Seth, c'était son nom
Seth, tel était son nom.
Un avatar contemporain du dieu égyptien de la confusion, du désordre et de la perturbation.
Un prénom qui le prédestinait à semer le chaos.
Brandissant celui-ci tel un étendard, le petit Seth débuta bien mal dans la vie, ou bien, selon comment on voit les choses.
Le petit Seth, dans de pieuses intentions, fut placé en institut catholique, mais il se distingua bien vite en se battant avec les nonnes.
Dans le même temps, sa vive intelligence fut remarquée et il sauta une classe. Mal lui en prit, ou peut-être par excès de clairvoyance, il se désintéressa bientôt de l'institution scolaire, et finit par l'abandonner.
Le petit dieu du mal, devenu jeune adulte, découvrit ébahi la grande musique: le punk hardcore, et les Village People.
Sa vocation lui apparut comme un miracle dans le ciel, sa religion était faite.
Il inventerait le style musical le plus brutal qui soit.
Le noisecore était né.
Le nihilisme artistique était affublé d'un nouveau surnom hautement poétique : Anal Cunt.
A ce tintamarre alliant guitare saturée, batterie anarchique et cris gutturaux, il adjoignit les textes les plus absurdes et provocateurs dont était capable l'imagination humaine.
Il est d'ailleurs étonnant que le politiquement correct ait pu survivre à ce déferlement brutal de bile et de sarcasmes. Etrangement, un public choisi apprécia ce qui avait été conçu pour ne plaire à personne. Les oreilles et les yeux laissaient un sillage de sang à son passage.
Rien n'échappa à son ironie mordante, aucun tabou n'était épargné, tout tombait sous ses grossières épigrammes, il s'en délectait d'ailleurs infiniment.
Entre autres sujets sensibles, il narguait sans cesse la Faucheuse dans ses textes, convaincu de la toute-puissance de son nom divin, mais celle-ci n'était qu'une cible parmi d'autres. Son tableau de chasse se déroulait à l'infini. Je ne peux ici évoquer ne serait-ce qu'un des titres crée par le désormais grand Seth, de peur de me faire bannir de cette communauté pour violation de toutes les règles en vigueur sur ce site.
Seth, pardonne donc ma lâcheté, je me contenterai d'ajouter en fin de texte un hommage qui t'a été rendu par le journal le Monde, où certains lecteurs curieux pourraient découvrir toute la subtilité de tes chansons.
Parenthèse fermée.
Joignant l'exemple à la parole, ses frasques défrayèrent la chronique, il avait déclaré la guerre au monde entier.
Cependant, nombre de ceux qui cotoyèrent Seth étaient frappés de sa douceur et de sa gentillesse qui contrastaient si fortement avec l'essence cruelle de son art.
Prenant à contrepied le monde et d'abord lui-même, il lui adressa un dernier recueil de chansons doucereuses dont les mélodies sirupeuses piétinaient nonchalamment les bons sentiments.
Ultime pied de nez, il s'extirpa des mains de la Camarde, mais celle-ci finit par le rattraper, et encore jeune, il rejoignit son célèbre homonyme dans l'au-delà.
Rarement, la terre avait porté une telle radicalité, elle qui avait pourtant accueilli tant de poètes déchus.
Si les mémoires l'ont aujourd'hui oublié, peut-être qu'un jour, à l'instar du comte de Lautréamont avec ses chants de Maldoror, son talent maudit sera reconnu.
https://www.lemonde.fr/musiques/article/2011/10/18/seth-putnam-requiem-pour-un-troll-musical_5985962_1654986.html
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