Chapitre 1
Le lundi 5 janvier 1699, au château de La Vigne, à Ally, dans le comté des pays d'Auvergne.
L'Auvergne, ces pays françois où Louis XIV a salé durement, la noblesse en 1665 qui était alors agitante à l'époque de la Fronde.
L'Auvergne et sa faune diverse, avec ses nombreuses montagnes, plaines et forêts, ainsi que ses volcans ; mais encore, le lieu où Louis-Jourdain a grandi et tout particulièrement dans la demeure de son grand-père, le seigneur de Fontanges et lieutenant du Roi : Jean de Scorailles.
Cet homme devenu veuf en 1685 d'Aimée de Plas de Curemonte veillait avec bienveillance sur son petit-fils, lui aussi veuf de mère et de l'absence d'un père.
Malheureusement, il perdit également en 1688, la personne qui a surtout éduqué le jeune enfant avec l'aide d'un moine : sa tante religieuse Jeanne.
Louis avait appris par une lettre anonyme indiquant que Claude de Vin des Oeillets, dame de compagnie de Madame de Montespan et une ancienne maîtresse du Monarque dont ils eurent ensemble une fille ; qu'elle était morte le 18 mai 1687 alors âgée de cinquante ans. Les circonstances de sa mort furent « morte de peur ayant vu un fantôme. »
Cette dame avait été protégée par le Roi et Monsieur Colbert.
Puis, elle finira en fin de compte ses jours dans son hôtel particulier de la rue Montmartre, à Paris.
Quand il avait fini de lire la missive, il s'était dit : « Une en moins. »
Le jeune homme de dix-neuf ans, assis dans un fauteuil près de la fenêtre de sa chambre tenait encore dans sa main droite la lettre de cachet du Seigneur du Royaume datant de l'année 1681 qu'il venait de relire :
Mon cher fils, j'ai appris il y a quelques mois que ta mort n'était qu'une mascarade pour te protéger contre les ennemis de ta mère et peut-être du Royaume.
Pour l'instant, je te laisse aux soins de la famille Scorailles, mais lorsque tu auras atteint ta majorité, je t'enjoins l'ordre de venir au château de Versailles afin de prendre office dans l'immédiat malgré ton jeune âge parmi les mousquetaires.
Au vu de ta situation en tant que prince illégitime, je ne peux que t'offrir le grade de capitaine-lieutenant en tant que missionnaire des affaires interne.
La seconde missive est ton passe-droit pour Versailles que tu montreras au chancelier d'État.
Son voyage à destination de Versailles ne pouvait plus être remis ultérieurement : deux lettres d'ordonnance avaient été envoyées dont des menaces explicitent du risque d'avoir des militaires au bas de leur porte pour une longue balade forcée.
Il devait donc quitter sa campagne et sa maison familiale avec ses cousins pour une ville et un palais dont il ne connaissait rien, sauf par des rumeurs et les gazettes informant le peuple.
Son bagage était déjà prêt, mais pas lui.
Un carrosse et une voiture hippomobile emmenèrent la famille au relais de poste de Clermont où l'aventure devait commencer.
Le lendemain, une diligence qui est le seul transport en commun attendait devant l'établissement ; six chevaux y étaient attelés.
La voiture faite de bois peut contenir vingt personnes, mais en hiver, les voyageurs se faisaient rares.
Sur ce territoire, il faisait maussade quand il y avait de la pluie et un soleil blanc quand il neigeait ; en plus, la température descendait à 0 degré Celcius, ce qui obligeait aux gens du logis noblois de porter un manteau épais de velours et de fourrure par-dessus leurs habits.
Les femmes de cette famille avaient prévu des couvertures individuelles pour que les jeunes gentilshommes se réchauffent un peu plus les jambes et également un panier en osier rempli de nourriture sèche pour le long voyage.
Les deux cousins qui doivent l'accompagner sont Théodore, dix-neuf ans et doit retourné à sa formation militaire ; Claude qui, lui, part au collège de la Sorbonne afin d'obtenir un doctorat en théologie ; il est âgé de quinze ans.
Il y avait du monde pour leur dire au revoir, mais surtout le Seigneur et son frère, l'oncle Joseph, lieutenant du Roi en Auvergne et son épouse Marie-Charlotte ; la tante Catherine et son mari Sébastien ; la cousine Élisabeth âgée de vingt-et-un ans et sa cadette, dix-sept ans : Charlotte-Louise. — Soyez prudent !
— N'oubliez pas qu'il y a toujours des brigands dans les parages, bien cachés, n'hésitez donc pas à utiliser vos épées !
— Soyez vigilant à Paris et à Versailles, n'oubliez pas ce qui est arrivé à votre défunte mère, Louis ! — Pas de querelle entre vous, protégez-vous, les uns les autres !
— Faites honneur à votre patronyme messieurs, ne laissez jamais les autres gens désargentés ou pas de vous rabaisser ou de vous embourber dans de mauvaises affaires !
Voilà ce que les trois jeunes hommes ont entendu avant leur départ sur les routes cahoteuses de cette région agreste.
Les habitants et les voyageurs connaissent tous les mille dangers des campagnes dont les créatures légendaires sillonnent pour la plupart dans les forêts enchantées et les montagnes sacrées :
Les loups-garous surnommés le « galoup » qui ne s'intéressent qu'à la chair fraîche ; les fantômes farceurs qui font des tours aux vivants, des tours bien souvent mortels...
Il y a bien sur une histoire qui ressort toujours des bouches, celle du château de Veauce hanté par le spectre de Lucie : une femme blonde servant le Seigneur Guy de Daillon, un chevalier.
Ils furent amants, mais la châtelaine, jalouse enferma la jeune femme au sommet de la tour mal coiffée où elle mourut de faim et de froid.
Les Dracs, des lutins qui s'amusent à faire des misères aux paysans et surtout aux pâtres, aux bouviers, aux vachers.
Et les Fades, des fées qui aiment rendre service aux hommes en consolant les pauvres, en faisant se renouer les couples désunis et en soignant les malades.
Mais n'oublions pas la Samain parmi les croyances, la fête celte célébrée par le royaume catholique de France qui n'est autre que le jour des Morts où les hommes se déguisent en portant des masques macabres, afin d'amadouer la Mort.
Quant à Louis, il ne croit pas à tous ces mythes sachant que les vrais monstres se trouvent à Versailles.
Pendant ce temps, à Versailles, tout le monde se dispute du simple laquais jusqu'au Roi sur le sujet du début de la nouvelle année : soit, elle commence en 1700 soit en 1701.
Voilà de quoi les plus grands de ce pays font débat ; ce qui est loin d'être le souci du petit peuple.
Le seul moyen d'arriver à Paris, malgré les difficultés que l'hiver impose, est de passer de relais en relais, c'est-à-dire de s'arrêter tous les sept lieues soit trente kilomètres de route organisée par le gouvernement avec le développement et la modernisation du réseau routier.
La diligence et ses passagers firent une première halte à Riom.
Ces établissements ont été construit pourvu d'écuries, d'auges, d'abreuvoirs, de greniers à fourrage et à grain, une forge et une sellerie.
Il n'y a que les êtres humains qui doivent et peut se reposer, mais les chevaux aussi donc ils sont changés pour pouvoir reprendre le chemin.
Le maître de poste les accueillit, ses employés : les domestiques, les valets et les lingères étaient tous à leur travail à l'auberge située sur la droite.
Les voyageurs pourront ainsi se restaurer et y passer la nuit pour vingt sols chacun, tout en se méfiant des fantômes quémandeurs qui demandent de l'aide aux voyageurs dans les auberges en les réveillant à minuit.
Mais Louis, Claude et Théodore durent se partager la chambrée puisque huit chambres étaient le chiffre maximum dans ces endroits d'accueil public.
Le lendemain, le cocher et le préposé de réputation d'être un joyeux douteux, aimant l'alcool et la bonne chère prirent place et purent reprendre la route jusqu'au prochain relais où comme tous les postillons, il ramènera les chevaux au relais d'origine.
La voiture hippomobile roula donc sur le chemin tracé en direction de Gannat, Moulins, Nevers, La Charite, Briare, Montargis, Nemours, Fontainebleau, Melun et enfin Paris, la ville des Gobelins, les lutins vifs, capricieux et très souvent vindicatifs, régnants en maître.
La diligence stoppa à l'Hôtel Claret, le mardi 27 janvier ; le voyage dura en tout trois semaines.
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