Loups solitaires !
C'est sans doute ainsi que se construisent les légendes.
Au carrefour des passions, de la violence, de la haine et de la jalousie.
Échappant aux meurtres, aux addictions, à la maladie comme incassable, invulnérable, immortel.
Et parfois dans la tourmente qui accompagne cette vie trépidante, un peu d'amour réussit à fleurir.
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Je regarde les glaçons danser dans une mer ambrée d'un Bourbon Whisky Quarter horse. Je repasse le film de mes dix dernières années à parcourir le monde. À pourchasser la vermine avec l'espoir chevillé au corps qu'au bout du chemin, je retrouverai les miens. Ceux pour qui j'avais tout sacrifié.
Mais l'image de leur exécution me hante jour et nuit et je ne peux m'en défaire. Je suis arrivé trop tard pour sauver les femmes de ma vie. Je me vois sans cesse tenter de les ranimer, pauvres poupées de chiffon inanimées et défigurées.
Je hurle de toutes mes forces et sort mon arme, vidant une à une les munitions de mon chargeur sur l'exécuteur qui s'évanouit en laissant derrière lui un linceul sans corps. Son visage m'apparaît encore dans la lumière blafarde qui se glisse comme une brume par les meurtrières d'un vieux blockhaus allemand. Dernier vestige de la bataille de l'Atlantique, là quelque part dans ce bout de Finistère, à la pointe de Pen Hir.
D'évidence, notre organisation policière internationale recèle dans ses rangs une ou plusieurs taupes. Plusieurs agents se voient menacés de chantage par des pressions sur les membres de leur famille alors que ces derniers bénéficiaient d'un programme de changement d'identité et de délocalisation.
Insoutenables et suffisants pour les retourner. Une chasse aux sorcières commence. L'ennemi dispose de moyens financiers colossaux et peut s'offrir le moindre individu dès lors qu'il y met le prix.
On passe tous les personnels au détecteur de mensonges, le fameux polygraphe. Puis on aménage des portails pour scanner chaque individu et déceler le moindre transpondeur, la moindre puce. Désormais, les réunions se tiennent dans des salles blanches. Le Collège des Directeurs évite toute publicité et débriefs internes.
Puis un matin, les alertes et les consignes se lèvent.
J'imagine un instant dans mon esprit perturbé par les vapeurs d'alcool que l'on a fait disparaître certains membres de notre organisation dans un grand chaudron en récitant des formules tirées d'un vieux grimoire parcheminé.
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Désormais je poursuis l'Ombre, surnom métaphorique de notre cible. Il s'agit selon les profileurs d'un individu très fortuné et sans scrupule, à l'hubris démesuré. Sans doute une éminence grise qui manipule des leaders politiques, des magnats de sociétés en énergies nouvelles. Quelqu'un qui n'apparait pas dans la liste des ripoux que j'avais dressée de mon entreprise ni dans celles d'aucun de nos services.
Cet Ombre tire les ficelles en coulisse, tel un marionnettiste. Principales inconnues : on n'a pas pu déterminer le sexe et si cette entité possède des clones. Peut-être même qu'il s'agit d'un cercle très fermé de plusieurs individus qui dirige en collège le monde avec une présidence tournante. Qu'importe la forme qu'elle pourrait prendre. Je l'enfermerai, elle et toutes ses ramifications, dans les pires geôles, à l'image de celles dans lesquelles j'ai passé plusieurs mois de ma vie. Le tout est de savoir si j'aurai la force de l'épargner pour m'avoir ôté les seuls êtres qui comptaient le plus à mes yeux.
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Mes directeurs me donnent carte blanche et le choix des membres d'une équipe réduite. Personne en dehors d'eux n'a connaissance de nos missions. Je rends des comptes uniquement à mon autorité de tutelle qui répond au nom de code X-Ray. Budget illimité. Méthodes et procédures open. Seul le résultat importe.
Nous constituons une sorte de meute de loups dont je représente le mâle Alpha. Chaque agent, trois hommes et deux femmes, détient des compétences dans de multiples domaines : informatique, communications, explosifs, techniques de combat, tireur d'élite... Pour ma part, mes connaissances en stratégie d'entreprise et en management me permettent de scruter tous les flux financiers sur les plateformes boursières, les transferts de cryptomonnaie, les fortunes nouvelles et les naufrages inattendus.
Arrêter l'Ombre et démanteler son consortium international occulte reste ma seule et unique préoccupation. En théorie, cela semble pure folie. Mais le monde va si mal que la simple idée que nous constituions une force de templiers, de rédempteurs, de pacificateurs, me procure un effet galvanisant. J'éprouve le sentiment de me racheter une conduite exemplaire et bien que mon cœur soit éteint, je me sens capable de revivre.
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Je reprends une lampée d'alcool qui me brûle la gorge. De loin, le barman me dévisage. D'un signe, il m'autorise à fumer une cigarette. Minuit passé dans ce bar-lounge de Reykjavik. Un jet privé décolle à six heures pour les Maldives. Un peu de repos pour mon équipe. On en a vraiment besoin. Tout est allé si vite.
Trois jours auparavant, nous mettions en place une surveillance étroite sur une villa dans la zone portuaire de Stykkisholmur. Un responsable financier de l'organisation résidait là sous couverture d'un magasin de pêche au rez-de-chaussée. Bravo et Charlie s'introduisirent dans la boutique pour jouer aux touristes et prendre des renseignements sur les bons spots. L'homme présent et, semblait-il, pas sur le qui-vive se montra plutôt affable. Il proposa une brochure des différents opérateurs de sorties en mer.
Nous avions débriefé les informations recueillies et essentielles d'un point de vue tactique. L'une de nos vedettes rapides croisait très au large dans les eaux internationales. Un drone servirait pour transporter notre cible. Delta interviendrait sur le courant électrique et Echo neutraliserait notre individu sans le tuer. Bravo et Charlie assureraient la sûreté immédiate et devraient aider à l'exfiltration. Pour cette opération, je jouais le coordinateur et veillait à maintenir une bulle de sécurité.
Vers deux heures du matin, un gros 4x4 électrique noir déboula dans la rue principale déserte et se rangea le long de la vitrine de la boutique de pêche. Quatre types surarmés et véloces comme des chats investirent la maison par l'arrière. Bien sûr, nous restâmes en stand-by. Des éclats lumineux apparurent aux fenêtres et nos micros captèrent le ploc caractéristique de tir par des armes munies de silencieux.
À cet instant chaotique, je refusais d'intervenir. Ces types ayant réussi à déjouer nos moyens d'alerte, je chargeai Bravo de tirer un mouchard sur leur véhicule. J'adressais un message crypté au navire pour informer que notre cible faisait l'objet d'un contrat ou d'une exfiltration étrangère. Le SUV repartit avec son équipe au complet et lestée d'un individu enfermé dans un linceul noir.
Pendant que je suivais la géolocalisation sur mes écrans, mes agents s'introduisirent dans la maison. Les tueurs avaient liquidé deux chiens. Dans un grand lit, un couple âgé dormait pour toujours dans une mare de sang. Qui étaient-ils ? Mystère ! En sous-sol, ils découvrirent plusieurs mallettes vides. Mais aussi des explosifs sur minuteur. Bravo donna l'alerte, une angoisse évidente mais maîtrisée dans la voix.
Il restait seulement dix-sept secondes. Puis tout vola en éclat et la terre trembla. Des alarmes se déclenchèrent à la ronde et des lumières s'affichèrent dans tout le quartier.
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Je ressens encore le goût amer de l'alcool dans la gorge et des décharges d'adrénaline me maintiennent sans cesse éveillé. Une hôtesse de l'air passe dans la coursive et me propose un petit déjeuner. Charlie assise à mes côtés semble s'être endormie, sa tête sur mon épaule. Echo fait de même de l'autre côté. Je dispose de places en classe affaires auprès d'Hydrogéna-jets qui travaille en sous-main pour notre agence internationale.
Bravo et Delta allongés à l'arrière de la carlingue bénéficient des soins d'une équipe médicale. Ils ont plusieurs traumatismes dont une diminution certaine de leurs perceptions sensorielles. Sans doute l'onde de choc dans un espace confiné. Pour le reste, des blessures légères. Ils vont s'en tirer.
Par messagerie crypté, j'apprends la destruction du SUV. L'équipe de commandos a pris la mer avant de disparaître sous les flots. L'adversaire dispose à n'en pas douter de moyens démesurés pour protéger les membres de son organisation.
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Dans mon transat, au bord de la piscine de l'hôtel Ayada, je réalise qu'il me faudra du temps, beaucoup de temps pour faire le deuil de ma femme et de mes filles. Mais également que ma vie sera drastiquement différente de celle que j'imaginais au départ.
À présent, je dois veiller sur mon équipe, ma nouvelle famille, une meute de loups solitaires qui doit se remettre sur pied. Chacun de ses membres a traversé l'enfer pour se retrouver à mes côtés. Sans doute que nous constituerons à l'avenir une unité d'élite.
L'expérience de chaque mission nous y aidera.
Alors j'ouvre un carnet qui ne me quitte jamais. J'ajoute une barre oblique avec un crayon pour compléter cette semaine.
J'ai l'impression d'être encore enfermé dans ma prison de métal et que depuis je compte les jours.
=O=
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