Chapitre 2

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La présence des gardes derrière lui avait le don de l'agacer, mais à vrai dire, il n'avait pas véritablement le choix. Les pas feutrés se faisaient entendre dans son dos comme un rappel du danger qu'il courait à chaque instant qu'il osait passer hors de ses appartements. Thildaer soupira, et il aperçut à la périphérie de sa vision l'un des gardes porter la main à l'arme qu'il portait à la taille.

— Ça va, ça va, grommela-t-il.

La liberté avait un prix qu'il aurait volontiers payé, s'il s'agissait d'argent.

Il continua de longer les longs couloirs sombres, sa conscience accrue de la clique s'occupant de sa sécurité l'empêchant de s'imaginer seul, comme il aimait tant l'être. Enfin arrivé à destination, il poussa la porte de la bibliothèque royale et s'y enfila sans un bruit. Les pas silencieux le suivirent, inexorablement.


Aemon l'attendait sagement, les bras croisés, observant les jardins que l'on pouvait admirer à travers les grandes fenêtres vitrées. Les arbres aux fleurs exotiques et colorées ne semblaient pas affectés le moins du monde par ce qui avait bouleversé la vie de Thildaer. Après tout, le jardinier venait tous les jours s'occuper d'eux, qui était son patron ou qui était son roi lui importait peu.

Thildaer renifla pour faire connaître sa présence à l'elfe qui lui tournait le dos, mais celui-ci ne broncha pas.

— Maître Aemon, je suis là.

— Je t'avais entendu la première fois, je ne suis pas sourd.

Aemon se retourna et lui désigna deux sièges vides à quelques mètres d'eux. Thildaer s'installa sans protester, et son Maître l'imita.

— Que dit le Conseil ?

— Ne sois pas si pressé, mon garçon.

Le Maître porta les paumes à sa bouche, et chuchota quelques mots incompréhensibles, qui résonnèrent étrangement aux oreilles de Thildaer.

— Je préfère m'assurer que personne ne nous entende, pas même tes petits amis en armure.

Le prince hocha du chef et prit son mal en patience. Aemon prit ses aises, il aimait tester son élève et le pousser dans ses retranchements.

— Le Conseil… Le Conseil est d'avis que tu es encore trop jeune pour accéder au trône. Il s'est dit que ton éducation n'est pas encore terminée et que tu manques cruellement d'expérience pour assumer une telle tâche.

— Le Conseil se trompe, ce ne sont que de vieux bouffons qui veulent…

— À une condition, le coupa Maître Aemon.

Thildaer retomba mollement sur son siège.

— Quelle condition absurde ont-ils trouvée, cette fois-ci ?

— Que tu te maries.

Thildaer poussa un cri de colère, et les gardes se rapprochèrent, leurs regards inquiets et leurs mains prêtes à dégainer leurs épées. Maître Aemon leur fit un signe apaisant de la main et ils retournèrent à leur poste.

— Ne fais pas de vague, Thildaer, siffla l'ancien. Méfie-toi, les murs ont des yeux et des oreilles.

— Me marier ? Mais pourquoi ? Et avec qui ?

* * *

Le Conseil accepterait qu'il monte sur le trône à la condition qu'il trouve une épouse capable de le soutenir dans ses nouvelles fonctions. Et Maître Aemon avait bien une petite idée derrière la tête, mais elle ne plaisait guère au prince héritier. Il ressassait leur conversation dans sa tête, tournant et retournant chaque mot, chaque insinuation, mais aucune brèche ne semblait vouloir s’offrir à lui.

La porte de ses appartements se tenait devant lui, le bois d’un brun chaud brillant sous le reflet du soleil qui martelait le royaume depuis des semaines. Il posa la main sur la poignée, un instant hésitant, puis finit par céder à la tentation.


Aesop était affalé sur le vieux fauteuil parme délavé devant la cheminée heureusement éteinte. Il faisait une chaleur étouffante entre les quatre murs de la chambre de Thildaer, au point qu'Aesop avait même délacé le dessus de sa vieille chemise militaire en lin.

— Quand est-ce que tu vas te débarrasser de cette horreur ? lança Thildaer en refermant la porte au visage des gardes.

— Parle mieux que ça de mon accoutrail, ou je te coupe la gorge mon ami !

Il se leva et parada tout en secouant le tissu sur son torse humide de transpiration.

— Dis voir, j'ai déniché un coin encore frais, en dessous des cuisines, c'est un…

— Oui, c'est un vieux garde-manger désaffecté, je sais. J'y passe pas mal de temps quand j'ai envie d'être seul.

Aesop se renfrogna.

— J'espérais être le premier à trouver notre future salle de réunion secrète.

— Sauf que je suis le prince, je sais tout de ce qui se passe entre les murs de ce palais.

— Oui, enfin, à quelques exceptions près.

Le garçon aux cheveux couleur noisette laissa planer entre eux les récents événements, et ce fut au tour de Thildaer de se renfrogner.

— Tu as raison, peut-être que… Et puis je vais devoir redoubler de prudence, surtout si Maître Aemon me fiche une niaise entre les pattes.

— Une niaise ?

Aesop se rapprocha du prince et passa son bras autour de son épaule. Thildaer se jeta dans le fauteuil, un soupir lourd de sens échappant de ses lèvres carmin.

— Le Conseil exige que je me marie afin de monter sur le trône. Une sombre histoire de soutien dans mes fonctions. Je crois surtout qu’ils veulent quelqu’un pour m’espionner sans se mouiller eux-mêmes.

Aesop caressa les cheveux d'un rouge profond du prince et y laissa longuement la main, laissant ses doigts flirter avec les mèches folles.

— Si je ne me marie pas, ils prétexteront que je suis trop jeune, trop incompétent, trop naïf, ils me feront passer pour un écervelé et se débrouilleront pour mettre Dame Salémié sur le trône. Elle ferait une bonne Régente, car elle ne jure que par les paroles du Conseil, elle se plierait en quatre pour eux et ils auraient tous les pouvoirs. Mais je ne veux pas que la Régence incombe aux mains de Dame Salémié. Elle détruirait le rêve de mon père en un claquement de doigts, c'est hors de question que je laisse faire cela.

Aesop s'adossa au mur près du fauteuil.

— Crois-tu qu’ils… Qu’ils savent ?

— Probablement, ils pensent que je ne me marierai jamais, et c’est leur seul moyen de m’humilier publiquement. Mais je suis prêt à tout, même si ça ne me plaît pas.

— Il faut qu'on trouve une solution, lâcha Aesop d’une voix amère.

— Une solution pour quoi ?

— Pour que tu ne te maries pas, quelle question !

— Je ne pense pas pouvoir y échapper, si tu veux mon avis.

— Ton avis, tu peux te le mettre où je pense, renifla Aesop.

Il était toujours aussi acerbe, et Thildaer fit la moue.

— Ça ne me plaît pas non plus, mais je ne vois pas comment faire autrement. Personne ne peut me forcer à effectuer une cérémonie des liens magiques, de toute manière. Et si c'est ça ou la vieille Salémié, je préfère encore me marier.

— Tu vas vraiment accepter toutes les manipulations affreuses de ce groupe de vieux séniles qui veulent gober la moindre particule de pouvoir qu'ils pourraient te voler ?

Thildaer haussa les épaules tout en poussant un énième soupir, et son ami le prit tendrement dans ses bras tout en posant son menton sur son crâne.

— J'ai toujours été là, et je serai toujours là, lui souffla-t-il. Peu m’importe qui tu épouses.

Il ne vit pas les yeux d'un orange foncé du prince se fermer pour empêcher des larmes de rouler sur ses joues, il ne sentit que les poings de Thildaer se refermer sur sa chemise et le serrer contre lui comme si sa vie en dépendait.

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