Prologue : le Grand Désastre
Petite note : prologue assez long, mais qui n'est pas indispensable à la compréhension du récit. Les personnages mentionnés ne seront pas réexploités dans le reste de l'histoire, alors ne vous inquiétez pas de les oublier haha. Néanmoins, ce prologue comporte des détails qui seront importants à partir de la 3ème et dernière partie du tome 1. Je ne cherche pas à corriger réellement ce prologue, même si je suis consciente de ses nombreux défauts.
Au cœur du continent d’Oneiris, 3è mois de l’hiver, Temple de Timoria.
Ce fut ce jour-là qu’ils déclenchèrent la colère des Dieux.
Depuis de nombreux siècles se tenait au cœur des terres d’Oneiris le Temple de Timoria. Il était réputé pour être l’unique lieu où les Dieux entraient en contact avec les humains sans craindre un environnement hostile. On racontait qu’il avait été façonné par les divinités elles-mêmes. Elles étaient au nombre de cinq. Le temps ; l’espace ; la matière ; la vie ; la mort.
Ces cinq Dieux accordaient à leurs plus grands fidèles une Faveur. Cinq Élus, un par Dieu, se voyaient l’honneur de posséder une partie des pouvoirs de leur divinité. Ces dernières s’assuraient toujours qu’un Élu les représentât. S’il venait à disparaître, il était aussitôt remplacé.
Ce jour-là, six humains détruisirent la confiance des Dieux envers les Hommes.
Il y avait trois Élus parmi eux. Deux femmes et un homme. Amber venait du Royaume occidental, Samilia était originaire du Sud et Dayen était un voyageur. Ces humains, possédant chacun une Faveur, représentaient respectivement la Déesse du temps, le Dieu de l’espace et le Dieu de la matière et des éléments.
Les trois autres étaient d’éminents représentants de leurs Terres. Se trouvait en compagnie d’Amber le roi Lawrence Tharros, porteur de la couronne des Terres de l’Ouest. L’impératrice Kala, de la dynastie des Samay, était accompagnée de Samilia. Le dernier était un chasseur des Terres Libres. Celles-ci se situaient au nord et à l’est d’Oneiris, mais n’étaient pas gouvernées. Forêts sauvages, vallées hostiles, toundra au nord et plages vierges à l’est, constituaient ses paysages. Ses habitants se composaient essentiellement de chasseurs nomades où la loi du plus fort régnait.
Le chasseur venu ce jour-là au Temple de Timoria, Argawaen, était réputé pour avoir survécu aux pires bêtes des forêts meurtrières de l’Est. Ses larges épaules et son visage balafré en disaient long sur sa ténacité et sa force.
Ils se réunirent ce jour-là par ambition.
Le roi Lawrence désirait faire de la partie nord des Terres Libres son acquisition. Kala, elle, souhaitait étendre son empire aux forêts de l’Est pour avoir accès à l’océan qui se trouvait au-delà. Argawaen, payé généreusement par ces deux dirigeants, était prêt à les aider et à les conseiller pour qu’ils se rendissent au Temple sans accrochages. Et le chasseur se moquait bien du fait que l’Impératrice et le Roi avaient pour but de conquérir les Terres où il vivait.
Amber, Élue occidentale à la longue chevelure blonde, était une grande fidèle de la couronne Tharros. Sa fidélité envers son Roi était égale à celle qu’elle vouait à sa Déesse, celle du Temps. Samilia, jeune femme à la peau caramel et à la voix douce, aurait accompagné n’importe où son amie d’enfance et dirigeante, encouragée par le fait qu’elle estimait sa Faveur trop faible par rapport à l’engagement qu’elle avait donné au Dieu de l’Espace.
Dayen, libre de toute emprise et de tout serment, voulait tous les dépasser. Il n’était le compagnon d’aucun dirigeant. Il savait son Dieu protecteur, celui de la matière et des éléments, capable d’aider le Roi et l’Impératrice à assouvir leurs désirs. Dayen était un Élémentaliste. Capable de faire appel à tous les éléments qui existaient sur Oneiris, il était le plus grand guerrier et combattant de son époque. S’il avait décidé d’aider et d’accompagner Lawrence et Kala au Temple de Timoria, c’était avec l’espoir d’acquérir toutes les capacités du Dieu des éléments, de son Dieu protecteur. Pour le tuer et prendre le pouvoir. Contrôler Oneiris.
Le Temple de Timoria s’avérait être une zone grande de plusieurs milliers d’hectares. Une forêt vierge humide, peuplée d’une faune et flore unique sur Oneiris, entourait le Temple. Les bois étaient délimités par un mur d’enceinte en roche noire et lisse haut d’une trentaine de mètres. Une seule et unique entrée existait pour le franchir. Les six passèrent par ce chemin pour rejoindre le Temple.
Il leur fallut quelques jours de marche pour l’atteindre. Le Temple était magnifique, d’une architecture singulière, jamais vue ailleurs sur Oneiris. Il y avait des sculptures des cinq divinités ; des arches plus ou moins grandes dédiées aux différents attributs des Dieux ; des hôtels de prière aux toits en pente, avec des tuiles noires faites de la même roche qui composait le mur d’enceinte ; des fontaines qui crachaient une eau pure et cristalline.
Le groupe de six monta un campement au milieu de trois petits temples avec l’espoir de trouver l’endroit où invoquer les Dieux.
La nuit précédant ce jour-là, Dayen découvrit la Place des Cinq.
Elle se trouvait à deux heures de marche du campement qu’ils avaient installé. Dayen l’atteignit au cœur de la nuit, alors que l’excitation l’empêchait de fermer l’œil. C’était une grande place circulaire, d’une cinquantaine de mètres de diamètre, avec des fontaines représentant les Dieux dispersées à intervalles réguliers. L’Élu éclairait son chemin en maintenant une flamme au creux de sa main et il la laissa mourir quand il parvint à la Place des Cinq. Celle-ci baignait dans une lumière argentée, éclairée par l’astre nocturne. Les pierres qui composaient la Place ressemblaient à celles du mur d’enceinte, lisses et brillantes, à la différence qu’elles étaient blanches. La lumière se reflétait et créait une atmosphère envoûtante.
Dayen marcha jusqu’à la Place et se laissa tomber à genoux au centre de celle-ci. Les yeux levés vers le ciel nocturne, il implora Aion, le Dieu des éléments, d’entrer en contact avec lui. Celui-ci accéda à sa prière en coupant l’eau de la fontaine qui lui était dédiée. Ce fut assez pour Dayen : il se releva, s’agenouilla devant la fontaine et pria une longue heure. Une fois son oraison terminée, il retourna au camp et réveilla les cinq autres.
Ils partirent ensemble vers la Place des Cinq alors que l’astre diurne remplaçait le nocturne.
Ce jour-là était arrivé.
Comme promis, Dayen les mena à la Place des Cinq en leur assurant qu’Aion allait leur fournir une aide précieuse. Le roi Lawrence restait dubitatif, mais l’impératrice Kala était plus confiante. Elle connaissait les capacités de Dayen et était persuadée qu’Aion pourrait augmenter leur puissance. Kala se voyait déjà repousser les intempéries, s’ouvrir un chemin dans les forêts de l’Est et chevaucher les vagues de l’océan inexploré.
Les deux autres Élues, Amber et Samilia, restèrent ébahies devant la beauté de la Place. Comme Dayen quelques heures auparavant, elles allèrent s’agenouiller devant les fontaines de leurs Dieux respectifs et prièrent. Les trois humains restèrent dans un silence solennel. Les Élus se rassemblèrent alors pour décider de la stratégie à adopter. L’objectif était concis : appeler les Dieux, attendre leur venue, et les implorer de leur octroyer une partie de leur pouvoir.
Les trois Élus se mirent alors à la tâche. Ils accomplirent des rites, sacrifièrent les animaux qu’ils avaient emmenés, à savoir quatre chevaux et deux ânes, donnèrent une mèche de cheveux, une goutte de sang et un ongle cassé de chaque personne présente.
Finalement, ce fut Galadriel, Déesse de la Vie, qui apparut la première. Elle se manifesta sous les traits d’une jeune femme d’une vingtaine d’années au teint de porcelaine et aux longs cheveux roux frisés. Apercevoir son essence divine, sa forme éthérée, aurait anéanti ses visiteurs. Elle se tenait nue devant eux, clamant la pureté et la simplicité de la vie.
Les trois Élus se jetèrent au sol, vite suivis de Kala et Lawrence puis, un peu plus tard, d’Argawaen. Ce fut sur celui-ci que Galadriel posa son regard en premier. Quand l’homme le rencontra, il se pétrifia. La vie baignait les yeux de la Déesse. De douces flammes brillaient dans ses orbites. C’étaient les flammes de la Vie. Celles qui animaient le cœur, remplissaient les poumons d’air et faisaient courir des frissons sur la peau.
Tu sens la mort, lui annonça-t-elle alors, et ces mots résonnèrent douloureusement dans son crâne. Les Dieux ne s’abaissaient pas à parler aux humains. Le seul langage qu’ils prononçaient à voix haute était celui du ciel, connu par les Dieux et uniquement par eux. Tu as fait couler beaucoup de sang. Les flammes qui habitaient le regard de la Déesse devinrent moins douces à ces paroles.
— Je suis chasseur, dame Galadriel, expliqua alors Argawaen d’une voix posée. J’ai été obligé de faire couler le sang.
Obligé ? Un scintillement puis la Déesse se dressa devant l’homme, le toisant de haut. Tu n’as été obligé à rien. Tu as toi-même choisi cette voie. Un trop grand nombre de vies ont été prises par tes mains.
— Dame Galadriel, intervint Amber, toujours inclinée. Pardonnez à cet homme ses actes. Nous sommes ici pour implorer les faveurs des Dieux.
D’un regard, Galadriel estima les trois Élus puis poussa un grondement qui fit frémir les humains.
Nos faveurs ? tonna la Déesse en se téléportant au centre de la Place des Cinq, près des cadavres des bêtes sacrifiées. Tuer des animaux, tuer des êtres vivants, tuer la Vie, c’est par ce moyen que vous comptiez m’implorer ?
— Au moins, on peut implorer Lefk ainsi, répliqua Argawaen avec un sourire suffisant.
Silence ! Un grand vide se fit dans l’esprit des hommes et le chasseur devint livide. Lefk représente peut-être la mort dans vos contrées, mais il n’est pas cruel et insensé comme vous l’êtes. La Mort est aussi pure que la Vie. Tout débute et tout finit. C’est l’ordre logique de notre monde.
— Ma Déesse.
Dayen venait de se lever. Il restait néanmoins la tête courbée devant la divinité. Il s’avança de quelques pas, les genoux tremblants, puis se laissa tomber avant de poser une main au sol. Quelques secondes plus tard, une fleur poussait entre les interstices des pierres à une vitesse anormale.
Tu possèdes la Faveur d’Aion, déclara Galadriel d’une voix plus douce. Que me souhaites-tu, Élu ? Toi et tes compagnons m’avez forcée à descendre ici-même pour mettre fin au massacre que vous perpétriez en notre nom. J’espère que vous avez une bonne raison de nous appeler.
S’apprêtant à répondre, Dayen, le visage rayonnant, se redressa, mais il y eut soudain un craquement dans l’air et une lumière intense illumina la Place. Tous se détournèrent, aveuglés, sauf Galadriel qui observait l’apparition d’un visage de marbre.
— Aion, souffla-t-elle à voix basse dans le langage des Dieux. Que fais-tu là ?
— Je viens au même titre que toi, déclara la divinité d’un ton malicieux.
Doucement, la lumière pure forma une silhouette puis se recouvrit d’os, de muscle, de chair et de pilosité. Un homme à la longue crinière blanche et à la peau translucide fit alors face à la Déesse. Ses yeux changeaient constamment de teinte, allant du bleu turquoise au rouge ocre en passant par le vert-jaune. Les couleurs se reflétaient sur lui, si bien que sa peau arborait des nuances verdâtres et bleuâtres.
— Mon seigneur, souffla alors une voix tremblotante.
Les deux divinités se tournèrent vers Dayen, qui avait repris ses esprits en premier. La mâchoire tombante, les yeux exorbités, les épaules basses, il dévisageait le Dieu sans parvenir à masquer sa surprise.
Dayen, souffla Aion dans l’esprit de l’Élu. Le Dieu des éléments s’avança sans toucher le sol vers l’homme. Ses lèvres pâles se recourbèrent en sourire affectueux lorsqu’il s’arrêta devant l’humain agenouillé.
Le Dieu fit un léger geste des doigts.
Allons, mon cher Élu, relève-toi. Sans se faire attendre, Dayen s’exécuta, toujours ébahi.
— Vous nous honorez… commença-t-il avant d’être coupé d’un claquement de langue divin.
Galadriel n’avait pas tort, tu sais, quand elle affirmait que le sacrifice de vos animaux était inutile. Il l’était. En pénétrant dans le Temple, vous avez déjà attiré l’attention des Dieux sur vous. De plus, tes prières ainsi que celles des autres Élus ont fini de nous prévenir de votre présence.
— Mais, alors… reprit Dayen en fronçant les sourcils. Qu’attendiez-vous de plus de notre part pour venir ?
Une bonne raison, siffla Galadriel en apparaissant aux côtés d’Aion. Ses yeux flamboyaient. Nous sommes les divinités protectrices d’Oneiris. Pas de simples sources de pouvoir.
— En parlant de pouvoir…
Le dirigeant des Terres de l’Ouest venait de se lever, secondé par Amber.
— Je suis le roi Lawrence Tharros. Mon royaume occupe le territoire des Terres de l’Ouest.
Nous savons qui tu es, roi, répondit Aion en posant son regard inconstant sur lui. Ce que j’ignore, c’est la raison de ta venue. Que désires-tu ?
— Nous aimerions plus de pouvoirs, déclara de but en blanc Kala en se levant brutalement.
L’Élue qui l’accompagnait, Samilia, écarquilla les yeux, passa devant sa camarade, et posa front contre sol.
— Pardonnez son arrogance, mes seigneurs, souffla la jeune femme à la peau caramel en tremblant. Elle ne voulait pas vous importuner.
Qui crois-tu être ? gronda Galadriel en observant la dirigeante des Terres du Sud.
— Je m’appelle Kala. Et je suis impératrice de la dynastie des Samay, répondit celle-ci, le menton levé dans une attitude de défi.
Aussitôt, Samilia se leva et s’interposa entre Kala et les Dieux. Les bras écartés, les yeux larmoyants, elle déclara d’un ton apeuré :
— Mes seigneurs, prenez ma vie à la place de la sienne. Elle n’a pas conscience de ce qu’elle dit.
Tu as là une Élue bien fidèle, souffla Aion en apparaissant derrière Kala pour passer une main autour de sa gorge. L’Impératrice ne bougea pas, une goutte de sueur perlant à son front, sa glotte tremblant sous le contact de la main divine. Ta vie ne mérite pas la sienne. Et tu mérites encore moins notre bienveillance.
Sur ces mots, il lui trancha la gorge en compressant l’air pour en faire une lame.
Samilia se jeta par terre auprès du cadavre de Kala en hurlant. Le visage baigné de larmes, elle redressa le cou pour regarder le Dieu.
— Seigneur Aion, pourquoi ?
Son arrogance, répondit le Dieu, les yeux brillants. N’oubliez pas qui nous sommes.
Les lèvres de Samilia se plissèrent de colère. Kala avait été son amie. Les deux femmes se connaissaient depuis l’enfance. Avaient été camarades. Certes, l’Impératrice était allée trop loin. Personne ne clamait le pouvoir ou l’orgueil en présence des Dieux. On inclinait la tête face à leur grandeur. Mais Kala ne méritait pas ça. Pas une mort aussi brutale et déshonorante.
Ce que fit ensuite Samilia fut le premier véritable faux pas des humains ce jour-là.
Ce jour-là, Samilia fit usage de sa Faveur pour piéger Aion dans l’espace.
Le Dieu devint incapable de se téléporter. Il pouvait encore user de ses pouvoirs ou cligner des yeux, mais ses pieds étaient figés dans le sol et il ne lui était plus possible de retrouver sa forme divine.
Aion ! cria Galadriel, stupéfaite. Elle toisa les humains d’un regard mortifié, gronda puis disparut dans un scintillement. C’était la première fois qu’un Élu utilisait sa Faveur à l’encontre même d’un Dieu. Cet acte était une hérésie, une insulte à leur nature.
Samilia, tenant le corps inerte de Kala dans ses bras, pleurait de tout son soûl. Ses compagnons la dévisagèrent avec horreur puis Amber s’exclama :
— Samilia, tu es folle ! Libère Aion tout de suite. Il va tous nous faire tuer !
— C’est trop tard ! cria soudain Dayen, le visage fermé. Nous avons déclenché la colère des Dieux. Nous n’avons plus le choix.
Alors qu’il venait de finir de parler, un violent orage éclata à l’horizon.
— Aion utilise ses pouvoirs, ajouta l’Élu en grimaçant. Je le sens. Et il veut nous tuer.
Dayen se tourna vers Amber et s’approcha d’elle pour la saisir par le bras.
— Amber, tu dois figer Aion dans le temps.
— Qu’est-ce que tu racontes ? murmura l’Élue, horrifiée. Je ne ferai jamais cela ! Pas au seigneur Aion lui-même.
Un silence pesant accompagna son refus. Le vent se leva et fit bruisser les branches des arbres alentours. L’air devint plus humide et les plantes se mirent à gonfler à leurs pieds. Lawrence Tharros fit un grand pas vers son alliée puis la prit par les épaules.
— Amber, tu dois le faire. Ou nous sommes morts.
— Mais… mon roi, bredouilla l’Élue en pâlissant à vue d’œil. Il s’agit d’un Dieu. Je ne suis même pas certaine d’en être capable.
— Samilia l’a fait, rétorqua l’homme en haussant la voix. Dépêche-toi, Amber !
Cette dernière observa son roi dans les yeux pendant de longues secondes, secoua la tête puis se dégagea de l’emprise du souverain.
— Très bien, je vais le faire, déclara-t-elle en se positionnant devant le Dieu immobile. Mais ne le regrettez pas par la suite, car ce sera trop tard.
Et elle figea Aion dans le temps.
Ce jour-là, tout se déroula exactement comme Dayen le souhaitait.
Son propre Dieu protecteur se retrouva privé de ses capacités juste sous ses yeux. Aion venait d’être emprisonné dans l’espace-temps par les pouvoirs combinés des deux Élues. Ne restait plus qu’à lui prendre toute sa force.
Dayen dépassa Amber d’un pas déterminé puis se campa devant le Dieu de la matière. Les yeux de la divinité s’étaient figés sur une teinte violette. Dayen, un rictus aux lèvres, posa une main sur le torse d’Aion. En tant qu’Élu, il était profondément lié à sa divinité protectrice. Alors, quand il sentit sous ses doigts la peau froide du Dieu, il sentit aussi toute la puissance que renfermait cette enveloppe charnelle. Les orages éclataient sous ses doigts, les incendies brûlaient, la foudre claquait, l’eau coulait, les plantes poussaient, le vent soufflait, la terre se fendait.
Une grande inspiration puis Dayen plongea dans les profondeurs de son Dieu. Il trouva sa force et la fit sienne.
Ce jour-là, Aion poussa un hurlement de douleur qui s’entendit jusqu’au ciel lorsque son Élu le défit de ses pouvoirs. On lui arrachait la peau, on déchirait ses tendons et fracassait ses os. Cette douleur était humaine. Celle d’Aion, divine, manqua détruire sa conscience.
Il y avait aussi la douleur d’avoir été trahi. Il sentit sa force s’échapper de lui pour traverser le bras de Dayen et se loger dans sa poitrine. L’homme avait le visage levé, les yeux révulsés, le corps tremblant sous cette puissance divine qui déferlait en lui brutalement.
Ce fut Argawaen qui mit fin au transfert en tranchant le bras de Dayen avec sa hache. Ce dernier s’effondra au sol, inconscient, et le Dieu tomba à genoux, libéré de l’emprise des Élues. Quand la divinité redressa la tête, il aperçut celles-ci allongées au sol dans des mares de sang. Le roi Lawrence se tenait contre un arbre, la main sur une profonde entaille à l’abdomen. Argawaen, les vêtements et le visage ensanglantés, comptait bien terminer ce qu’il avait commencé.
— Quel sale traître, siffla le chasseur en donnant un coup de pied dédaigneux dans le flanc de Dayen. Ce salaud s’octroie pour lui tout seul les pouvoirs d’Aion.
— Tu parles de traîtrise ? siffla le roi en le foudroyant du regard. Mais tu as tué Amber et Samilia. Et tu as essayé de faire pareil avec moi.
— Ne vous inquiétez pas, votre majesté, répliqua Argawaen en exécutant une courbette maladroite. Vous y passerez aussi.
Le visage rayonnant du chasseur se défit lorsqu’il remarqua que Dayen s’était redressé et observait sans comprendre son bras tranché. Les traits de l’homme étaient impassibles, ses yeux vides. Il tendit alors sa main restante vers le moignon qui pendait après son épaule. En quelques secondes, il se recréa un bras fait de glace.
Extasié par la puissance qui déferlait en lui, il leva les yeux au ciel et éclata de rire. Aion le regarda faire, paralysé par la faiblesse. Il était incapable de parler, aussi bien mentalement que physiquement puisqu’il ne savait pas prononcer la langue humaine. Depuis qu’Argawaen avait mis fin au transfert, il avait déjà essayé de se transformer, mais il avait échoué. Néanmoins, le Dieu sentait qu’il avait encore la faculté de maîtriser les éléments.
— Je suis un Dieu, à présent, affirma Dayen en se levant.
Son apparence se modifia alors. Ses cheveux châtain devinrent noirs, comme les ténèbres d’une nuit sans lune, ses yeux marron laissèrent place à un jaune perçant, acide, et sa musculature se renforça.
— Je suis un Dieu.
Aion fut déchu de son statut de Dieu protecteur d’Oneiris, ce jour-là.
Trahi par les humains, il perdit sa force. Il lui resta son immortalité et ses capacités, mais elles furent amoindries. S’il ne vieillissait effectivement pas, il pouvait néanmoins mourir sous les coups, se noyer ou brûler.
La majeure partie de ses pouvoirs se libérèrent en réalité sur Oneiris – le corps de Dayen étant incapable de recevoir autant de puissance divine – et touchèrent des centaines d’humains. Ainsi naquirent les premiers Élémentalistes.
Dayen devint un Dieu mineur. Lui aussi ne vieillissait plus et était capable de plier la matière et les éléments à son bon vouloir.
Sa première action en tant que tel fut de se tourner vers Argawaen, qui le dévisageait avec méfiance, et de le tuer en lui transperçant la poitrine avec la branche d’un arbre qui se trouvait à côté. Le chasseur poussa un râle de douleur puis laissa tomber sa hache. Trop fragile pour le poids de l’homme, la branche cassa et le corps s’effondra dans un bruit mat.
— Par les Dieux, souffla Lawrence Tharros, le visage crispé par la peur.
Amusé par ces paroles, Dayen se tourna vers lui et marcha dans sa direction en sifflotant. Toujours conscient, mais incapable d’agir, Aion le suivit du regard, une lueur glaciale dans ses yeux qui avaient recommencé à changer de couleur.
— Par les Dieux, en effet, cher roi, murmura Dayen avec un sourire carnassier. Merci d’avoir été assez idiot pour me faire confiance et m’accompagner jusqu’ici.
— C’était ton but depuis le début, susurra le souverain en le fusillant du regard.
— Évidemment, s’esclaffa le récent Dieu mineur.
Dayen agrippa le menton de Lawrence Tharros pour le forcer à le regarder dans les yeux puis lui souffla d’une voix cajoleuse :
— Merci de votre soutien, cher Roi. Grâce à vous, j’ai pu atteindre mes objectifs. Adieu.
Et, avec nonchalance, il posa un doigt sur son front et mit feu au corps du souverain.
Ce jour-là ne fut pas terminé après la mort du roi Tharros.
Aion n’en avait pas fini. Enragé et meurtri au plus profond de sa conscience divine, il usa des derniers contacts qu’il avait avec le ciel pour lancer un cri à ses anciens égaux.
Vengez-moi !
Les quatre autres Dieux vengèrent Aion ce jour-là.
Lefk, Dieu de la Mort, lança sur la partie nord des Terres Libres des hivers éternels qui apportèrent mort, désolation et famine aux habitants. À son tour, Galadriel fit pousser davantage de forêts sur la partie Est et rendit le peuple incapable de consommer de la chair animale. Les chasseurs disparurent des contrées orientales et les Terres Libres furent divisées en deux. Les derniers chasseurs au Nord, repoussés plus loin dans les tréfonds d’Oneiris par les neiges, et un peuple pacifique et respectueux de la faune et de la flore à l’Est.
La Déesse du temps, Kan, punit la couronne Tharros pour sa trop grande ambition en figeant les mers de l’océan de l’Ouest. Le royaume fut ainsi privé de son commerce maritime pendant plus de cent cinquante ans, provoquant un violent déclin qui l’obligea à maîtriser ses dépenses et à cesser son expansion. Et, finalement, Eon, Dieu de l’espace, étendit le désert des Terres du Sud pour compliquer les transits de l’empire des Samay.
Les humains furent ainsi punis de l’outrage qu’ils avaient commis envers les Dieux.
De ce jour-là, les hommes retinrent la colère des divinités qui frappa Oneiris et les bouleversements qui en découlèrent. Les paysages furent modifiés, l’empire et le royaume connurent deux siècles de déclin, les Élémentalistes firent leur apparition et bouleversèrent les règles établies. On appela ce jour-là le Grand Désastre.
Aion perdit son statut de Dieu protecteur. Personne ne sut ce qu’il devint après avoir été déchu. Personne ne sut non plus ce qui se passa exactement au Temple de Timoria. Comme aucun des six hommes qui y étaient entrés n’en revint, le Temple de Timoria fut déclaré maudit et personne n’osa franchir le passage qui y menait pour aller retrouver les disparus. Ils furent déclarés morts et le successeur de l’impératrice Kala, à savoir sa nièce, et celui du Roi, son fils, prirent la direction de leurs Terres respectives.
Dayen s’exila et erra sur les Terres d’Oneiris sans jamais révéler son ancienne identité. Cependant, là où il allait, le malheur s’abattait.
On le nomma alors Calamity. Dieu mineur du désastre.
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