Jour 15 - Weak || Faible
La pleine lune, cette malédiction. En général, Margaux ne se plaignait pas de son sort. Être irrésistiblement attirée par cet astre laiteux. L'appeler à grand cri, la regarder pendant qu'elle se trouvait haut dans le ciel, ce n'était pas forcément la mer à boire. Si seulement c'était l'activité la plus physique de sa nuit.
Prendre l'apparence de sa véritable forme était sans aucun doute le plus douloureux. Depuis sa puberté, elle connaissait ce rituel. Les os qui craquent et se brisent, la douleur brûlante qui en découle. La peau qui s'étire et se déchire sous la torsion des muscles et de la nouvelle forme de son corps. Tout aussi traumatisant, l'adaptation à ses sens devenu plus pointu.
De par sa nature de loup-garou, Margaux cicatrisait à une vitesse folle. Elle était robuste et endurait la douleur comme peu de race pouvait le faire. Cela n'empêchait la femme de souffrir le martyre.
Margaux ne comprenait pas comment la lune pouvait décider ainsi de rendre ses métamorphoses plus ou moins intenses et difficiles. Une fois sous sa forme mi-humaine mi-louve, elle courrait dans les bois, hurlait à la lune son amour et son envie de l'étreindre. Elle courrait aussi à la recherche de proie. Cette nuit, un chevreuil adulte avait fait l'affaire.
Ce n'est qu'au petit matin qu'elle était rentrée chez elle. Recouverte du sang de l'animal qui avait calmé les instincts de la bête en elle, elle retrouvait son foyer chaleureux. Le crépitement du feu dans la cheminée, la chaleur de sa maison, l'odeur de la brioche en train de se réchauffer, tous ces détails semblaient lui murmurer un seul mot : Bienvenue.
Depuis qu'elle avait quitté le manoir Fleury à l'âge de vingt ans, il lui était arrivé quelques péripéties. Seulement celle qu'elle vivait en ce moment et depuis trois ans la comblait de bonheur.
Il était cinq heure du matin, Dimanche, et déjà, Maria s'affairait dans la maison. Cette dernière ne tarda pas à venir à sa rencontre. Grimaçant devant le sang sécher qui recouvrait encore quelques endroits du visage de Margaux, elle lui offrit un sourire compatissant quelques secondes plus tard avant de lui caresser la joue.
— Je t'ai préparé un bain. La mousse doit s'être évaporée, mais l'eau devrait avoir gardé sa chaleur.
— Tu es un ange. Parvint à articuler Margaux dont la mâchoire était encore douloureuse de sa transformation.
Sans attendre plus longtemps, Margaux se traîna jusqu'à la grande salle de bain et s'enfonça dans l'eau chaude. Quelques heures médicinales flottaient dans l'eau. La femme les connaissait bien, c'était des apaisants naturels. Ce détaille aidait à ce que ses muscles traumatisés se détende, même si cela n’empêcherait pas les atroce courbatures.
Dans l'eau, Margaux s'assoupie deux fois. Deux fois où elle but la tasse et se réveilla en sursaut. Comprenant qu'elle n'était plus apte à être dans un environnement aussi dangereux, elle quitta l'eau chaude à contre cœur pour se sécher et enfiler une robe de chambre épaisse, l'enveloppant alors dans un cocon de douceur.
Chaque pas qu'elle faisait pour se rapprocher de son lit donnait le sentiment à Margaux que ce serait son dernier trajet de toute son existence. Comme une pierre elle s'effondra sur son lit. Son odeur se mêlait à celle de sa compagne. C'était doux et si chaleureux... cela apaisant son cœur et éloignait ce sentiment d’extrême faiblesse et vulnérabilité.
Son sourire s'élargit davantage lorsqu'elle sentit que la couette la recouvrait, comme par magie. Suivit de deux têtes blondes se glissant contre elle, les bouilles encore engourdit par le sommeil.
Margaux serra ses deux petites filles contre elle. Même si elle était faible, elle avait encore un peu de force pour transmettre tout son amour aux deux plus belles créations de son existence.
— Comment tu vas, maman ? Questionna la plus âgée des deux.
— Je suis très fatiguée. Je vais dormir et tout ira mieux après, d'accord ? Répondit Margaux sans ouvrir ses yeux. Ses paupières étaient devenues trop lourdes pour les faire papillonner.
— Est ce que tu viendras au parc avec nous et maman Maria après ? Reprit l'enfant de tout juste cinq ans.
Mais déjà, Margaux n'avait plus la force de bouger ses lèvres. Immobile, la respiration lente et calme, elle ne pouvait que dormir après sa nuit de folie furieuse dans les bois.
Fort heureusement, depuis qu'elle connaissait Maria, depuis qu'elles s'aimaient et vivaient ensemble, Margaux n'avait plus de raison de craindre ses moments de faiblesse. Elle savait que Maria assurait ses arrières, s'occupait de ses filles... de leurs filles. Avec Maria à ses côtés, elle ne craignait plus les lendemains de pleine lune, car on veillait sur elle et son corps brisé.
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