec une ancre percé sur son téton. La chaleur de la pièce augmenta de façon exponentielle mais le soufflé retomba aussitôt quand elle découvrit la belle naïade se métamorphoser à ses côtés. Quelle ne fut pas son étonnement quand l’un et l’autre vinrent effleurer sa peau. La débauche prenait ses aises, l’impudicité envahissait l’espace. Le Cavalier Lux de la Paillardise empauma les mamelons de sa compagne avec intempérance. La gourmandine laissa échapper un râle quand la bouche de Monsieur la saisit à pleine bouche. La polissonne apprécia avec lubricité d’être le clou du spectacle, la libertine voulait gagner les faveurs de la magicienne. Lui, n’attendait qu’une chose, admirer les deux belles se déguster sous son regard concupiscent. Le plaisir de la chair était une ivresse pleine de saveur, il fantasmait. Il songea qu’il pourrait se gaver de leur cyprine. Son désir se décupla quand sa sirène lécha le lobe de l’oreille de Céléna, son corps se tendit à ce contact indécent qu’elle ne souhaitait. La princesse la repoussa sans effort. L’inconnue termina sa course les quatre fer en l’air sur le tapis de fourrure. La peau de bête enveloppa les amants pour les conduire en son antre au royaume de Salace où ils seront vénérés par les Orgiens, êtres sans pudeur.

Le cinquième se faisait attendre, où tout du moins, il ne donnait pas signe de vie. Soucieuse, Céléna s'enquiert auprès de son majordome pour qu’il prenne des nouvelles du futur prétendant. À son retour, il lui annonçait qu’il était en chemin, mais son rythme était différent de ceux d’avant. D'après les rumeurs, le cavalier Aï des forêts de la Torpeur vivait à une allure modérée. Il se serait même assoupi adossé au bar. L’homme se présenta enfin, éreinté par son voyage dans les allées de la demeure de la magicienne. Lambiner était selon lui son action préférée. Sa bouche prononça des mots à peine perceptible, le flot était au ralenti, et semblait se perdre au bord de ses lèvres sans qu’aucun son ne soit émis. La mollesse de ses gestes ne lui donnait pas le courage d'ôter sa barbute sûrement bien trop lourde. Elle cachait ses yeux apathiques, la flemme annihila le moindre rictus. Le cavalier s’enfonça dans le siège qui peu à peu l’avala et l'entraîna dans les profondeurs d’un abysse de Torpeur dans lequel il aurait tout loisir de profiter de sa fainéantise avec les elfes des Cosses.

Les heures filaient, rien n’avançait. La lassitude risquait de s'instaurer dans ce petit salon privé. Les hommes passaient mais aucun ne suscitait l'intérêt de Célèna. La magicienne leur avait offert la possibilité d'assouvir leur goût et leurs couleurs sans blesser en retour son cœur. Devant elle se dressa dans son armure aux mille éclats, le prochain cavalier du nom de Neid. Il chevauchait avec joie sa jument à la crinière chocolat. Sur sa monture que beaucoup admiraient, il arrivait tout droit des plaines Capricieuses. Personne ne convoitait son secteur de chasse, aucun être ne voulait envahir son espace. Si on ambitionnait de le désarçonner, les plus prudents conseillèrent aux audacieux de passer leur route. Guigner un beau parti s'avérait plus dangereux que se contenter de l’admirer. Guetter ses réactions, être aux aguets de ses intentions pour ne pas succomber à la moindre sollicitation. Son comportement était louche, son regard farouche, beuiller sa bouche pour finir dans sa couche. Hors de question pour la belle d'être sujette à ce vice jalousée de tous. À son bras, elle ne serait que secondaire puisque tous les regards iraient avec appétit sur son partenaire. Dans un soupir, elle l'éconduit. Dans un sourire, il fut ravi de quitter les lieux par la porte qu’il avait repérée depuis le début. Le goût du défi l’appelait. Quand la porte claqua, la princesse accepta son choix sans regret, il venait de regagner le mont des Bons Vouloir où les Naïves ne laisseront pas choir son désir de gloire.

Le septième et dernier aventurier se présenta dans son armure couleur caramel, sa peau de pêche faisait saliver nombre de donzelles. Ses tablettes de chocolat étaient convoitées par delà les contrées sauvages. Simplement les admirer, les dévorer du regard et les belles agitaient leur éventail pour ne pas défaillir à son passage. Elle soupirait à l’idée de picorer du bout des lèvres cette friandise. Le cavalier Goloso, lui, était insatiable. Avec appétence, il racontait ses exploits et comment ses conquêtes lui tombaient dans ses bras en pâmoison. À peine assis auprès de la magicienne, il entreprit de la gaver de compliments, de se délecter de son parfum. Il approcha son nez de son cou pour s’enivrer de son odeur de vanille, douce et chaude. Ses yeux plongèrent dans son décolleté pour se goinfrer de cette vision appétissante, prêt à lécher avec avidité ses tétons durcis par ce contact insistant. Il voulait la gâter et finalement la pourrir, parce qu’avant tout il désirait satisfaire sa boulimie. Dans ses mains, elle devenait un simple mets, une fois dégustée tout serait terminé. Elle le congédia en lui suggérant d’aller goûter au plaisir de la chair en d’autres lieux, ce qu'il fit sans hésiter. Dès qu’il eut franchi la porte dérobée, un rot sonore l’accompagna. Avalé par les gorges de Gargantua, dans le royaume de Foix, les Vésiculiens en feraient leur roi.

Ainsi Céléna avait éconduit les septs cavaliers des Péchés. En une nuit de pleine Lune, la magicienne les avait congédiés. Elle releva avec succès cette mission capitale qui lui avait été confiée. Maintenant, il était temps pour elle de poursuivre sa route et de croiser le chevalier qui ferait chavirer son cœur.

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