Béthylac ou Hommage au jardin des cons

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   Il arriva un matin sur la place du village en pédalant comme un forcené sur son vélo à vocation. Il y croyait fort, à son vélo (et à sa vocation aussi). Il freina et passa presque tête par-dessus cul : un petit dérapage et il atterrit au milieu de la foule déjà agacée du spectacle. C’est qu’ils avaient l’habitude de ce con-là ; ils savaient donc ce qui allait suivre. On entendait déjà murmurer : « Encore lui, encore Claudius... ». Quand le silence se fit, il sortit son judas portatif (modèle « Bouffon 1859 ») du compartiment secret plus si secret de la selle. Ensuite, il sortit une petite bouteille du tiroir du guidon. Il but quelques gouttes devant les yeux ébahis. Il fallait bien reprendre son souffle. Voilà. Il plaça son œil dans le judas, pour mieux voir ceux qui lui faisaient face. Il sourit et s’écria joyeusement :

   — A midi, sur la place, je donnerai sèche-larmes et machines à resserrer les liens, redresseurs de torts et zigouigouis ! Tout gratuit ! Je m’en vais soigner le Signe. »

   — Mais quel con ! cria quelqu’un dans la foule.

   — Exactement ! Je fais tout ça pour les cons ! Je vais planter un jardin, je l’appellerai Béthylac et ce sera le début du Vulvocène ! Je n’ai plus besoin de toutes mes machines. Bonjour !

   Sur ces mots, il lança son judas portatif dans les airs, activa le moteur à l’huile de genou et le vélo s’élança à l’envers.

   Malgré la bravade, Claudius était sensible. En entendant le mot « con » lancé comme une insulte, il sentait la révolte gronder dans son cerveau. Alors, il allait décrocher les croix plantées sur la montagne et il les remplaçait par une pierre marquée du Signe. Contre la mort glorifiée, semer la vie bafouée. Il appelait ça un acte commis.

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   Comme tous les cons, donc, il commettait. Mais que commettait-il ? Des actes, des secrets, des bêtises, des poèmes, des rires et des larmes. A la différence des autres cons, il commettait pour une bonne raison : rendre hommage au con suprême, au con originel : le Signe de la Vulve. C’était ça, sa vocation.

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   Ce jour-là, après avoir tout donné, il gravit la montagne. Ce n’était pas n’importe quelle montagne : pour atteindre le lieu sacré qu’il comptait bâtir, il fallait prendre la direction du Prat d’Albis jusqu’au Pla des Peyres, avant de grimper jusqu’au sommet de Bazillac, sous le Picou. Si vous vous y rendez aujourd’hui, vous en verrez encore des traces bien vivantes, parce que ce qu’il a semé là-bas poussera toujours, en cachette et en poèmes. Pendant qu’il gravissait, il chantait les noms des alentours. Il se retournait sur les A et pirouettait sur les OU. Il courait comme les cons courent. Cependant, plus il s’approchait du futur Béthylac, plus il devenait solennel. Sa démarche se faisait lourde, son âme légère. Il se recueillait.

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   D’abord, il vint avec une pelle et une pierre sur laquelle il avait gravé le signe : un trait, entouré de deux parenthèses. Le Signe Vulvaire. Il creusa la terre et y déposa la pierre avec douceur. Pendant ce temps, il pensait au vivant avec ferveur. Une fois la roche ensevelie et arrosée, ses racines pousseront. La graine germera, étendra dans le sol son rhizome de poésie et d’âme jusqu’au noyau terrestre. Ses tiges jailliront, deux pas plus loin, ou de l’autre côté de la planète et l’humanité en goûtera les fruits. Il croyait à la fécondité des pierres, à leurs histoires immémoriales et leurs vastes pensées. Pour une fois qu’un con avait raison !

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   Il disait toujours qu’il suffisait d’un peu d’imagination, qu’il suffisait de faire son propre chemin. Il disait qu’il préférait écouter jusqu’à l’âme des pierres pour apprendre le respect ; pour célébrer. Il disait qu’il fallait vivre sans les conquérants, les mercenaires et les colons. Vivre.

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   Après avoir embrassé la terre, il planta un totem. A son sommet, deux signes vulvaires, rouge sang. Comme un phare dans la montagne, elles guideraient les aventuriers égarés, les promeneurs insouciants et les somnambules. Ici, Béthylac. Là-bas, le monde endormi. Les vulves traçaient un chemin de cons, une promesse.

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   Jour après jour, son jardin fleurissait : pyramide de vulves, hommage aux générations passées ; arbresses de pierre, étirant leurs branches jusqu’au ciel ; roches gravées, comme autant de signes laissés au futur. Claudius était bâtisseur, Claudius était jardinier. Il ne faisait pas qu’empiler des pierres. Dans l’espace fécond qu’il célébrait, il traçait dans les airs des partitions de cathédrale. Pendant que les sages et les raisonnables se chamaillaient tout en bas, pour beaucoup ou trois fois rien, il déposait des petits cailloux qui racontaient une histoire. Alors, il gravissait, sans éclat, sans gloire, les mains pleines de pierres lourdes de récits à narrer ; il gravait, il plantait, il soignait. Sans relâche, par la force d’un devoir sacré à accomplir. Parce que c’était beau. Il était con comme ça, Claudius. Et il murmurait en ouvrant une énième lettre ennemie : « C’est la vie... » et il souriait à ses amis. Il avait compris depuis longtemps que les sèches-larmes étaient une invention bien naïve. Il croyait à l’émerveillement comme à la tristesse.

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   Un jour d’octobre, les menaces jaillirent de sa boîte aux lettres pour envahir Béthylac. Pendant la nuit, l’arbresse aux fruits vulvaires fut abattue à la hache, le panthéon des dames profané, le monument aux vivantes saccagé. Entre les pierres condamnées au mutisme, Claudius essaya de réparer. Il redressa les totems, enterra les mortes, embrassa les blessées. Malheureusement, comme tous les cons, il avait oublié de soigner ses propres blessures. Il ne pouvait plus se reconstruire. Il était fait pour les surrections, pas pour les répétitions. Il écrivit une lettre et il emporta son arme en frissonnant.

   Claudius se tint debout entre les noms d’Olympe de Gouges et de Rosa Parks. Parmi les mille sorcières, il tira tout contre sa tempe. Comme un éclair. Il tomba.

   Il tomba en vulvographe, non pas au champ du déshonneur, mais au flanc d’une montagne de racines.

   Contre son cœur silencieux repose une lettre éloquente.

   Elle contient la douce indignation du con, du fou, de l’artiste.

   Il était mort pour la vie. Et, autour de lui, le jardin des pierres profanées plongeait ses racines au plus profond de la terre.

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   Un jour, nous récolterons ses fruits. Et nous dirons : « Béthylac, nous t’aimons comme il aimait les cons. »



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En hommage à Claudius de Cap Blanc, affabuliste et vulvographe.

« Le constructeur ne fait pas qu’empiler des pierres, il construit dans l’invisible quelque chose de plus grand que lui, comme une cathédrale, et qui, dans le même mouvement, le construit. Ou lui en donne l’illusion. » Claudius de Cap Blanc, « Saccage du Jardin du Vulvolithique », disponible sur YouTube.

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