Chapitre 3 - Chute
Je marche, la nuit vient tout juste de tomber. La forêt me semble encore plus sombre maintenant, je suis dans la pénombre. J'ai l'impression d'être prise au piège, que c'est Sky qui m'a piégée. Je me sens enfermée dans cette forêt, écrasée par tout les ténèbres provoqués par ces branches au dessus de moi. Je m'y suis un peu jetée tête baissée, sans réfléchir, tel un renard dans un collet. En plus de cette obscurité omniprésente, j'ai perdu la notion du temps, j'ai perdu mes repères, je ne sais plus différencier le Nord du Sud, ni où se trouve vraiment ma maison. J'ai l'impression qu'il s'est déjà écoulé une éternité depuis que j'ai franchi ces buissons. A moins que ce ne soit mon stress qui me provoque cette inquiétude. J'avance sans vraiment savoir vers où. J'étouffe, comme si le collet se resserait autour de mon cou à chacun de mes pas. Est-ce cela, le défi ? Me perdre pour pouvoir me retrouver ? Vivante ou morte, étranglée par le piège, étouffée par ma peur dans cette forêt, perdant la tête et mes sens. Je comprends de moins en moins ce qu'il se passe, en fait. Finalement, la peur commence à s'insinuer dans mon esprit, comme si mon instinct sentait un quelconque danger. Comme si ma tête me chuchotait de sortir de ce piège au plus vite. Je m'arrête un instant de marcher, je commence à sentir une douleur sous mes pieds, et la fraîcheur de la nuit me fait frissonner. Cette fois, malgré mon sweat et l'exercice que je fais en essayant de passer à travers les buissons qui entravent le passage, je sens la glace de ma peur me paralyser. Je lève alors la tête dans l'espoir de voir des étoiles, ou la Lune, un quelconque repère. Mais le feuillage des arbres me cache le ciel, je suis comme aveugle. Et pour me faire stresser d'autant plus, j'ai cette impression d'être observée qui est revenue. Même si cette fois la douleur n'est pas présente, j'ai l'impression d'être suivie, épiée. J'ai envie de crier, de hurler tel l'animal blessé et apeurée que je suis. De lui dire d'arrêter de me tourmenter, de lui hurler de me laisser partir, de me relâcher. Mais je sais alors ce qui m'attendra, et l'instinct reprend le dessus. Ce que j'ai vu dans ses yeux était de la détermination, désormais je suis sûre que ce garçon n'hésiterais pas à me tuer. Je veux survivre à cette épreuve.
Je me remets à marcher, surtout pour essayer de me réchauffer, me frottant les bras afin de mieux faire circuler mon sang. Mais plus j'avance et plus j'ai l'impression d'être perdue, plus le piège se ressert autour de moi. Plus j'étouffe, ma respiration devenant saccadée. Je me sens tourner en rond. J'ai l'impression que tout ce qui m'entoure se ressemble. Est-ce une illusion parce qu'il n'y a que des arbres, des feuilles mortes, des fougères ? J'ai l'impression d'être enfermée dans une cage de feuillage et de branches. Un labyrinthe sauvage où il m'est impossible de m'échapper. Soit c'est la peur qui commence à me jouer des tours, car là, je commence vraiment à avoir la trouille. Je tremble, je frissonne, ma respiration rapide accélère mon coeur, faisant vibrer mon corps d'un affolement irrationnelle. La nuit avance sans que je ne sache vraiment quelle heure il est. Je n'ai pas de montre. Et je ne veux de sortir mon téléphone de peur que Sky pense que je triche. Je suis en pleine forêt et je suis persuadée que je ne capte aucun réseau. Impossible donc de me diriger avec les applications de mon téléphone. Enfin, à quoi me servirait une montre si je suis perdue ou un téléphone à part pour dire adieu à mes proches ? Même ma propre logique m'a laissée tomber. Sinon c'est la pénombre qui me fait encore avoir des hallucinations, je préférerais de loin que ce soit cette possibilité là. Je me sens oppressée dans cette forêt, je n'en vois pas la fin, et je commence à oublier le véritable objectif de ce défi !
Après encore une éternité de marche, je m’assois sur une souche, essoufflée, terrifiée. Mes jambes me font souffrir, mais le pire, ce sont mes pieds. Je crois que je suis bonnes pour avoir des ampoules. En plus je suis affamée et assoiffée. J'ai bien pris un sac, mais je n'ai pas pensé à prendre des petits gâteaux. En même temps, je ne pensais pas passer des heures coincées dans un bois ! Je me tourne une fois de plus vers le ciel, et j'entrevois cette fois quelques lumières. Je soupire de soulagement, je ne suis pas totalement coupée du monde.
J'observe autour de moi. Cette fois, je suis sûr de tourner en rond, cette intersection de chemins en étoiles, avec cette souche où je suis assise, j'y suis déjà passée. Quelle idiote je suis ! Mes amis pensant que j'ai un bon sens de l'orientation riraient aux éclats en me voyant galérer dans cette petite forêt. Surtout que j'avais l'habitude étant petite de m'y promener avec ma mère… Est-ce que j'ai oublié à quoi elle ressemblait ? Ai-je oublié les sentiers ? Je continue d'observer les petits chemins, regardant le sol, les feuilles mortes et la boue. Et, je ne sais pas pourquoi, quelque chose m'intrigue. Dans les chemins boueux, je remarque des traces de pas, toujours les mêmes, des traces que je reconnais presque instantanément vu que ces traces sont les miennes, ou plutôt celles de mes chaussures. Elles vont dans les deux sens. Une première preuve que je tournais en rond. Mais d'autres chemins n'ont pas ces traces là, ceux avec les feuilles mortes, je ne pourrai pas dire si j'y suis passé, en ce qui concerne les autres, je pourrais me débrouiller. Je me relève et compte le nombre de sentiers. Il y en a trois que j'ai déjà utilisées, j'en suis sûr, et trois autres qui n'ont pas de preuve. Il ne me reste donc plus qu'à les essayer. J'avance donc vers le premier chemin, boitillant un peu à cause de mes pieds qui me font horriblement mal. Après quelques minutes, je franchis de nouveau les buissons, et cette fois... Je suis toujours au même endroit, les mêmes chemins se proposant devant moi. Mais cette fois, je peux voir mes pas aller dans les deux sens sur le début du sentier. Cette fois, je crois comprendre le principe de ce labyrinthe. Il faut choisir le bon chemin pour passer à la clairière suivante et de nouveau choisir le bon, et ainsi de suite. Un peu comme les jeux d'énigme dont je raffole. Je choisis donc un nouveau chemin, l'un des deux qu'il me reste. Cette fois, par miracle, j'arrive dans une clairière que je ne reconnais pas. Je sens mon angoisse s'envoler un peu. Là aussi il y a plusieurs chemins. J'en choisis donc un, je reviens dans la même clairière, je passe au second. Et je continue à chaque échec, je passe au chemin suivant, sans m'arrêter. J'oublie peu à peu la douleur dans mes pieds, et je me met à courir. Le piège est ouvert et je peux m'échapper. Je sens que je vais pouvoir récupérer ma liberté. L'adrénaline qui commence à circuler dans mes veines dû fait que je suis impatiente de sortir de cette forêt me permet d'accentuer mes efforts. La peur s'échappe de mon cœur. Je prend encore un autre chemin, j'arrive à la clairière suivante. Puis encore un autre, et je ne m'arrête pas. Je sais que je vais le regretter demain matin, mais mon impatience grandit. Ma colère prend place alors que l'excitation me fait accélérer, et une sorte d'heureuse folie s'empare de moi. J'ai hâte de réussir le défi de Sky, hâte de connaître la vérité, hâte de lui montrer que je n'ai plus peur, hâte de lui rabattre son clapé !
Je sens le vent de la course siffler dans mes oreilles, m'ébouriffant un peu les cheveux qui se prennent dans les branches de temps en temps. Mais peu m'importe, rien ne peut plus m'arrêter. Je ferme un peu les yeux pour apprécier sa caresse. Ce vent souffle de plus en plus fort, comme si je m'approchais de plus en plus du but final. Je continue donc de courir de plus en plus vite. Je ne veux plus m'arrêter, j'ai trop hâte d'arriver au bout. La lumière se fait de plus en plus claire, les branches sont moins serrées. Je sais que je suis très proche, je le sens. Et j'accélère encore, sentant mon cœur s'affoler d'autant plus, l'excitation atteignant son comble. Erreur fatale. Car c'est à ce moment là que la lumière m'aveugle au moment de franchir les derniers buissons, et que je me prend les pieds dans une racine. J'écarte les buissons devant moi grâce à mon corps, évitant ainsi de me prendre les branches dans le visage, mais c'est une erreur de plus, car derrière les buissons, il n'y a rien. Rien où je puisse poser les bras, rien pour me rattraper. Le vide. Je suis au bord d'une falaise, d'environ 15 mètres. Et je n'ai absolument rien pour me rattraper. En bas de cette falaise, de l'eau, une grande surface d'eau, luisante, brillante, aveuglante. Et où se reflète le clair de Lune. Je tombe, je me sens partir, et rien ne peux stopper ma chute. L'eau... Mon rêve me revient alors en tête, je bats des bras, au désespoir. Je commence à paniquer, sentant que je vais me noyer, que je ne vais plus respirer. Je panique. La peur revient, et l'adrénaline avec. L'instinct me dicte de survivre, de me débattre, de tout faire pour me sortir de cette impasse.
Mais il n'y a rien ni personne pour empêcher ma chute, alors je vois la Lune qui se reflète à la surface de l'eau se rapprocher, de plus en plus vite, jusqu'à ce que je sente l'eau me toucher, puis me couper la respiration quand je brise la surface si lisse. L'eau est glacée, tellement qu'elle me coupe la respiration un moment. Je coule, mes vêtements sont trempés et pèsent trop lourd pour que je puisse remonter à la surface. Je bats des bras, j'essaie de revenir à la surface, j'agite les jambes. Mais cette fois, ce sont mes chaussures qui se remplissent du liquide, je coule, en même temps que je perd mes forces qui se déversent dans l'eau dans des gestes vain pour remonter à la surface. Peu à peu, je me vide de toute vie. Je fatigue, je m'épuise. Finalement, le collet s'est peut-être refermé sur moi. J'ai échoué. Je vais mourir, étouffée, noyée dans cette eau tout aussi sombre. Je me sens partir, l’inconscience puis la mort vont me remplir. C'est un échec. J'arrête peu à peu de bouger, de me débattre, alors que toute sensation me quitte. Plus de peur, plus d'excitation, plus de volonté. L'oublie.
Quand soudain j'entends une voix, roque, ancienne et sage. Si familière, comme si je l'avais entendu toute ma vie depuis que j'étais née.
''Âme du jour,
Cœur de la nuit.
Gardienne, ainsi
Tu seras toujours !''
Ce chuchotement, si rassurant, me fait comme sourire intérieurement. Un dernier sourire avant de mourir et de sombre. Cette fois, je me sens prête à partir, calmement. Juste parce que j'ai pu entendre cette voix avant de franchir les portes du nouveau monde. Je me sens peu à peu sombrer dans l'inconscient, oubliant comment respirer et comment m'en sortir. J'essaie de me retenir de tomber, mais je suis comme tirée vers le fond, comme dans mon rêve, peut-être pas par des algues, mais c'est tout comme. Je regarde la Lune, la vraie, à travers la surface de l'eau, qui m'éclaire encore. Le froid m’envahit et le piège fini de se resserrer autour de moi. J'étouffe véritablement. Des bulles remontent à la surface. Mon air, celui qui me restait dans mes poumons il y avait quelques instants encore. Je le remplace peu à peu par de l'eau qui me brûle les entrailles. Mais je ne veux plus me battre. Et je coule encore. Puis j'entends un bruit mate venant de la surface de l'eau qui se ride à nouveau, et une ombre passe au dessus de moi, que je ne reconnais pas. Au même moment j'éjecte ma dernière bouffée d'air sous forme de quelques bulles, et je sombre dans les ténèbres.
Annotations
Versions