Chapitre 3
En matière de commerce, quel qu’il soit, il ne convient pas de garder les deux pieds dans le même sabot ! Tant que l’on ne possède pas chez soi l’objet de son achat, on demeure à la merci d’un surenchérisseur, d’un vendeur dénué de parole, voire d’un escroc. Constantin avait donc pris rendez-vous au plus vite pour le lendemain, onze heures. Pas loin de deux cents kilomètres à parcourir l’attendaient. « Dépêche-toi, si tu veux être à l’heure », s’entendit-il marmonner.
Sa séance de gymnastique matinale s’en trouva abrégée et le petit déjeuner avalé debout dans la cuisine, en écoutant les informations régionales. Une brève retint l’attention de Constantin : on venait de découvrir lors de travaux dans une possession de la Commanderie des Andrivaux, près de Périgueux, un coffret emmuré. Les spécialistes l’avaient daté du XIVe siècle et lorsqu’on força le fermoir rouillé, à l’intérieur reposait, soigneusement enroulée, une moitié de parchemin. Celui-ci représentait une sorte de carte ou plan, accompagné d’un texte dont la majeure partie avait été soustraite. N’en subsistait que la première ligne qui disait en latin : « vae cui sine fide vera hoc legerit! » – malheur à qui aura lu ceci sans foi véritable ! – et une série tronquée de « dessins » ressemblant fort à un langage codé.
Aussitôt ressurgirent les spéculations sur le mythique trésor des Templiers, supposément caché en divers endroits, avant la dissolution de l’ordre par le pape Clément V, le 22 mars 1312. Mais sans la seconde partie du document, autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Que dis-je ? Une botte de foin. Un grenier entier ! Rien qu’en France, on dénombrait plusieurs centaines de grandes « commanderies » ! Il n’empêche qu’une recrudescence de visiteurs de tous acabits fut notée dans les sites templiers des alentours dès le lendemain de la publication de la nouvelle ! Les trésors, réels ou mythiques, étaient toujours source de fantasmes !
Constantin pensa que le mécréant qu’il était n’aurait pas été le bienvenu dans une telle affaire et, consultant sa montre, finit d’avaler précipitamment son café. Puis, ayant fermé à clef la librairie-brocante, il monta dans son fourgon, vérifia le stock de couvertures et sangles nécessaires au bon transport de son acquisition, et prit la direction de Toulouse.
Deux heures et demie plus tard, il se garait devant la façade d’un marchand de meubles anciens, proche du cimetière de Rapas, au sud-ouest de la ville. Le propriétaire était un curieux homme, à la voix de fausset, au profil d’aigle, au crâne déplumé, d’âge indéfinissable et manières efféminées.
— Bonjour, cher monsieur, je vous attendais, vous voilà donc l’heureux acquéreur de cette merveille ?
Il désignait un cabinet en noyer, à pointes de diamant, moulures et corniche, de plus de deux mètres de haut, d’un équilibre parfait, qui trônait dans la boutique.
Constantin jaugea le meuble d’un regard averti, émettant un petit sifflement admiratif, puis il entreprit une revue de détail méthodique : d’abord, il fit le tour du meuble, en apprécia les assemblages à tenon et mortaise, à queue d’aronde, les embrèvements, l’état des moulures et de la corniche. Puis, il l’ouvrit, examina l’intérieur, tira le tiroir qui coulissait parfaitement, manœuvra les clefs des portes. Le meuble avait été restauré très soigneusement, sans doute au siècle dernier, par un précédent propriétaire. Sa patine luisait et seuls le fond, qui avait dû souffrir de l’humidité, ainsi que les pieds tournés, avaient été remplacés. Pas de doute, cette pièce valait son prix ! Il sortit son carnet de chèques et son stylo...
— Cela doit être un crève-cœur de se défaire d’une si belle pièce, dit-il bientôt en tendant le formulaire rempli, daté et signé à son interlocuteur, qui se frottait déjà les mains...
— En effet, mais, vous savez, dans ce métier, si les sentiments prennent le dessus sur la raison, c’est le début des soucis...
— Vous n’avez pas tort. Mais, pour ma part, je compte bien garder ce meuble tant que je vivrai. Bon, je vais chercher mon diable, des couvertures et des sangles.
— Je vais vous aider…
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.
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