Epilogue

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Hana

Adossée confortablement contre l'oreiller du lit de Reda, j'achève ma lecture d'un article de presse sur les dernières avancées des neurosciences.

Je fais souvent ça, en ce moment. Emprunter son double de clé pour me faufiler dans son appartement. Reda passe la majeure partie de son temps dans sa nouvelle entreprise, une petite boîte dans le domaine des applications mobiles qui lui a proposé une alternance pour sa dernière année d'études, alors je profite de son absence pour occuper son espace. En même temps, il faut dire que sa chambre au style minimaliste est vraiment parfaite pour étudier. Bien meilleure que n'importe quelle bibliothèque universitaire que j'ai pu tester par le passé.

La tête de Sweety surgissant entre mes jambes m'arrache soudain de mes pensées. Je m'empresse de soulever son corps pour le caresser, avant de lui tendre la gamelle de croquettes au thon que j'ai disposée à son intention sur la table de chevet. Ce sont ses croquettes préférées. J'ai eu le temps de toutes les essayer, depuis que sa propriétaire a déménagé, sans évidemment prendre la peine de l'embarquer. Reda s'est alors proposé de l'adopter et je dois avouer que ça m'a vraiment comblée. Avoir un animal de compagnie, plus particulièrement un chat, a toujours fait partie de mes rêves secrets. Mais mes parents n'étaient pas vraiment d'accord avec cette idée. Alors maintenant que je suis mariée, je peux enfin réaliser ce souhait.

Je m'apprête à entamer la lecture d'un nouvel article scientifique, lorsque le bruit de cliquetis de la serrure de l'entrée m'interpelle. Je relève la tête pour jeter un coup d'œil à l'horloge fixée sur le mur. Dix-huit heures. Tiens, il est en avance aujourd'hui.

Je l'entends balancer brusquement son sac dans le hall, avant de débarquer dans l'embrasure de la porte de sa chambre.

  • Hey ! s'exclame-t-il d'un air enjoué.

Je le dévisage un instant.

Ses cheveux ébouriffés tombant sur son front m'indiquent qu'il s'est précipité pour rentrer.

  • Hey... je lui réponds alors. Tu as fait vite.
  • Oui, j'ai demandé à quitter plus tôt exceptionnellement.

Sur ces mots, il s'empresse d'ôter sa veste en cuir pour la balancer sur ses draps.

  • Reda ! je m'écrie alors, les sourcils froncés.
  • Quoi ? me demande-t-il innocemment.
  • Je t'ai déjà dit d'arrêter de jeter tes vêtements de ville sur ton lit !

Ma remarque le fait rouler des yeux.

  • Tu sais très bien qu'ils regorgent de bactéries ! je surenchéris.
  • Arrête avec ta paranoïa, Hana...
  • Mais ce n'est pas de la paranoïa !

Reda laisse échapper un soupir, avant d'ajouter :

  • De toute façon, c'est mon lit. Alors qu'est-ce que ça peut te faire ?

Je lui adresse alors un regard noir.

  • C'est aussi le mien, maintenant.

Je lui balance cette affirmation tout en prenant soin de tendre mes jambes sur ses draps, comme pour marquer mon territoire. L'espace d'un instant, Reda me fixe alors de ses yeux écarquillés, faisant mine d'être offusqué, avant d'esquisser un sourire mutin.

  • Tu prends un peu trop tes aises à mon goût, déclare-t-il.
  • Rappelle-toi de la règle : tout ce qui est à toi est à moi !

Le sourire incurvant le coin de sa lèvre s'agrandit.

Sans crier gare, Reda se met alors à empoigner une de mes jambes pour m'attirer vers lui. Sous le tintement strident de ma chaîne de cheville, – un bracelet en or rose qu'il m'a offert pour l'Aïd dernier –, je pousse un cri de surprise et tente de me débattre. Mais ma force est ridicule comparée à la sienne et bientôt, c'est tout son corps qui me surplombe.

  • Puisque tout ce qui est à moi est à toi, commence-t-il sarcastiquement, et si tu me laissais te rendre tes affaires ?

Il récupère alors la veste en cuir dont il s'était débarrassé pour la brandir juste au-dessus de mon visage.

  • Arrête ! je m'exclame. C'est déloyal !

Sans prendre la peine de réagir à ma remarque, il continue alors de me narguer.

  • Elle a touché la chaise de mon bureau, la barre métallique du métro...
  • Stop ! Ça me dégoûte !
  • La table du restau aussi...
  • J'ai dit stop !

Sur ces mots, je presse ma main contre ses lèvres pour lui intimer de se taire.

Reda me regarde alors, silencieux, en attente d'une seconde réponse que je finis malgré moi par lui donner :

  • C'est bon, tu as gagné ! Balance tes habits dégueux où tu veux !

Je l'entends ricaner de satisfaction discrètement.

  • Mais ne me fais plus jamais ça, bon sang ! Compris ?

Il jette de nouveau sa veste dans un coin du lit avant de lever les mains en l'air, en signe de reddition.

  • À tes ordres, princesse.
  • Tu parles !

Je profite de ce moment de répit pour me dégager de son étreinte, lorsque le son d'une notification m'interrompt dans mon mouvement. Incrédule, je regarde Reda fouiller nerveusement la poche de son jean pour en sortir son téléphone. En découvrant son écran, l'expression de son visage change alors brutalement, passant de l'euphorie au malaise.

  • Qu'est-ce qui se passe ? je lui demande spontanément.

Mais Reda ne me répond pas immédiatement.

Il se contente de se frotter la nuque maladroitement, le teint bientôt blanc.

  • Reda ! je m'exclame alors en posant mes mains sur ses joues pour l'obliger à me fixer.
  • Hana... marmonne-t-il, confus.
  • C'est lui, c'est ça ?

Le brun acquiesce timidement.

Je m'approche alors d'un pas pour le serrer dans mes bras et il plonge son visage dans le creux de ma nuque avant de me rendre mon étreinte.

  • Ça va aller, Reda...
  • Je ne l'ai pas revu depuis des années, Hana...
  • Je sais, mais n'oublie pas que je suis avec toi.

Ses membres tremblent.

J'en profite alors pour parsemer son cou de baisers et prier pour que ça puisse le calmer.

Effet escompté.

Quelques secondes plus tard, Reda a effectivement arrêté de frissonner.

Il se redresse alors avant de reporter son attention sur moi.

  • Il a sûrement refait sa vie entre-temps...
  • Et alors ?
  • C'est presque un inconnu pour moi, maintenant...

Sur cette remarque, je fronce le nez.

  • Ce n'est pas un inconnu, c'est ton père. Et peu importe ce qu'il t'a fait subir par le passé, il mérite quand même de rencontrer la femme que tu as épousée, Reda.
  • Je sais... grommelle-t-il dans son coin.

Depuis le divorce de ses parents au lycée, Reda m'a confié que sa relation avec son père s'était pas mal dégradée. Ayant fait le choix de vivre avec sa mère pour la protéger, ils se sont peu à peu éloignés. Et même si son père lui a proposé son aide pour louer cet appartement étudiant, je crois qu'au fond, Reda ne lui a toujours pas pardonné de les avoir autant brisés.

Je laisse échapper un soupir de frustration. Je ne peux pas vraiment en vouloir à Reda de réagir comme ça. Après tout, je n'ai moi-même jamais vécu une telle épreuve. Cependant, sans que je ne sache pour quelle raison, mon intuition me susurre constamment de pousser mon mari à renouer le lien avec son père. Peut-être parce que mon cœur sait à quel point les liens du sang sont sacrés dans la religion.

C'est en partie pour cette raison que j'ai demandé à Reda d'organiser une petite soirée de rencontre, juste tous les trois. Même si pour être honnête, ça n'a pas été facile du tout. J'ai dû batailler durant des semaines pour réussir à le convaincre.

  • Le pardon, Reda... je reprends pour tempérer. Tu te souviens ?

Parmi les arguments que je lui ai énoncés pour le persuader, celui de la place du pardon dans la religion a été le plus frappant. Si Allah pardonne n'importe quelle faute à celui qui le demande, qui sommes-nous pour refuser de faire preuve de miséricorde ?

  • Plus facile à dire qu'à faire, maugrée le brun.
  • C'est pour ça que la récompense est encore plus grande derrière !

En constatant que je ne me laisse pas démonter, Reda m'adresse un regard sceptique.

  • Comment est-ce que tu fais pour garder le bon soupçon ?

Sa question a le don de me faire glousser.

Parce que ce n'est certainement pas pour mon bon soupçon que Reda m'a repérée.

Je me souviens encore de l'appréhension que j'ai ressentie le jour où Yanis m'a annoncé qu'il s'était fait un nouvel ami. Du jugement que j'ai automatiquement porté sur lui, alors même que je ne l'avais jamais rencontré, en l'assimilant injustement à Naïm. Je me souviens encore de ses regards noirs, de ses remarques que je ne comprenais pas. De la colère et de la frustration que j'ai endurées.

Mais je me souviens aussi de l'épisode à l'Astre. De cet homme qui s'est permis de me juger et de me calomnier. Du transfert qu'il a probablement effectué. Je me souviens des nombreuses soirées durant lesquelles j'y ai repensé après, des nombreuses soirées durant lesquelles je me suis demandée ce qui m'avait finalement différencié de lui.

Rien.

Soyons honnêtes, j'ai moi-même jugé Reda. Je l'ai jugé et je l'ai calomnié en le traitant d'abruti sans avenir. Et même si j'ai reconnu mes torts et que je me suis excusée auprès de lui, je crois que c'est seulement en vivant une situation aussi similaire et concrète que j'ai vraiment saisi l'ampleur de ma réaction et que je l'ai regrettée.

Alors je me suis fait une promesse. Je me suis jurée de ne plus jamais juger sans rencontrer. Certes, le père de Reda a fait des choses répréhensibles, et je n'en voudrais jamais à son fils de ne pas réussir à les oublier. Mais je ne me permettrai pas de l'étiqueter et encore moins de le condamner. Surtout pas avant de l'avoir rencontré.

  • J'essaie de rattraper mes erreurs, je réplique alors légèrement.

Sur cette remarque, Reda laisse échapper un rire franc.

Ravie de le voir retrouver sa gaieté, je mêle mon rire au sien.

Durant un court laps de temps, la tension s'échappe de la pièce.

Jusqu'à ce que Reda revienne de nouveau à la charge.

  • Je crois qu'il est devant l'appart, m'indique-t-il en grimaçant devant son écran.
  • D'accord, je te laisse lui ouvrir en premier.

Il se relève alors complètement du lit pour quitter la chambre, avant de s'arrêter et de se retourner vers moi. Je le dévisage en silence, décontenancée par son comportement.

  • Tu as oublié quelque chose ? je finis par demander, incrédule.

Reda opine du chef.

Je l'observe alors s'approcher de la pièce pour récupérer son oubli, mais à ma grande surprise, c'est vers mon visage qu'il se dirige. Je n'ai alors pas le temps de murmurer quoique ce soit qu'il attrape mes joues pour me voler un baiser. Les joues en feu, je me contente de le fixer de mes yeux écarquillés. Ce n'est pas dans ses habitudes de m'embrasser aussi furtivement.

Je m'apprête à rouspéter, même si je mentirais si je disais que je n'avais pas apprécié. Cependant, je me ravise instantanément en l'entendant me susurrer :

  • Merci Hana...

Hein ?

  • Merci d'être la femme que tu es...

Je soutiens ses prunelles, embarrassée par son honnêteté.

  • Une femme qui me pousse sans cesse à m'améliorer.

Il disparaît alors de mon champ de vision et quelques minutes plus tard, je l'entends s'émouvoir dans le hall en retrouvant sa figure paternelle. C'est à ce moment précis que je comprends que de nouveau, mon intuition ne m'a pas trompée. Une nouvelle page de son livre s'apprête à se tourner. Une nouvelle page de notre livre. Avec son lot de nouvelles épreuves, mais également de réjouissance et de bonheur.

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