Saint Pétersbourg - 4

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Combien de fois ma chère Olga, l’avons-nous remontée, cette perspective Nevski, bras dessus bras dessous… Quand je relis Nicolaï Gogol, un frisson m’envahit.

« A l’entrée de la ville, des octrois bien sûr, et des gardes-barrière. La souveraine de la capitale, c’est la Neva. Aussi la grande artère où bas le pouls de la cité. Rien n’est plus beau que la perspective Nevski, du moins à Saint-Pétersbourg. C’est ici qu’un habitant d’un autre quartier, n’ayant pas rendu visite depuis plusieurs années à un ami habitant le Peski peut être certain de le rencontrer ».

S’étirant sur une longueur de plus de quatre kilomètres, le Nevski est bordé de magasins aux enseignes multicolores mais à l’architecture unifiée, formant une longue perspective. Depuis l’imposant magasin Gostinny Dvor au palais Anitchkov, en passant par la colonnade de la cathédrale Notre-Dame de Kazan … Le Nevski aperçoit, à travers les arcs du Quartier Général, la place du Palais ; il côtoie le square où se dresse, sur son coursier, le tsar fondateur de la ville, et vient se coucher au pied de l’Amirauté, après avoir enjambé dans sa foulée deux rivières et un canal. Au-delà du Nevski, il n’y a plus que la Grande Neva qui sépare la cité de l’île Vassilevski.

Rien ne vaut l’impression de jeunes provinciaux que nous étions, arrivant dans la capitale. Non sans effroi, nous abordions la grande ville qui se découvre à notre regard neuf et nous remplit souvent de terreur. Le Nevski est tout puissant. C’est la seule distraction de Saint-Pétersbourg, par ailleurs pauvre en promenades. Combien sont propres ses trottoirs, et Seigneur ! Combien de pieds y laissent leurs empreintes. Souvenez-vous chère Olga, quelle rapide fantasmagorie se passe sur le Nevski dans une seule journée.

Tôt le matin, les petites gens se pressent d’aller au travail, des gamins en tablier de coton portant bouteilles vides ou paires de bottes cirées, des moujiks à peine éveillés aux souliers si souillés que même le canal Catherine connu pour la limpidité de ses eaux ne pourrait les décrotter. Les rues sont parcourues par des besogneux. C’est le moment où il serait malséant aux dames de s’y promener, car le peuple russe aime à s’exprimer en locutions si fortes, que même au théâtre, elles n’en entendraient pas de pareilles.

Plus tard, de quelque manière que vous soyez vêtu, même si vous avez sur la tête un képi au lieu d’un chapeau, ou si votre cravate sort démesurément de votre col, personne ne le remarquera.

A midi, c’est l’assaut des gouverneurs et précepteurs de toutes nations.

Peu à peu, se joignent aux précédents tous ceux qu’un sort favorable a nanti du titre de « chargé de missions exceptionnelles » et les fonctionnaires du département des Affaires Sanitaires & Hospitalières, qui se distinguent par la noblesse de leurs occupations … Tous ceux que vous rencontrerez sur le Nevski seront des gens « comme il faut ». L’un montre sa jaquette au col de castor, l’autre exhibe ses épaulettes de hussard, le troisième de remarquables favoris sur ses joues, la quatrième une paire de jolis yeux et un chapeau étonnant, la cinquième une bague talisman au petit doigt, la sixième un petit pied chaussé d’un ravissant soulier, le septième une cravate époustouflante, le huitième des moustaches ahurissantes …

Combien de fois, vous prenant par le bras, ma chère Olga, vos mains chaudement pelotonnées dans votre manchon d’angora, avons-nous arpenté la perspective Nevski et flâné jusqu’au crépuscule, attendant que les lampistes, se couvrant d’une natte en grosse toile, montent sur leurs échelles pour allumer les réverbères et, que des fenêtres basses des boutiques, surgissent des chimères qui n’osent pas se montrer pendant le jour ?

C’est alors que nous revoyions quelques-uns des vieillards croisés deux heures plutôt, parcourant le Nevski d’un pas majestueux et noble, qui à cette heure, courent tout comme les jeunes et essaient de glisser un regard sous le chapeau de la dame aperçue au loin, dont les fortes lèvres et les bonnes joues couvertes de rouge plaisent à bien des promeneurs et surtout aux commis des magasins …

La vie coule, paisible, entre deux vodka et trois zakouski ; Olga et moi avons repris les enseignements des grands lamas de notre temps. A l’occasion, nous ouvrons la taverne pour y recevoir en toute humilité l’Agha Khan Gourou et sa suite.

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