Chapitre 7 - Appel

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Je ne suis finalement pas allé au lycée aujourd'hui. Je suis restée chez moi. J'ai mis énormément de temps à arriver à la maison. Je m'attendais à me faire rabrouer en rentrant, j'ai donc prie mon temps. De toute manière, il ne sert à rien de se dépêcher quand on est en retard, cela ne fait qu'aggraver les choses. En plus, tout au long du trajet, un mal de crâne seulement soutenable me dévorer le restant de mon énergie. Arrivée à la maison, je me suis effondrée sur le canapé, même pas surprise de ne pas entendre mes parents me disputer par mon absence de la soirée de la veille et dû fait que je ne suis pas rentrée de la nuit. Je n'ai même pas eu le temps de savoir qui était à la maison. Mon frère ? Mes parents ? Un chat ? Je n'en ai aucune idée, je suis tombé dans le sommeil, comme si l'on m'avait assommé de fatigue. Je ne me suis peut-être pas remise entièrement de mon traumatisme... Sans compter que je me suis mise à réfléchir sur le chemin. Peut-être était-ce de trop, et que mon crâne n'a pas supporté. En tout les cas je dors. Je dors profondément, avachi sur le canapé de la maison. La télé, en fond, me retient un instant à la réalité avant que je ne sombre. Et pourtant, je pense toujours. Peut-être est-ce à cause de la télé, en fond, qui raisonne dans mon subconscient. Je pense donc… Mais je vois aussi...

*****

J'ouvre les yeux. La lumière me brûle les iris, je suis obligée de cligner des yeux pour pouvoir m'habituer à la luminosité du lieu. Je suis dans une forêt, très verte. Le sol est recouvert de mousse, les arbres varient du sapin au chêne, vieux de quelques siècles. Elle ne ressemble pas du tout à celle que je connais qui se trouve en haut des collines qui entourent la ville. Cette forêt semble beaucoup plus ancienne, comme celles décrites dans les livres, une forêt vierge. La lumière du soleil y entre comme dans une maison, même mieux que cela. Il est flamboyant dans cette forêt, donnant des couleurs magnifiques, pétillantes, donnant de la vie et du mystère à ce lieu paisible. Cette fois, je suis matériellement présente, je touche les troncs recouverts de mousse. Et je sens l'humidité les recouvrant et la rugosité du bois. Je sens le vent qui souffle dans les branchages, j'entends les oiseaux chanter, et les autres bruits que produit le passage des petits habitants de la forêt. J'ai envie de rester là, de m'asseoir dans l'herbe humide pour l'éternité, et d'écouter la vie continuer son cours paisiblement. J'ai envie de rester là, loin de tout. Mais quelque chose vient me frôler le cou. Un souffle, et ce n'est pas celui du vent. Il est chaud et humide, un souffle de bête. Je frémis et je ressens à nouveau la peur me tétaniser, une peur animale. La forêt ne semble plus aussi paisible, comme si le danger que représentait un prédateur m'était revenu à l'esprit.

- Retourne toi, Gardienne...

Je reconnais cette voix !

Je me retourne d'un coup, le cœur battant sous ma poitrine. Je soupire à la vue de la créature qui se tient devant moi, et je remercie l'arbre qui se trouve juste derrière moi, me retenant de tomber. Car cette créature écailleuse fait trois tête plus que moi, même d'avantage. Elle possède deux cornes sur le crâne, quelques touffes de pelages lui cachant un peu ses yeux d'un violet pur, clair, limpide, brillant, lumineux. Une créature possédant des grosses pattes griffues, des griffes luisantes et coupante comme de l'acier. Elle a également deux grandes ailes membraneuses sur le dos, rangées bien contre ses flans. Sans compter la queue qui s'agite doucement, effleurant la mousse et faisant voler les quelques feuilles mortes au sol. Son souffle chaud, presque brûlant, sortant de ses naseaux forme un filament de fumée grise, légère et brûlante. Je frissonne un peu plus, et regarde furtivement autour de moi pour voir s'il n'y a pas quelqu'un pouvant m'aider. Ou même espérant trouver le propriétaire de la voix tellement familière à mes oreilles qui vient de parler.

- Je suis la personne en question. Je suis toi et tu es moi. Nous ne sommes que deux fragments d'une même âme...

Je glisse doucement sur la mousse de l'arbre contre mon dos, avant de m'écrouler au sol. Le dragon – car c'est bien un dragon – d'un blanc pur, presque argenté, baisse son long cou vers moi pour se mettre à ma hauteur. Je le regarde, perdue, mais rassurée par la voix. Je ne sais vraiment plus où je suis, qui je suis, ce que je dois faire, comment réagir. Et je me pose désormais des questions, trop pour les formuler clairement. Je regarde toujours le dragon en face de moi et je cherche quelque chose à lui dire. Et je pense, je réfléchis mentalement, sans me rendre compte du brouhaha que je provoque.

- Je peux t'entendre, jeune Gardienne, même tes plus intimes pensées. Pardonne moi si je les perçois... Mais pour le moment tu ne les cache pas assez bien.

- Qui es-tu ? Que me veux-tu ? dis-je à haute voix, le bruit raisonnant entre les feuillages, et le silence s'installant, comme si aucun animal n'était plus présent.

- Je me nomme Skandra. Je suis l'un des derniers représentant de mon espèce. Mon espèce ayant décidé d'avoir un représentant au Grand Conseil - comme les espèces les plus puissantes –, je descends d'une lignée qui souhaitais guider les humains. Je suis le gardien de cette lignée... Je suis ton Alteran, Kira Donor...

Et à ces mots, je sombre de nouveau dans les ténèbres, disparaissant douloureusement de cette oasis mentale.

*****

Je me réveille d'un coup, en sursaut. La maison est vide, je suis allongée sur le canapé, une couverture me recouvrant les jambes. Je me lève doucement sentant une douleur dans chacun de mes membres, mais particulièrement dans mon bras droit. Je lève ce dernier, et retire ma manche. Ma marque luit légèrement, mais cela est suffisant pour provoquer une douleur aigu, insupportable. Je sens l'énergie, de nouveau, affluer et circuler dans mes veines, chauffer ma peau, jusqu'à arriver à mes mains où quelques flammes apparaissent aux bouts de mes doigts. Impossible de les contrôler ou de les éteindre. Je décide de me lever du canapé pour éviter de brûler le tissu de ce dernier. Jusqu'à ce que je sente l'odeur âcre du feu et que je découvre la couverture dans ma main, que je lâche immédiatement. Puis je tape mon pieds pour éteindre le peu de tissu qui a commencé à s'embraser. Je finis par garder mes mains en l'air, attendant que la douleur se calme et que l'énergie qui passe dans mes veines s'arrête. Sans succès.

- Kira... J'ai besoin de toi... Ma Gardienne...

Je frissonne. C'est comme si cet appel était irrésistible. Mon cœur se met à battre à une vitesse affolante. Je reconnais cette voix, je sais à qui elle appartient. Le dragon. Son appel me submerge, comme s'il m'était vitale que j'y réponde. Je saisis mon sac, une fois que je suis sûre que mes mains ne sont plus aussi brûlantes. J'ai toujours quelques petits trucs utiles à l'intérieur, je ne l'ai pas vidé hier. Et je décide de sortir. Je ne vérifie pas vraiment la maison, ni si mes parents sont bien là, ou si mon frère est dans sa chambre, j'ouvre la porte et franchis le seuil sans me poser de question. Comme si tout mon corps et même mon esprit étaient hypnotisés par ses mots. Je ne sais trop où aller, mais mon instinct me dit que je doit aller vers la forêt où Sky m'a fait son premier discours. Là où toute cette histoire a commencé, un retour aux origines plutôt étrange. J'essaie de contenir mon énergie. J'ai une énorme envie de courir, ayant envie de me hâter. Mais mon corps, lui ne réponds pas à cet appel spirituel, je reste maîtresse de mes gestes. Pourtant, je ne peux arrêter de marcher. Je ne pose plus vraiment de questions. En fait, au fur et à mesure que je me rapproche, j'ai envie de voir, j'espère le voir, regarder la créature, toucher ce dragon. Comme si j'étais encore dans mon rêve. Je marche donc à pas cadencés vers le lieu où me mène cette envie, cet instinct. Plus je me rapproche, plus j'ai l'impression que mon bras prends feu. Pourtant, ce n'est qu'une illusion, car seul ma marque s'illumine et devient de plus en plus vive, mais les flammes n'apparaissent pas. Et je ne m'en soucis pas vraiment, et j'avance, toujours aussi obnubilée par ce seul appel. Jusqu'à ce que j'arrive devant la lisière de la forêt. Cette même forêt où je suis entrée l'autre soir. Où tout a commencé. Et je vais y entrer une seconde fois, ne sachant pas trop ce qui m'y attends. Désormais, je n'ai plus d'autre choix que de m'y engager. Je le sais, je le sens. Je regarde encore les ombres, non plus effrayantes mais attirantes, des branchages et des arbres. Je fixe encore un moment ce lieu. Puis je regarde tout autour de moi, vérifiant que personne n'est là, ou que Sky ne se cache pas dans un coin, me demandant également ce que ma vie deviendra après que j'ai franchis la lisière des ombres. Je n'ai toujours pas choisi en ce qui concerne mes proches, ma famille. Ce choix dont m'a parlé Sky, et que je suis incapable de faire. Que deviendraient mes parents ? Qu'est-ce que je deviendrais? Est-ce que je tiendrais le coup ? Ils sont tout ce que j'ai...

- Tu auras tout le temps d'y penser plus tard. J'ai besoin de toi, Kira Donor, m'encourage la voix qui raisonne dans mon esprit.

Je secoue la tête – ne sachant pas si je cherche à chasser cette voix, ou à me remettre les idées en place – et je franchis le seuil du non-retour. Rentrant de nouveau dans cette forêt, les ombres me recouvrent de ce manteau d'un vert protecteur, me rendant invisible désormais au reste du monde. Je m'enfonce dans la forêt sauvage, ne sachant pas trop où je vais. Je laisse mon instinct me guider doucement. Cette fois, il n'y a pas de sors étrange pour que je me mettre à l'épreuve, je peux marcher sans passer trois fois au même endroit, sans me perdre. Je ne me souviens pas du chemin jusqu'à l'étang dans lequel je suis tombée. Pourtant, c'est le lieu où je me retrouve au bout d'un long moment de marche en forêt. Ce n'est pas la Lune qui se reflète à la surface de l'eau comme la dernière fois que je suis venu ici, mais le Soleil, brillant, magnifique. De la même manière que dans mon rêve, cette lumière rend l'endroit féerique, bien trop surnaturel. Cela me surprend, et je recule – autant à cause de l'éblouissement qu'à cause de ma prudence naturelle. Je finis par avancer, laissant mes yeux s'adapter doucement à la luminosité de la clairière, bien différente de celle présente en forêt. J'observe et j'écoute, cherchant ce qui m'a fait venir en ce lieu, me rendant compte peu à peu de ce que j'ai fais, de l'endroit où je suis. La peur me fait battre le cœur encore plus vite que mon excitation que je refuse d'accepter. Non, je ne peux m'être rendu ici par envie, pas en toute connaissance de cause. Je me retourne, cherchant à repartir. Mais je me retrouve alors nez à nez – ou plutôt nez à museau – face à la créature. Et comme dans mon rêve, elle m'expire son souffle chaud et humide au visage en guise de bienvenue. J'observe un moment et silencieusement ses écailles légèrement argentée sous la lumière solaire, ses yeux violet profond, clair et limpide, ses cornes blanches comme neige. Je pense rêver une fois de plus jusqu'à ce que la voix raisonne une fois de plus en moi, comme un grondement :

- Tu es venu, Gardienne.

Je ne réponds pas. Je ne sais pas si je rêve, je ne sais pas si c'est réel. Ses grosses narines finissent par me souffler une seconde fois de l'air chaud à la figure. Et la tête massive du dragon se redresse. Si c'est bien la réalité, il me semble plus grand que dans mon rêve. Mais, je me sens moins terrifiée. C'est étrange. C'est comme si je me sentais bien, à ma place, près de lui. Je sais que c'est un mâle, je sais qu'il est âgé, mais que c'est un adolescent – pour des dragons, du moins. Je sens qu'il m'aime bien, et qu'il m'attendait avec impatience. Pourtant, tout cela, je ne le vois pas dans son comportement, ni son visage, ni son regard. Je le sais, c'est tout.

Je finis par soupirer doucement, essayant de calmer les battements de mon cœur qui semble toujours enclin à faire des soubresauts. Je continue d'observer le dragon, jusqu'à ce que je trouve le courage de formuler une phrase, toute simple, mais la seul qui me permettrait de savoir qui il est vraiment :

- Qui… Qui es-tu ?

- Pour toi, Gardienne, je serais Skandra. Mon véritable nom, tu ne le découvriras que bien plus tard. Je suis ton Alteran, finit-il par me répondre, d'un ton clair et sérieux, mais presque amusé.

- D'accord. Alors… Toute cette histoire est réelle.

Le dragon esquisse un sourire radieux – retroussant ses lèvres, entrouvrant sa gueule et dévoilant ses crocs blanc luisant en guise de sourire – et hoche doucement la tête. Je frissonne à nouveau, non seulement à la vue de cet arsenal de dents – ou de tranchoirs – mais aussi en sachant que ce que Sky m'a raconté était vrai. Je ne peux que le croire en ayant cette créature, ce dragon, sous les yeux. J'esquisse un geste de la main, tendant le bras vers cette tête énorme, vers ce corps musclé, vérifiant que je ne rêve définitivement pas. Lorsque je finis par effleurer, du bout des doigts les écailles fraîche du dragon, j'éprouve de la peine, une énorme culpabilité envers Sky, que j'ai rejeté sans me poser de questions. Le dragon – ou plutôt Skandra, car c'est bien son nom – semble sentir cette légère douleur intérieur, et approche son visage du mien, inquiet. Je suis surprise de lire en lui comme dans un livre, et surprise qu'il lise en moi aussi facilement. Je finis par lui sourire à mon tour, lui rendant sa bonne humeur, un peu gênée de l'intimité que j'ai avec cet animal. Toutefois, autant sembler amical avec lui, il ne me veut pas de mal. Je le sais.

- Si je te voulais du mal, je t'aurais déjà dévoré.

- Je le sais, réponds-je, pour lui montrer qu'il n'est pas le seul à ressentir les émotions de l'autre.

- Je peux également entendre chacune de tes pensées, je m'en excuse. Mais, je ne peux rien y faire pour le moment.

- Tu entends ce que je pense ?

- Oui, c'est un peu étrange de voir aussi clairement les pensées de quelqu'un à qui on est lié. Les autres humains, je ne peux pas les entendre aussi bien que toi, essaye-t-il de m'expliquer, mais également de me faire ressentir, et je comprends petit à petit ce qu'il sous entend par être lié à quelqu'un.

- Je ressens chacune de tes émotions et chacune de tes pensées, et cela fonctionne dans l'autre sens, dis-je à haute voix sans vraiment m'en rendre compte.

Je le regarde, surprise. Il semble amusé que je sois aussi réactive. Je sais que c'est lui qui vient de me souffler les mots que j'ai prononcer. Je ne sais pas vraiment comment cacher mes pensées, mais je décide de ne pas lui épargner mes émotions. Je lui envoie alors ma légère colère et mon amusement. Un léger grondement de sa part me confirme qu'il a bien reçu le message. Et j'espère qu'il ne recommencera pas de si tôt. Toutefois, cela ne m'empêche pas de continuer :

- Et sinon, tu peux parler normalement ?

- Je peux faire en sorte que tous m'entendent. Mais je peux également m'adresse à une seule personne en « tête à tête' », comme toi et moi en ce moment. Mais, à toi, contrairement aux autres, je ne peux rien te cacher.

- Comment cela ?

- Tu peux entendre chacune de mes pensées, sentir chacune de mes émotions, connaître la plus intimes de mes souvenirs, toute ma vie, comme si c'était tes propres pensées, ta propre vie.

Je hoche la tête, comprenant certains événements qui m'étaient arrivé par le passé. Comprenant qui me guidait, me conseillait, et dont je n'avais dont je n'avais pas toujours suivis les sages paroles. Je m'en veux tout d'un coup. Ne devrais-je pas lui obéir ? Ou au moins l'écouter et le respecter ? Il ne semble pas gêné par cela, ou ne m'en tient pas rigueur. Toutefois, une autre chose me taraude : Skandra me parle de sa vie, comme si je devais déjà la connaître, pourtant je ne sais rien de lui, alors que lui semble tout savoir sur moi.

- Excuse moi, lui dis-je, sachant qu'il a vue mes penser, je le laisse continuer la suite de la conversation.

- Ne t'en fais pas, je pense que tu as été un peu perturbée ses derniers mois, avec tout ce qui s'est passé. J'essayais de t'aider, mais tu ne voulais pas. Et tu fais bien de réfléchir à cette deuxième questions. Nous ne sommes pas entièrement lié, en effet.

- Comment cela « pas entièrement » ?

- Un Gardien et son Alteran sont liés dés leur naissance. Mais quelque chose les enchaîne l'un à l'autre. Leurs cœurs, leurs esprits, leurs âmes fusionnent et il arrive que certains, au bout de longues années de relations, ne fassent plus qu'un. Il y en a d'autres qui n'y arriveront jamais : deux êtres pas assez proches, pas assez ressemblant, mais ils resteront lié car c'est ainsi. Personne ne sait vraiment pourquoi. Ce lien est celui qui nous unira jusqu'à la mort.

- Cela veut dire que je mourrais avec toi, ou inversement ? demandé-je, un peu inquiète mais surtout intriguée par ce qu'il me raconte, pourtant je comprends beaucoup trop bien ses paroles, même si je sens qu'il me cache encore quelque chose au fond de son esprit.

- Non. Pas dans tous les cas. Ceux qui ne sont pas assez liés l'un à l'autre, comme ceux qui viennent juste de se rencontrer, ou ceux qui ne sont pas assez proche, peuvent être séparé mentalement lors de la mort de l'un des deux êtres. Mais il y a de fortes chances pour que le survivant meurt peu de temps après ou qu'il devienne fou. Cependant, si le lien est fort, toute souffrance, toute douleur, tout bonheur, tout sentiment que l'un ressent, l'autre le ressentira également. Ainsi si l'un meurt, dans la plupart des cas, l'autre le rejoint immédiatement dans les Abysses.

- Les Abysses ? demandé-je, pensant à une métaphore de sa part. Le monde des morts, ou quelque chose qui s'en rapproche ?

- C'est un peu près cela. C'est le monde parallèle à celui des vivants. Celui des esprits et des rêves. C'est là-bas que les réincarnations se font, enfin, c'est ce que les Mages pensent.

- Quoi ?! Il est possible de se réincarner ?

- C'est une théorie, oui. Mais la réincarnation serait une chose aléatoire. Tu peux très bien devenir dans ta prochaine vie… une plante, par exemple.

A ses mots, j'ai envie de sourire, de rire. Je me sens juste un peu stupide sur le coup. Je n'arrive pas à m'imaginer en buisson, en feuille ou quoi que ce soit d'autre. Un brin d'herbe ? Un gland ? A moins que ce soit un beau et grand chêne ? Mais je n'espère rien, Skandra a dit que ce n'était qu'une théorie. Et puis j'ai encore le temps avant de mourir. Enfin, j'espère. J'ai la vague impression que mon espérance de vie vient grandement de diminuer en étant venu ici. Tout d'un coup, Skandra baisse sa tête vers moi, apparemment pressé. Mais qu'est-ce qui l’excite tellement ?

- Que se passe-t-il ? dis-je, voyant qu'il ne répondra pas à mes pensées.

- Il faut partir... Il faut établir le lien, définitivement.

- Quoi ? Mais comment ?

- Entre dans mon esprit, verse une goutte de sang. Que le corps et l'esprit ne fasse qu'un, pour toujours, et...

- … Et à jamais, nous liant. J'ai déjà entendu ces paroles… dis-je alors que les vers raisonnent dans ma tête.

- Peu importe, fais le.

Je cherche alors autour de moi, guidé par l'esprit de mon dragon... Oui, mon Skandra. Il est moi et je suis à lui. Je suis de nouveau comme envoûtée par sa volonté et la mienne qui sont désormais unis. Mais je n'ai aucun objet coupant, ni sur moi, ni aux alentours. Et en plus, je n'ai pas une envie folle de me blesser volontairement. Pourtant, c'est nécessaire, pourquoi ? Je ne sais pas. Puis, j'ai une illumination : mon couteau est probablement encore dans mon sac. Je me mets alors à chercher au fond de mon petit sac en bandoulière. Mais Skandra est plus rapide que moi. Il me pousse légèrement d'une patte pour que je me tourne vers lui et que je m'approche. Avant de me transpercer le bras de ses crocs lorsque je me retrouve à sa portée. C'est le bras droit, ma marque. La douleur est fulgurante. Je hurle alors de souffrance. Mon cri raisonne dans toute la forêt, faisant s'envoler quelques oiseaux terrifiés. Jamais je n'ai ressentit cela, et j'espère bien ne plus jamais le ressentir. Tous mes neurones sont remplis de douleur, mes veines se remplissent de cette énergie qui m'enflamme les os, les muscles, la peau. Plus jamais ! Je n'ose même pas regarder mon bras, qui doit être en sang, avec un énorme trou au plein milieu. Et cette marque, noire qui multiplie la douleur. Mais je arrêter le saignement avant d'en perdre trop. Je finis par regarder. Le sang rougit peu à peu mes vêtements, mais aussi les écailles argentées de mon dragon qui me maintient près de lui. Je me le tiens, essayant dans un vain espoir d'arrêter l’hémorragie. Je me tourne vers Skandra qui me fixe, paniqué, ne sachant pas quoi faire pour m'aider, pour faire cesser cette douleur qu'il ressent aussi. Je regarde une dernière fois l'état de mon bras. Il est en sang. La marque est en sang ! Je me sens tomber en arrière, me tasser contre la patte de mon dragon blanc. Tout ce rouge me donne envie de vomir. Je tremble, j'ai l'impression que je vais mourir. J'ai froid. Puis j'entends un souffle ou plutôt un couinement. Je regarde à nouveau Skandra. Il vient de s'ouvrir la peau de son flan avec l'une de ses griffes. Je regarde son sang – en plus du mien – lui souiller les écailles. J'ai envie de hurler de douleur, ressentant à mon tour sa souffrance. Un cri venant de lui autant que de moi. Je ne comprends plus grand chose. Je souffre, cette sensation me submergeant encore plus, je perds pieds. Est-ce l'effet de l'hémorragie qui me fait ressentir cela ? Je ne sais pas, je ne peux pas savoir. Je reste figée, le regardant, je n'arrive plus à bouger les paupière. Je suis pétrifiée de terreur. Je suis persuadée que je vais mourir. Je sens mon énergie me quitter. Mais Skandra s'approche alors de moi et me tend sa plaie.

- Achève moi... lui chuchoté-je, désespérée, souhaitant seulement que cette douleur s'arrête.

- Bois, me dit-il, simplement.

- Achève moi... répété-je, mais je n'ai pas l'impression que c'est ma voix qui résonne à mes tympans.

Finalement, je trouve la force de me redresser – ou est-ce Skandra qui finit par m'aider – ne m'étant même pas rendu compte que j'étais allongé au sol. Je sens l'odeur du sang, ferreuse. Le sang de Skandra est chaud, je le sens aussi. Et son odeur ne me dégoûte pas, au contraire. Lorsque j'arrive à sa portée, et sans aucune énergie, je lèche la plaie une première fois de mon dragon, comme si je cherchais à endiguer le saignement. J'avale le liquide rouge, un goût métallique se propage sur ma langue. Il est brûlant et m'enflamme l’œsophage. Et pourtant si bon. J'en bois encore quelques gouttes avec le peu de force que je garde en moi, alors que je la perd, de plus en plus, de plus en plus vite. Et tout d'un coup, c'est lui qui se met à boire mon sang sur mon bras. Le sang qui me reste dans mon corps, le peu qu'il m'en reste. Je me sens sombrer de plus en plus profondément, à une vitesse vertigineuse, comme si je chutais dans le vide, et je n'ai pas de brise pour me raccrocher. Pas comme lors de ces visions, ou de mes rêves, ou lorsque je m'endors. Mais avant de sombrer dans les ténèbres, j'entends encore une fois sa voix.

- Mêle ton esprit au mien pour ne faire qu'un !

- Comment ? pensé-je, simplement.

Une image de lui se matérialise dans ma tête, si réelle. Bien plus réel que dans un rêve. Il me fait signe de le suivre, c'est ce que je fais, je ne sais pas comment, mais je le fais instinctivement. Et d'un coup, des images défilent, beaucoup d'images, pas celles de ma vie, mais celles de la sienne, la vie de Skandra. Je la remonte à l'envers, partant d'aujourd'hui, le voyant valser entre chasse et surveillance d'une jeune fille par la voie des airs, moi. C'était moi qu'il surveillait. Je vois le moment dans la grande maison, ou plutôt le château, car c'est bien un château, apparemment protéger par quelque chose qui le rend invisible. C'est lui qui m'a montré les images du Hall quand Sky m'a ramené au Refuge et que j'étais inconsciente. Je revois ce moment, de ces mêmes yeux, les mêmes images. Puis je remonte encore, jusqu'au moment où la fille au chewing-gum, Lucia, m'attaque. Et je remonte encore, de plus en plus loin, de plus en plus vite. Sa recherche, celle de son Gardien, de son alter-ego, qui lui sembla si longue, si éternelle. Sa jeunesse, quand il cherchait sa voie. Ce sont les Gardiens qui la lui ont donné, qui l'ont aidé à la trouver. Il me ressemble en certains points. Certains épisodes de sa vie me font penser à la mienne. Il me ressemble. La mort de ses protecteurs, sa famille – ce qui était sa famille pour lui, des humains – partit en poussière. Et je remonte encore plus loin, toujours plus vite. J’atteins les 100 ans de retour en arrière quasiment, je le sais, il est si jeune. Et presque d'un coup, je stop mon retour dans le temps. Au moment de sa naissance, une nuit de Lune rousse. Ma grand-mère m'avait raconté que j'étais née une nuit de Lune rousse également, un point commun de plus, ou une coïncidence. Mais je ne peux pas m'en souvenir. Une attaque, je le vois fuir. Et un garçon vient le secourir. Il est à moitié dans les vapes, fatigué, épuisé. Mais, moi, je peux distinguer les traits du garçon, le reconnaître : Sky. Et d'un coup le noir et un choque. Je rouvre les yeux, la lumière me brûle la rétine. Mais je reviens enfin dans le présent. Skandra est allongé près de moi, lui aussi vient de rouvrir les yeux. Je regarde mon bras par réflexe. La plaie, mais également la marque ont disparues. Je sursaute, et me lève d'un bond, ne sentant aucun vertige dû à la perte de sang, comme si rien ne s'était passé. Skandra me regarde, mais il croit comprendre ce qu'il m'arrive.

- Il ne sert à rien que tu ais peur maintenant. Je suis là. Jusqu'à la mort de l'un de nous deux en tous les cas. Et si ta marque a disparu, c'est ce qui le prouve. Elle réapparaîtra à chaque fois que tu utiliseras ton Pouvoir. Et elle te fera souffrir à chaque fois. C'est une sécurité vitale, elle t'empêchera d'utiliser tes pouvoirs excessivement. Maintenant, tu ferais mieux de rentrer chez toi, d'une part pour te reposer et d'autre part pour éviter que tes parents ne s'inquiètent. Je sais qu'ils sont assez à cheval sur les règles. Et, tu as à réfléchir, je crois, n'est-ce pas ?

- Je sais, réponds-je sans vouloir vraiment y penser.

J'ai une idée en tête, mais je ne sais pas si c'est une bonne idée. Je n'ai jamais essayé, en fait, n'ayant jamais eu de dragon. Mais j'ai vraiment la curiosité de tester. Je le regarde dans les yeux, essayant de lui faire deviner ce que je voudrais de lui, même si je le considère plus comme l'égal de moi, mais bien plus, comme une partie de moi. Il me regarde à son tour de ses yeux violet foncé, pétillants. Je comprends qu'il a la même idée que moi. Sans dire un mot de plus, je saute sur son dos, lui étant couché, je n'ai aucune difficulté à l'enjamber. Je m'installe tranquillement sur son dos, essayant de trouver une position agréable pour le vol qui va suivre. Quand j'ai une mauvaise surprise, ses touffes de poils argentés cachent au-dessous des piques aussi bien aiguisés que ses griffes et ses crocs. Je fais donc en sort de m'installer en évitant de me planter l'un de ses piques dans le dos ou dans les fesses. Puis Skandra se relève et je m'accroche à son pelage pour éviter de tomber. Je comprends très vite que le base de j'ai en équitation va me servir à tenir sur son dos. Quand enfin, il est debout, je me trouve à environ deux bon mètres du sol. Puis Skandra déploie ses ailes, elles semblent énorme vue d'ici. Puis il bat une fois des ailes, provoquant une grande onde qui ébranle les feuillages au sol. Puis un deuxième battement, et je le sens déjà se surélever du sol. Au troisième battement, il est au dessus des arbres, et il s'élève encore. Je regarde la forêt en-dessous, j'ai un peu le vertige, mais j'ai confiance en lui pour me rattraper au cas où. Puis un autre battement, et cette fois, il vole pour de vrai, et fend l'air, doucement pour le moment. Le vent siffle déjà bien à mes oreilles, et, malgré que nous ne soyons pas très haut, j'ai froid. Mais je n'y fais pas attention, l'excitation du moment me réchauffant assez pour me changer les idées. J'essaie alors de lui dire quelque chose à voix haute. Mais il ne réagit pas, même si je suis sûr que par l'esprit, il a très bien compris ce que je voulais. Mais il semble attendre sûrement quelque chose de moi, en compensation peut-être ? En tous les cas j'essaie, plusieurs fois, me concentrant énormément, jusqu'à avoir un sacré mal de crâne, jusqu'à ce que je me mette à crier intérieurement :

- Je t'ai dis d'accélérer !!!

- Pas la peine de crier Kira, je ne suis pas sourd tu sais, surtout pas par ce moyen de communication, me répond-il, amusé.

Avec ce ton rieur, je me doute bien que c'est ce qu'il attendait. Puis d'un coup, je le sens bander ses muscles. C'est comme une fusée qui décolle, il part à une vitesse vertigineuse. Et là, en dehors du vent qui siffle, je n'entends strictement plus rien. Mon estomac rebondit de temps en temps, je devine que je serait malade à l'atterrissage. Mais je ne m'en soucis pas pour le moment, me régalant du moment présent, dans les air, fusant aussi vite, ou même plus vite qu'une simple voiture. Les sensations sont absolument obsédante. Je vois les arbres filer sous nous, aussi petit que des moutons. Au dessus de nous les nuages ne bougent pas énormément, mais eux aussi ressemblent à des moutons, blanc cette fois, pas vert. Je me plaque alors contre le dos de Skandra, pour qu'il aille encore plus vite. Il me chuchota quelque chose par l'esprit, je comprends le sens, et je hoche la tête, par réflexe. Puis, je me régale de la sensation de ses muscles et de sa chaleur. Il se met à faire des figures. J'ai le droit à tout : slalome, looping, virevolte. Je ris, heureuse, je me sens bien pour la première fois depuis des années. Je me sens complète. Je sens son excitation, comme il sent la mienne. C'est un moment magique. C'est un moment de paix, mais un moment excitant. Je vois ma ville dans la vallée. Vue d'ici, elle semble tellement petite, avec le soleil juste derrière, l'éclairant. C'est tellement beau ! J'aimerais pouvoir vivre cette instant éternellement.

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