Jonas et le Clown
Le visage du clown à la télévision était effrayant. Son teint pâle, ses lèvres écarlates et ses traits grossiers et sombres n’étaient pas là pour amuser. Impossible! Ce masque de cire peinturluré riait fort. Trop fort. A s’en décrocher la mâchoire. A s’en tordre la nuque. Le bruit semblait sortir de ses entrailles torturées et ses grimaces faisaient de lui un être démoniaque. Il s’esclaffait, gigotait, se balançait et, à l'aide de ses doigts crochus dont l’emprise semblait éternelle, incitait les enfants à s’approcher, à pénétrer toujours un peu plus dans son cercle intime.
Jonas, 6 ans, regardait ce spectacle avec horreur au fond de son petit fauteuil d’enfant jaune et vert. Ses parents étaient partis et il se trouvait seul au milieu du salon noir, avec pour unique lumière, l'écran dont les images agitées le figeaient et le terrifiaient. Il observait ces enfants, comme lui, aussi jeunes et gentils, s’engouffrer dans l’antre du gros monstre aux cheveux roux et frisés. A mesure qu'ils s’avançaient, les râles gras du clown s'amplifiaient.
Jonas sentait son pyjama se resserrer et se coller à ses aisselles moites. Des frissons continus parcouraient son petit corps. Des gouttes de sueur perlaient le long de son dos. Ses joues rouges, il avait chaud, il avait peur. Pour autant, ses yeux ne se décrochaient pas de l’engin maléfique, l’appareil de toutes les illusions. Comment ces parents avaient-ils pu l’abandonner dans cette grande pièce sombre dont les murs semblaient bouger ? Jonas s’engonça encore un peu plus dans son petit fauteuil. Il était délaissé et happé.
Soudain, le cri du clown résonna en un éclat foudroyant. Jonas crut voir un éclair, entendre un orage. La maison trembla. Il hurla dans un moment de panique rare, les yeux écarquillés, les cheveux hirsutes, toujours dans son fauteuil d’enfant jaune et vert.
Enfin, la lumière fut et aveugla la pièce. Sa mère était là, à la porte et se jeta sur lui, demandant la raison de ce cri. Jonas pleurait hystériquement. Il baragouinait, parlait trop vite dans beaucoup trop de larmes. Sa douce maman le prit dans ses bras, l'enveloppant de tout sont amour, tendre réconfort à un chagrin d’enfant. Elle fit bien attention de placer son visage chaud et humide au sein de sa poitrine, tout près de son cœur. Elle l’embrassa, caressa ses cheveux touffus et leva les yeux. Ce qu’elle vit la fit sourire. C’était Ronald offrant des hamburger à tous les enfants, heureux de manger gras et mal. Elle serra son fils un peu plus fort, le monta dans sa chambre et le coucha. L’enfant, apaisé, dormait déjà.
Dès lors, Jonas n’aima plus les clowns et pestait contre eux dans un rictus plein de rancœur. Inutile de dire qu’il était également le seul enfant sur cette Terre à n’avoir jamais voulu mettre un pied dans un fast-food américain.
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