Épilogue

5 minutes de lecture

Au cœur du continent d’Oneiris, 3è mois de l’été, Temple de Timoria, Le Noyau.

Aion ne faisait plus attention aux étoiles qui scintillaient, au soleil qui apparaissait puis disparaissait, aux plantes qui grouillaient à ses pieds, comme impatientes de retrouver leur créateur. Penché en avant et avachi sur une pierre, les yeux dans le vague, il laissait sa conscience vagabonder. À chaque instant, il maudissait les dieux jumeaux pour leur impertinence. Était-ce seulement la peur qui avait poussé les aînés des cinq Divinités Primordiales à fuir ? Ou s’étaient-ils aussi lassés d’Oneiris, de leur plus belle création ?

Déchiré par le soulagement d’avoir vaincu Calamity, par la colère de n’avoir pas retrouvé son statut et par l’amertume du départ de Kan et d’Eon, Aion ne bougeait plus. À quoi bon cinq cents ans d’attente et d’efforts pour en arriver là ?

— Des Dieux effrayés par de pitoyables Humains ! finit-il par cracher, hors de lui.

De nouveau, il s’affaissa, se sentant honteux de s’être emporté. De pitoyables Humains, certes, mais qui lui avaient volé sa divinité et avaient bien failli le tuer. Son cœur – une jolie création de Galadriel – s’accéléra lorsqu’il songea à Calamity. Le combat avait été intense et serré. Seule la présence des Élémentalistes lui avait permis de venir à bout de son ancien Élu.

L’un d’eux est mort, lui rappela une partie de son esprit.

Le Dieu renifla d’indifférence. Un Humain parmi des milliers. Un sacrifice infime pour permettre à l’un des cinq grands Dieux de retrouver sa place.


Aion.

La voix, ferme et féminine, résonna dans l’esprit de Dieu en le faisant tressaillir. Communiquer par la pensée était l’une des facultés auxquelles il n’avait plus accès.

— Galadriel, maugréa-t-il en levant les yeux.

Il marqua un temps de surprise en constatant que la Déesse se tenait devant lui sous sa forme charnelle : une jeune femme rousse et nue dont les yeux brillaient comme les flammes d’un foyer.

— Que veux-tu ? embraya-t-il une fois remis de son étonnement.

T’aider, mon frère, murmura la Déesse d’une voix délicate en s’approchant.

Perturbé par la bienveillance de la divinité après avoir passé tant d’années seul et craint de tous, Aion s’efforça de ne pas se raidir lorsqu’elle tendit les mains vers lui. Ses paumes, douces et chaudes, se posèrent tendrement sur les pommettes saillantes du Dieu. Malgré sa nudité et la fraîcheur de la nuit, Galadriel dégageait une agréable chaleur. Elle était la Vie, après tout.

Aion, reprit-elle en se penchant pour être à la hauteur de son visage. Tiens bon.

— Je… Je ne peux plus, Galadriel, répondit le Dieu déchu en bredouillant, troublé par la présence de son ancienne égale.

Pendant un temps, ils avaient été amants. L’amour était un concept étrange pour les Dieux, qu’Aion avait appris à cerner pendant son séjour sur Oneiris. Leur nature même faisait d’eux des créateurs, amoureux de ce qui naissait grâce à leur conscience. S’aimer entre eux n’était qu’une volonté de création en tandem. Aion n’était plus certain de pouvoir aimer. Néanmoins, il était sûr de pouvoir haïr. Ce dont les autres Dieux étaient incapables.

C’étaient les Humains qui avaient appris la haine à Aion.


Kan et Eon vont revenir, souffla Galadriel en observant attentivement le Dieu déchu.

— Et comment peux-tu en être certaine ? marmonna-t-il en saisissant les mains de la Déesse pour les retirer de son visage.

J’ai envoyé des Humains les chercher.

Aion manqua éclater de rire.

— Mais encore ?

Aion, murmura la Déesse en reculant, troublée par la nonchalance du Dieu.

Il avait toujours eu son côté sarcastique et taquin. Néanmoins, son séjour sur Oneiris l’avait rendu amer et froid. Galadriel se demanda si elle retrouverait un jour le Dieu qu’elle avait connu.

J’ai conclu un marché avec des Humains, insista la Déesse d’une voix assurée. En échange de la vie de l’un d’eux, ils ont l’ordre de retrouver Kan et Eon et de les ramener.

Aion fit tourner en boucle les paroles de son ancienne égale, peinant à y croire. Les Dieux ne passaient pas de marché. Surtout avec l’espèce humaine, la plus égoïste et manipulatrice qu’ils eussent jamais confrontée.

Soudain, tout s’emboita dans l’esprit d’Aion, qui redressa brusquement le cou pour dévisager la divinité de la Vie.

— Galadriel, souffla-t-il en se levant du rocher sur lequel il était assis depuis des jours. Galadriel, qu’est-ce que tu as fait ?

Tu m’as entendue, soupira la Déesse.

— Qui avez-vous épargné ?

À ton avis, qui est mort récemment et méritait de poursuivre son chemin ?

Il y avait dans les iris enflammés de la divinité un soupçon de défi.

— Tu n’as pas fait ça ? gronda Aion en la saisissant par les épaules. Lefk et toi n’intervenez presque jamais dans les règles du monde que nous avons établies. Pourquoi aujourd’hui ?

Parce que c’était nécessaire, susurra la Déesse en posant les mains sur les bras tendus d’Aion. Parce que tu as besoin du retour de Kan et d’Eon. Or, tu sais bien que Lefk et moi-même ne pouvons quitter le Noyau pour les trouver.

Elle marqua une pause avant de poursuivre, comme pour être certaine qu’Aion l’écoutait :

J’ai donc demandé à Lefk de me redonner l’âme d’Achalmy des Dillys pour que je l’insuffle dans un nouveau corps.

Stupéfait par la décision qu’avait pris Galadriel, Aion secoua la tête.

— Tu… tu as enfreint nos propres lois.

Pour te ramener parmi nous, chuchota la Déesse, blessée par la réaction de son ancien égal. Ne veux-tu donc pas retrouver ton statut ? Marcher parmi nous ? Aion, ils peuvent le faire. J’ai confiance en eux… je… j’ai foi en eux.

Aion sentit un rire lui chatouiller les lèvres. Un Dieu qui avait foi en des Humains… La situation avait pris une tournure bien ironique.

— J’espère pour toi qu’ils vont réussir, siffla Aion d’un ton sec.

Ils vont réussir, assura la Déesse d’une voix plus calme. La jeune Occidentale a conscience des enjeux qui pèsent sur son avenir et celui d’Oneiris.

— Alice n’est qu’une enfant, chuchota Aion d’un ton pincé.

Une enfant courageuse et pleine de ressources, ajouta Galadriel dans un murmure. Quant au Chasseur, il est doué. Je le pense capable de marcher au Nord pour retrouver Eon.

— C’est ridicule, siffla Aion en se détournant, la colère lui brûlant les entrailles comme de l’acide.

Ridicule que deux jeunes Humains nous viennent en aide ?

La pique fit rougir d’embarras le Dieu, qui foudroya Galadriel du regard. Des étincelles coururent brièvement sur ses doigts avant de disparaître.

— Ils nous ont déjà trahis. Pourquoi pas une deuxième fois ?

Ils sont moins puissants que ne l’étaient nos anciens Élus, rétorqua la Déesse en secouant la tête. Et, contrairement à Dayen, je ne les sens pas avides de pouvoir.

Dubitatif, Aion observa longuement le visage pur de la divinité de la Vie. Elle avait remis son avenir entre les mains de jeunes Humains. Des jeunes Humains qu’il avait faits souffrir pour parvenir à son but. Pourquoi l’aideraient-ils ?


— S’ils échouent… reprit Aion dans un souffle, que leur arriva-t-il ?

Nous récupérerons l’âme du Chasseur. L’Occidentale sera libre de gouverner.

Galadriel esquissa un sourire furtif.

Ils ont conscience des enjeux. Je pense qu’ils vont tout faire pour réussir.

— J’espère pour eux, maugréa Aion d’une voix rauque.

Avec dépit, il leva les yeux au ciel. Les étoiles, elles, n’avaient pas changé.

— Et pour moi.

Annotations

Vous aimez lire Co "louji" Lazulys ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0