1.5
Il fallait que je me bouge. Je changeais de fringues. Je trouvai le sac que Christian m’avait donné. Je fouillais. Tout était dedans. La clef, le fric, le passeport, la coke. Pour la première fois, j’en pris un peu. Ce fut moins violent que je croyais, excepté les sensations désagréables sur les zones buccodentaires et cette impression de ne plus pouvoir avaler. Les premiers effets passèrent. En revanche, tout me parut clair et compréhensible. Je mis la clef sur mon téléphone portable. Il y avait des tas de chiffres et des commentaires.
J’entendis un craquement dans l’escalier. Je ne l’avais même pas remarqué. La seule fois où Christian m’avait emmené dans cet endroit pour y cacher le sac, je n’étais même pas entrée. Pour moi, cette planque ne me concernait pas. Je n’imaginais pas un seul instant qu’elle me serait utile. Marc et son acolyte, arme au poing, me fixaient. L’autre me prit le portable et lut le fichier qu’il y avait dessus. Marc restait en retrait.
— Eh ben dis donc ma grande, c’est du sérieux, ce genre de fichier. Reste pas là debout, ça m’agace. J’ai l’impression que tu veux me la faire à l’envers.
La gifle m’atteignit au visage. A moitié sonnée, mon corps pantelant se retrouva assis sur le lit.
— Je ne comprends rien à tout ce qui se passe.
— Je sais.
— Où est Christian ?
— Eh Marc, elle demande où est Christian !
Marc ne bronchait pas. Il laissait la main à son collègue.
— Ecoute-moi bien ma grande. Ton mec et son ami Pierre ont pris de drôles d’initiatives. Figure-toi qu’ils ont cru pouvoir s’émanciper. Ils pensaient pouvoir bénéficier des largesses de Patrick. Ils l’ont pris pour un âne. Ils se sont fais les dents sur son dos. Ils ont cru bon de vendre sa came comme si elle leur appartenait. C’est dingue non ?
Il s’approcha dangereusement en projetant son haleine fétide sous mon nez. Son visage devint cireux.
— Il est quatre pieds sous terre ton mec, il est mort.
— Vire tes sales pattes de là.
— J’ai pas bien entendu là, qu’est-ce que t’as dit là ?
L’autre claque me projeta sur le lit.
— Oh, qu’est-ce que tu fais. Laisse-là tranquille. Christian était avec nous.
— Qu’est-ce que ça peut te foutre, elle va crever de toute façon. Que ça te plaise ou non, je vais me la faire.
En disant ces mots, il me déshabilla. Je regardais Marc s’éloigner sans rien tenter pour l’arrêter. Il me viola sur ce vieux matelas, comme une pute.
Quand on touche le fond, on s’accroche à des images qui nous rassurent. Moi, j’entendis une voix. La coke commençait à faire effet.
— Vas-y ma fille il n’y a plus à hésiter. Il y a des expériences qui sont inenvisageables de vivre jusqu’au bout, des breuvages dont l’amertume et le dégoût rendent inconcevable de boire jusqu’à la lie. Fais ce qu’il faut.
Mon sac traînait sur le sol à portée de main. J’en sortis un beretta. La balle lui explosa la mâchoire. Je me dégageai du corps. Marc surgit.
— Ne bouge pas !
Méfiant, il resta les mains loin de son arme. Tout en contenant ses ardeurs, je rangeai mes affaires, le portable et la coke. Il restait devant la porte. Je l’invitai d’un geste à me laisser passer.
— Hélène, tu ne vas pas t’en sortir, laisse moi t’aider.
— Dégage de là !
— Après ce que t’as fait, Patrick te pourchassera H24.
— T’as entendu l’autre salopard, je n’ai plus longtemps à vivre, alors je tente ma chance.
— Comme tu voudras, je t’aurai prévenu.
— Eloigne toi de cette satanée porte, ou bien je t’explose.
Marc recula.
Tout en ne le quittant pas des yeux, je me faufilai dans la rue. Je m’éloignai rapidement de ce guêpier. Il était inutile de courir. Pour aller où ? Je n’avais plus aucune ressource.
Une voiture déboula. Un passager ouvrit la porte arrière. C'était Paul.
— Allez, monte !
Il m’emmena chez lui. Sous sa protection, je me sentis réconforter. LB35 me laissait un léger répit.
— Ils ont tué Christian.
— Je sais. Il s’est lui-même mis en danger. Tout se sait sur LB35. C’est une petite planète.
— Je ne comprends rien à ce qui se passe.
— Si j’étais toi, je ne prendrais plus cette putain de coke. La descente est plutôt vertigineuse. J’espère que n'es pas naturellement dépressive.
— Dites à ceux qui me pourchassent que je ne sais rien. Christian ne me parlait jamais de son boulot.
— Mais on s’en fout que tu saches quelque chose ou non. Tout ceux qui trahissent paient de leur vie.
— Mais je n’ai trahi personne.
— Ils le savent, mais ils vous tueront quoi qu’il arrive. Ces gens là tuent pour éliminer les traîtres et leur famille. Et vous êtes la copine de Christian.
— Paul, je n’y suis pour rien dans toute cette affaire.
— Peut-être mais tu en as profité quelques années. Les villas, la grande vie, l’argent à profusion. Tout a un prix. A un moment, il faut payer l’addition. Vous avez la clef ?
— Oui.
— Est-ce que tu as pu rentrer dans les fichiers ?
— Non. Je ne sais rien. Christian m’avait promis que vous m’aideriez.
— Je suis désolé Hélène, je ne peux pas m’impliquer.
— Ne m’abandonnez pas !
Paul se leva.
— Je suis désolé mais je ne peux rien faire.
Paul sortit de la petite chapelle dans laquelle on s’était installé. Je courus derrière lui. Il s’apprêtait à monter à l’arrière de la voiture. Je me postai dans le faisceau des phares, le Beretta posé sur ma propre tempe.
— Mais qu’est-ce que tu fous, nom de dieu !
— Si je me tire une balle, je vous promets que mon geste vous hantera toute votre vie. La pusillanimité ne va pas très bien avec le statut de président. Le peuple a besoin d’un homme fort, pas d’un pleutre qui baisse les bras à la première difficulté. Il a besoin d’être sauvé pas d’être abandonné.
Paul s’approcha.
— Tu as un passeport ?
— Christian m’en a dégoté un.
— De l’argent ?
— Oui.
— Parfait, je vais t’aider.
Délicatement, il prit le Beretta.
— Viens !
Nous étions trois dans la voiture. Son garde du corps conduisait. On roula un long moment sur la seule quatre voies de LB35.
— Il faut que je téléphone.
On s’arrêta dans un parking. Paul, le portable collé à l’oreille, sortit du véhicule. Tout en parlant, il me surveillait.
— Si j’étais toi, je me sortirais de ce nid de vipère.
Paul n’avait jamais eu l’intention de m’aider. Je le compris à l’expression de son visage, quand il rentra dans la voiture.
Assis à côté de moi, Il me dévisagea.
— Démarre.
Il avait pris sa décision. Son chauffeur me tuerait dans un coin reculé de LB35. Il n’en manquait pas ; un ravin, une déchetterie, une casse, que sais-je ?
Heureusement, il ne m’avait pas fouillé. Je sortis le flingue que j’avais volé à Marc et mis Paul en joue.
— Garez-vous !
— Qu’est-ce que tu fous ?
— Arrêtez cette voiture.
— Tu ne comprends donc rien. Avec moi, t’es en sécurité.
— Garez cette voiture !
Le garde du corps fit une série d’embardées pour me déstabiliser. Déséquilibrée, ma main frappa la vitre et une balle partit dans la nuque du chauffeur. La voiture dérapa, percuta la barrière de protection et bascula en contrebas de la route.
Annotations