Chapitre 8

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Hana

Après avoir échangé avec les passants pendant près d’un quart d'heure afin de leur assurer que rien de grave ne s’était passé et que ni la police, ni l’ambulance n’avaient à intervenir dans cette affaire, nous avons repris la route avec mon frère.

En constatant l’air penaud de ce dernier, j'ai insisté pour qu'il reprenne le volant, de peur qu'il fasse un blocage ensuite. Mais malgré mes multiples tentatives, il n'a rien voulu savoir. Alors j'ai fini par regagner ma place de conductrice, et le reste du trajet s'est déroulé dans un silence particulièrement pesant. Lors d'un arrêt, Yanis s'est même décidé à quitter le véhicule sans prendre le temps de m'indiquer sa destination, et je n'ai pas eu d'autre choix que d'approuver. De toute façon, ce n'est pas comme s'il avait besoin de mon accord pour agir.

Résignée à abandonner l’idée du supermarché, j’ai donc fini par faire demi-tour pour me diriger vers le campus de ma faculté.

* * *

  • C’est la troisième fois que je me déplace en un semestre ! m’écrié-je en fronçant les sourcils.

Avachie sur son bureau, la secrétaire de la scolarité me toise de ses prunelles sombres comme l’onyx.

  • Pour quel motif ? me demande-t-elle d’un ton indifférent, tout en mâchant un chewing-gum dont le parfum au citron manque de me donner un haut-le-cœur.
  • Je me suis absentée à un contrôle de neurosciences. J’ai apporté mon certificat médical dans les délais mais vous m’avez quand même comptabilisé un zéro injustifié !

Mon interlocutrice continue de me mépriser du regard avant de laisser échapper un profond soupir.

  • Je ne peux rien faire à mon niveau, déclare-t-elle en m'indiquant la porte de sortie.

Je fulmine intérieurement face à son attitude. Je sais bien qu’une simple secrétaire ne peut pas se permettre de changer les notes d’un étudiant sans l’accord préalable du professeur de la matière, mais la moindre des choses, c’est de le signaler dans le respect. Et là, son comportement dépasse littéralement les bornes.

  • Qu’est-ce que je dois comprendre de votre geste ?

La dame se redresse et me fixe, un peu surprise par mon attitude plutôt désinvolte.

  • Je viens de vous expliquer que je ne pouvais rien faire à mon niveau.
  • Vous ne répondez pas à ma question.

Elle hausse les sourcils avant de passer sa main dans ses courts cheveux grisâtres. Elle sort ensuite une feuille blanche en provenance du tiroir de son bureau.

  • Bon, donnez-moi votre nom et votre prénom.

Elle ne fait pas l’effort de masquer son agacement. Elle doit sûrement penser que son misérable bout de papier va me convaincre de quitter la pièce. Malheureusement pour elle, je suis bien plus bornée que mon apparence ne peut le laisser paraître.

  • Pour en faire quoi ? je rétorque spontanément.

Cette fois, elle écarquille les yeux.

Comme si ma question n’avait aucun sens.

Elle doit vraiment me prendre pour l’idiote du village.

Je poursuis alors :

  • Non parce que c’est quand même la troisième fois, sans compter les échanges par mails, que l’on me balade partout avant de demander mes coordonnées pour soi-disant me contacter… Je ne remets pas en question vos capacités, mais j’en viens à me demander si un grand méchant loup ne passerait pas tous les soirs dévorer les informations des étudiants dans le besoin…

Des ricanements en provenance des autres étudiants se manifestent autour de moi. La secrétaire de la scolarité vire au rouge pivoine avant de me fusiller du regard :

  • Je ne vous ai pas manqué de respect à ce que je sache ! hurle-t-elle.

Son timbre teinté d'amertume traduit sa contrariété. Je ne peux m’empêcher de me délecter de ce moment, même si je sais au fond de moi que ce n'est pas bien.

  • Moi non plus. Je ne fais qu’émettre des hypothèses pour tenter de comprendre l’absence de réponses de la part de votre équipe.

Cette fois, une cacophonie éclate et un attroupement d’élèves s’agglutine autour de moi pour soutenir mes propos.

  • On en a marre que vous nous preniez pour des idiots ! déclare soudainement un garçon.

Ses cheveux bruns ébourriffés et ses yeux bleu outremer le distinguent nettement de ses camarades.

  • Totalement ! On veut des réponses à nos questions ! Et des solutions ! ajoute une blonde.

La situation dégénère rapidement sous l’agitation excessive des étudiants. Même si je partage totalement leur frustration, je ne souhaite pas pour autant être à l’origine d’une manifestation. D’autant plus en voyant le visage décomposé et pâle de la secrétaire. Ses lèvres partiellement entrouvertes traduisent sa stupeur et sa peau ruisselle de gouttes de sueur. Franchement, elle me ferait presque de la peine.

  • J’ai compris ! hurle-t-elle de toutes ses forces.

Le bruit de la foule s’éteint progressivement.

  • J’ai compris ! affirme-t-elle une seconde fois comme pour insister. Je vais faire remonter tous vos problèmes au doyen, alors s’il-vous-plaît calmez-vous !

Quelques messes basses s'en suivent. De la surprise, de la méfiance mais également de la joie s’entremêlent dans les bribes de conversations parvenant à mes oreilles. De mon côté, je ne sais pas si je peux réellement faire confiance à cette secrétaire. Le bureau m’a tellement accoutumée aux promesses non tenues que j’ai du mal à garder le bon soupçon. Mais j’imagine que personne ne souhaite vivre un tel épisode de pression une seconde fois dans sa vie. Alors je vais m’accrocher à cet espoir. En espérant que tous nos problèmes soient résolus au plus vite. Si Allah le veut.

* * *

Je regagne le parking de la faculté pour rejoindre ma voiture. Mais je constate rapidement que cette dernière n’est pas accessible. Un autre véhicule est garé devant elle, – une Jeep –, en épi, occupant une place qui n’en est pas vraiment une sur la route. Et obstruant littéralement le passage.

Je soupire d’exaspération face à ce constat. Certes, le campus réunit les étudiants de plusieurs filières différentes, ce qui doit, en les additionnant, les élever à un nombre plutôt impressionnant, mais cela ne les dispense pas d’utiliser le parking correctement. Décidément, cette journée ne s’améliore pas...

Fort heureusement, ce genre d’agissement est loin d’être exceptionnel et nous avons fini par mettre en place un système avec les autres étudiants de la faculté pour nous sortir de ce pétrin. Lors de l’entrée dans le parking, chaque étudiant doit obligatoirement indiquer son numéro de téléphone sur un bout de papier et l’afficher sur le pare-brise de son véhicule, de sorte à ce qu’il soit bien visible. Je m’empresse ainsi de composer le numéro auquel je fais face en priant pour une réponse rapide.

Ce qui n’est pas le cas.

J’appelle une seconde fois.

Plusieurs sonneries retentissent. En vain.

Au moment où je me décide à raccrocher, agacée à la fois par la musique stridente censée me faire patienter et l’attitude insouciante de mon interlocuteur, une voix masculine se fait entendre :

  • Allô ?

Pas trop tôt.

Je me mords la joue intérieure pour m’empêcher de manifester ma colère verbalement.

  • Allô ? je réponds alors d'une voix agacée.
  • Oui ? Je peux vous aider ?

J’ai l’impression d’avoir déjà entendu la voix de la personne. Mais je n'arrive pas à savoir où.

  • Votre voiture est garée devant la mienne. Je suis gênée pour sortir.
  • Je m'excuse pour le désagrément. J'arrive tout de suite.

Sur ces mots, mon interlocuteur me raccroche au nez en me laissant avec un étrange sentiment de confusion. Je décide de fermer les yeux pour me creuser les méninges un instant. Une voix rauque, probablement éraillée par la cigarette, à l’élocution admirable et au ton obséquieux.

Oh non.

Pas de doute possible.

J’ouvre alors instantanément les yeux en réalisant la situation dans laquelle je me suis nichée.

Trop tard.

Naïm se tient face à moi, adossé au mur de béton, les mains dans les poches. Un sourire narquois au coin de la lèvre.

* * *

Mon cœur cogne à vive allure contre ma poitrine. L’idée de me retrouver seule dans un parking souterrain avec ce garçon ne me rassure pas du tout. Et vu la mine patibulaire que son visage arbore, je suppose qu’il le devine parfaitement.

J’essaie néanmoins de camoufler mes angoisses en affichant un sourire hypocrite :

  • Salut Naïm, je balbutie.
  • Salut Hana, rétorque-t-il spontanément.

Il décortique minutieusement chaque parcelle de mon corps avant de m'adresser un clin d’œil :

  • Très jolie tenue. J’aime beaucoup les couleurs.

Génial.

Il ne manquait plus que ça.

  • Merci… je murmure, d’une voix chevrotante.

Il se redresse alors du mur et se met à croiser les bras :

  • Alors comme ça, ma voiture te gêne pour sortir ?

Ma gorge se noue.

Sa question sonne comme une menace dans mon esprit.

Mais je n’en laisse rien paraître et je me contente d'opiner du chef timidement.

  • Tu m’en vois désolé...

L’expression affligée qu’il dévoile sur son visage me paraît presque authentique.

Il s’empresse alors de s’engouffrer dans son véhicule, démarre le moteur et le déplace pour l’écarter du mien. Le chemin est à présent libre. Je reste plantée là, quelques secondes, le temps de réaliser ce qu’il se passe. Est-ce que je me suis simplement fait des films ?

  • Je te remercie...

Je m'apprête à lui tourner les talons pour rejoindre hâtivement ma Clio. Mais au moment où j'effleure la portière de mes doigts, il m'interrompt dans mon mouvement :

  • Attends, Hana !

Je marque un arrêt spontanément, l'estomac noué, et je lui réponds sans prendre la peine de me retourner :

  • Oui ?

Un silence s'ensuit.

L'atmosphère pesante s'installant progressivement dans le parking ne me rassure pas du tout, mais Naïm finit par sortir de son mutisme :

  • Tu sais, je n'ai pas oublié notre petit échange de la dernière fois, à la pharmacie...

Un frisson me parcourt l'échine et mes membres se raidissent.

  • De quoi est-ce que tu parles ?

Je sais très bien de quoi il parle.

  • Allons, Hana... s'écrie-t-il alors. Ne joue pas à l'autruche avec moi !

Aïe.

C'est la première fois que Naïm ne me complimente pas.

Et pas besoin d'être devin pour comprendre que ce n'est pas bon signe.

J'essaie néanmoins de ne pas en tenir compte et d'arborer un air confiant :

  • Je ne fais pas l'autruche. Si je te pose la question, c'est simplement parce que j'en ignore la réponse.

Naïm se met alors à glousser.

  • J'adore !
  • Quoi ?
  • Quand tu réponds de manière aussi ferme, Hana !

Ok.

Là il commence vraiment à me faire peur.

  • Ton autorité naturelle a vraiment le don de te rendre super séduisante...

Je dois déguerpir de cet endroit au plus vite.

Il passe sa main dans ses cheveux châtain, avant de poursuivre :

  • J'ai pourtant essayé de me montrer aussi serviable que possible avec toi... Mais tu passes ton temps à ignorer mes avances... Est-ce que c'est à cause de Yanis ?
  • Quoi ?
  • Je comprends, Hana. Je ne suis pas certain qu'il apprécierait que sa petite sœur flirte avec son ami...

Je le fixe alors, les yeux écarquillés, la mâchoire béante, complètement consternée par ses propos.

  • Mais ne t'inquiète pas, si tu acceptes je ne lui dirai rien...
  • Mais tu as un grain ?

Je me mets à hurler sans le vouloir et mon écho résonne dans le parking.

  • Je n'ignore pas tes avances à cause de mon frère, je reprends plus calmement. Je les ignore parce que tu ne me plais pas, Naïm !

L'espace d'un instant, il s'immobilise, probablement surpris par ma réaction, avant de me jeter un regard noir :

  • Tu commences vraiment à me gonfler, là.

Sa voix dégage du ressentiment.

  • Je n'ai rien dit même lorsque tu m'as humilié devant Jade...

Je crois qu'il fait référence à la préparatrice de la pharmacie.

Celle avec qui il entretient une relation tout sauf amicale.

  • Mais là, tu dépasses les bornes.

Je sens mon cœur s'accélérer encore.

Mes membres tremblent et je serre les poings le long de mon corps pour essayer de me calmer, avant de reculer d'un pas. Ce type est dangereux et je ne dois surtout pas m'amuser à le provoquer.

  • Je suis désolée que tu aies interprété mon intervention de cette manière, je reprends alors pour tempérer. Ce n'était pas du tout mon intention.

Il me lorgne discrètement, comme pour analyser la sincérité de mes propos, avant de rétorquer :

  • Au moins, tu as la sagesse de reconnaître tes torts... Je salue l'effort.

Je lui décoche un sourire hypocrite en priant pour qu'il me laisse enfin tranquille.

Mais il revient à la charge :

  • Mais je crois que ce ne sera pas suffisant pour que j'accepte de passer l'éponge...

Sérieusement ?

Son misérable égo a été touché à ce point ?

  • Tu vas m'accorder une faveur, que je te plaise ou non, d'accord ?
  • Pardon ?
  • Tu m'as très bien entendu.
  • Je ne vois pas pourquoi je ferais ça.

Il contracte sa mâchoire et me foudroie de ses prunelles azur avant d'ajouter :

  • Parce que tu n'as pas vraiment le choix, Hana. Parce que si tu ne m'obéis pas, ce n'est pas seulement à toi que je m'en prendrai.

Une boule se forme dans ma gorge.

  • Ton frère m'apprécie. Et il m'en doit une grosse. Alors je n'hésiterai pas à m'en prendre à lui, si tu es incapable de satisfaire mon désir.
  • Si tu touches à un seul cheveu de Yanis, je te promets que je te tue.

Je me pince la lèvre inférieure pour contenir les larmes de rage remontant progressivement en moi. Je n'arrive pas à croire ce à quoi je suis en train d'assister. S'en prendre à moi, c'est une chose. Mais me menacer de s'attaquer à mon ainé pour satisfaire son misérable égo, c'est vraiment petit et lâche.

  • Ne t'inquiète pas, tout se passera bien si tu m'obéis...

Le ton qu'il emploie manque de me donner un haut-le-cœur.

  • Qu'est-ce que tu me veux ? je lui demande alors, d'une voix éteinte.
  • Je t'expliquerai tout en temps voulu. Maintenant que j'ai ton numéro, je peux te contacter.

Il me décoche un clin d'œil mutin tout en me montrant son téléphone avec fierté.

  • Et prends garde à ne parler de notre petit deal à personne... Si j'apprends que tu as ouvert ton clapet devant qui que ce soit, je te promets que tu le regretteras toute ta vie.

Il balance cette menace en l'air, comme s'il n'en réalisait pas la portée, alors que ces mots raisonnent en moi de manière plus violente qu'un coup de poignard.

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