- III -
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Derrière le fin voile où se terrait Celui-Qui-Était, le deus ex machina contemplait.
Le Veilleur était assis là, serein, avec la satisfaction puérile d'un enfant qui se savait la cause d'une bêtise et qu'on ne pouvait réprimander. Après tout, qui saurait que Celui-Qui-Était oublié était responsable ? Sûrement pas ceux qui l'avaient obligé à intervenir ! Heureusement qu’il les avait empêchés de faire plus de dégâts !
Sourire aux lèvres, Celui-Qui-Était entendait, là-haut, les grondements de la force qu'ils avaient contrariée, eux trois. Lui, la fille sauvée, et l'être qui venait le rejoindre en évitant soigneusement les passants frappés d'indifférence à son égard. Il était l'un des rares à connaître l'existence Celui-Qui-Était. L'encapuchonné était un des plus vieux de son métier, un indépendantiste et, de surcroît, un vieil ami. Le convaincre de changer le cours des choses n'avait pas posé trop de problèmes, même s'il avait un peu rechigné et que le Veilleur avait dû lui-même hausser un peu le ton.
Mais le malentendu dissipé, Celui-Qui-Était l'invita sans grande rancune sur le banc. Celui-ci s'écarta assez pour éviter les plis de sa robe rongée, que l'ancienne entitée s'obstinait à qualifier de toge mortuaire.
- Merci pour ta compréhension.
- Quelle insolence ; sache qu'avant de le faire, j'avais mes propres doutes. Je n'ai fait que réparer ce qu'à l'origine, je répugnais à accomplir. Toutefois, ne crois pas que les Hautes Autorités autoriseront une telle violation des Lois. Tu as déjà payé un lourd tribut pour que j'accède à ta requête, et tu l'as accepté. Mais non seulement tu t'es condamné, cette humaine sera dorénavant la cible de terribles représailles. Après ce que tu viens de faire, elle est ta responsabilité, et je m'interroge : l'assumeras-tu ?
Le masque angoissé du croque-mitaine le dévisagea gravement, inquiet et sceptique face à sa nonchalance. Devant ce visage fataliste, le Veilleur retint un soupir à ce flagrant manque de confiance. Il préféra plutôt surveiller la seule personne qui ignorait tout de la machination où son caprice l'avait mené. Elle était là, somnolente, assise en toute ignorance dans son bus. Déjà, elle ne pensait plus à ce qui s'était passé. Voilà qui n'était pas des plus rassurant, alors que l'adolescente jouait un rôle primordial dans ses plans.
Toutefois, ça n'était pas plus mal ; quel était meilleur atout qu'agir sans être jamais suspecté ? Et grâce au désordre provoqué, il avait le terrain libre pour la préparer convenablement. Elle pourra prendre sa revanche, prête et bien parée, lorsqu'il serait temps.
- Que sera sera, voilà ce qu'on dit dans ce monde, pas vrai ? cita Celui-Qui-Était.
- Tu ne réponds pas à ma question.
- Qu'importe l'avenir qui en résultera, je ne regretterai pas mon geste. Voilà ce que je réponds.
- Tant de vantardise ; voilà ce que tu aurais dû sacrifier, au lieu du reste, rétorqua le croque-mitaine. Ma foi, j'attend de voir si tu tiendras cet engagement, même s'il est vrai que tu n'ais désormais plus le choix. D'ici là, permet moi de veiller tes arrières.
- À ta guise. De mon côté, je vais devoir redéfinir chaque événement à venir, et ça risque de ne pas être facile.
Après tout, l'énorme paradoxe qu’il venait de former avait immanquablement changé le futur - et pas qu'un peu ! S’il ne remettait pas de l'ordre tout de suite, cette réalité déjà à l'agonie se briserait un peu plus, ce qui n'était pas pour arranger ses affaires !
Celui-Qui-Était retroussa donc ses manches, inspira à fond, tendit l'oreille, ouvrit ses autres sens et, avec l'assurance d'un maestro, le Veilleur accorda dans l'éther sa propre partition au cantique du Monde.
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