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Ellohira atteignit rapidement le bas de l'escalier, après quoi elle continua son chemin dans un tunnel sombre, Gabriel sur ses talons. A la lumière de la flamme qu'elle entretenait dans sa main, ils continuèrent leur chemin pendant cinq ou six minutes, descendant une volée de marches de temps à autre. Finalement, ils parvinrent devant une solide porte de bois et d'acier, toute simple et qui s'ouvrit sans opposer de résistance. Dès qu'ils entrèrent, une grande lampe suspendue au plafond ainsi que quelques torches s'allumèrent. Ils purent à loisir observer la petite salle circulaire dans laquelle ils se trouvaient à présent. Il y avait là une table de travail sur laquelle reposaient encore une lampe et un gros volume relié de cuir. Il y avait une porte sur leur droite, une sur leur gauche et une dernière leur faisait face. Ellohira se dirigea vers celle de gauche et l'ouvrit. Derrière, il y avait une salle qui fut apparemment un dortoir, mais le plafond s'était effondré et il ne restait qu'un lit défoncé et des morceaux de bois et de tissus coincés sous un éboulis.

De son côté Gabriel avait ouvert la porte de droite et continuait à présent son chemin dans un couloir assez large. Il y avait dans ce long couloir une vingtaine de portes au moins. Il découvrit des pièces vides, une cuisine, plusieurs salles de bain hors service et cinq pièces ressemblant à des laboratoires. La dernière pièce qu'il découvrit se révéla être une bibliothèque. Ellohira l'ayant rejoint, ils commencèrent à regarder sur les étagères en quête d'ouvrages en bon état. Après avoir terminé le tri, ils s'en retournèrent dans la première pièce et ouvrirent la dernière porte. Derrière, il y avait un couloir sur lequel s'ouvraient encore trois portes. Les deux premières dissimulaient des salles d'entraînement. Dans l'une d'elles, ils découvrirent un véritable arsenal : des sabres, épées, lances et haches de toutes sortes.

Quant à la dernière pièce, ils ne virent rien de particulier lorsqu'ils y entrèrent. Le mur décrivait une courbe régulière. Il était étrangement lisse et allait se perdre dans l'obscurité. Cette pièce semblait vraiment très grande. Ils avancèrent doucement. Ils se trouvaient sur une sorte de passerelle, mais elle s'arrêtait avant d'atteindre l'autre bout de la pièce, bien qu'elle ne semblait pas endommagée.

— Aide moi, fais un peu de lumière.

Gabriel créa aussitôt une flamme brillante dans le creux de sa main. Lorsque les deux sifis levèrent la main en l'air pour mieux éclairer, ils découvrirent la pièce dans son ensemble. Elle n'était pas seulement circulaire, c'était un gigantesque globe de pierre noire et lisse comme du verre.

— Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien fabriquer ici ? se demanda Gabriel à voix haute.

— Aucune idée, répondit Ellohira, mais ça a sans doute à voir avec ça.

La passerelle se terminait par une section circulaire et un peu plus large sur laquelle ils pouvaient voir un sceau.

— Je n'ai jamais vu un tel sceau, avoua Ellohira, pourtant assez instruite sur ce sujet.

— Tu saurais le décrypter ?

— Un sceau ne se décrypte pas, il se comprend. Regarde.

Elle se mit à genoux sur le sol, posa ses paumes sur le cercle et Gabriel sentit aussitôt qu'elle envoyait de l’énergie dans le dessin, sans toutefois comprendre comment c'était possible.

— C'est curieux, je ne comprend pas sa fonction. Je sens qu'il en a une, mais tout ce que j'arrive à comprendre, c'est qu'il est vide.

— Comment ça vide ? Comme une pile ?

— Une quoi ? Peu importe, c'est sûrement ça, oui.

— On peut, euh, le recharger ?

— Sûrement, répondit-elle laconiquement.

Aucun des deux n'avait une idée de la marche à suivre pour recharger le sceau. Cependant, en tant que professeur et Maître, Ellohira se devait de se pencher sur ce problème. Elle posa à nouveau ses mains sur le sceau et fit courir de l’énergie dans ses mains. C'était assez simple, en fin de compte ; la marque dans la pierre absorbait l’énergie toute seule. Après de longues minutes, sans qu'il ne se soit passé quoi que ce soit, Ellohira se releva.

— Alors ? demanda Gabriel.

— Je n'ai pas arrêté depuis tout à l'heure d'injecter de l’énergie là-dedans, on dirait un gouffre sans fond ! pesta la jeune fille.

Elle se mit debout au centre du sceau et se raidit. Gabriel vit presque le Flux se matérialiser autour d'elle et descendre, irrésistiblement attiré par le sceau. Mais Ellohira ne put soutenir le rythme bien longtemps. Elle tomba à genoux avec l'impression de se réveiller après avoir vraiment abusé de la liqueur aux pommes d'or.

— Eh ! Tu vas bien ?

— Oui, oui, ça va, répondit-elle d'une voix peu convaincante. Ça n'a aucun effet, je crois que nous devrions arrêter pour l'instant.

— Nous ? Tu as tout fait toute seule ! Laisse moi essayer un peu.

Gabriel aida son maître à se relever et à s'asseoir un peu plus loin, puis il se mit lui-même au centre du sceau.

— Qu'est-ce que je fais maintenant ?

— Tu te laisses envahir par le Flux, le reste se fera tout seul.

Il s'exécuta aussitôt. L’énergie naissait dans son corps et tombait, littéralement aspirée dans le sol. Plus il donnait et plus le sceau prenait. Bientôt il fut si concentré que ce qui l'entourait s'effaça. Ellohira le regardait faire, recouvrant peu à peu ses esprits. Elle ferma les yeux l'espace d'une profonde inspiration et, lorsqu'elle les rouvrit, elle poussa une exclamation de surprise.

Gabriel se tenait toujours debout devant elle, mais il émanait de lui une aura d’énergie tourbillonnante. Un son extrêmement sourd commença à vibrer dans toute la pièce et Gabriel dégageait de plus en plus d’énergie et de lumière. Le sceau semblait enfin redevenir actif, la grande sphère de pierre se transformait peu à peu. Ici et là, des points lumineux apparaissaient, dessinant une sorte de carte. Mais Ellohira s'inquiétait pour la santé de son élève ; il donnait beaucoup trop. S'il continuait, il risquait d'y laisser sa santé, voire sa vie.

— Gabriel, ça suffit. Arrête ! ordonna-t-elle d'une voix faible.

Mais il ne broncha pas. Le bruit sourd continua de monter en puissance.

— Stop ! Arrête-toi ! cria t-elle de toutes ses forces, proche de la panique.

Il ne l'entendit pas plus. Elle fit un énorme effort pour se lever et attrapa l'épaule de Gabriel qui ne bougea pas d'un millimètre. Elle vit alors son visage. Il était devenu très inquiétant : ses yeux brillaient comme des phares d'une lumière blanche, légèrement bleutée. Sous sa peau, les veines et les vaisseaux sanguins émettaient eux-aussi une faible lumière et sa peau était parcourue de petits éclairs. Ellohira senti une vague d'énergie incroyable déferler sur elle, comme une décharge électrique. Elle usa de ses dernières forces pour faire tomber Gabriel en arrière.

— Qu'est-ce que tu fais ? s'étonna t-il en découvrant Ellohira allongée sur lui, pâle, tremblante et à bout de souffle. Elle pleurait.

— Imbécile ! cria-t-elle. Ne me refais jamais un coup pareil. J'ai cru que tu allais y rester. Ne te laisse jamais, jamais dépasser, tu m'entends ?

Gabriel resta interdit une seconde puis senti une grande fatigue s'abattre sur lui.

— Je crois que j'en ai un peu trop fait, reconnut-t-il. Mais ça valait le coup, non ?

Il désigna le reste de la pièce d'un geste du menton. Ellohira compris alors ce qu'était que cette pièce.

— C'est une carte du monde, dit Gabriel. Du monde ENTIER, avant qu'il...

— Non, c'est plus que ça, le coupa Ellohira. On dirait qu'on peut voir les choses en temps réel.

Ils passèrent près d'une heure à observer l'immense mappemonde. C'était un peu curieux, ils avaient l'impression de se trouver au centre de la planète et de tout regarder d'en dessous, sauf que tout leur apparaissait comme s'ils se trouvaient dans le ciel, au-dessus des nuages. Un cyclone agitait l'océan, loin à l'est. Gabriel montra à Ellohira d'où il venait et les grandes villes de son monde. De sa partie du monde, plutôt. Car il voyait aussi où il se trouvait en cet instant ; une île absolument gigantesque. Le mot Diernill, flottait en lettres lumineuses le long des côtes. Juste à côté, une île beaucoup plus petite, appelée Nordhe verdoyait au large des côtes ouest.

— Au moins nous savons que Nordhe est là. Juena et Arpe ne sont pas partis pour rien.

— C'est dangereux de traverser le désert ouest ?

— Il n'y a rien de pire, je crois. Le désert en lui-même est déjà très dangereux. Pas d'eau, des tempêtes de sable terribles. Et le sud du désert est infesté de dragons.

Elle sembla réfléchir un moment, regardant la mappemonde.

— C'est quoi ? Les lignes noires ? demanda Gabriel.

— Ce sont les endroits où la Division a eu lieu. On ne dirait pas comme ça, mais c'est très inquiétant de se retrouver devant. On dirait un mur de fumée noire, mais quand on s'en approche, on à une furieuse envie de s'enfuir à toute jambe. Ceux qui ont trouvé le courage d'avancer ne sont jamais revenus.

— Peut-être qu'ils ne peuvent pas.

— S'ils sont morts, c'est certains, répliqua Ellohira d'un air sombre.

La carte s'effaçait peu à peu des murs, la pièce redevint sombre. Ellohira examina le sceau.

— Il est toujours plein d’énergie. On dirait qu'il est en sommeil.

— Je n'aurais pas besoin de me vider de mes forces à nouveau alors ? Tant mieux.

— Si jamais tu refais un truc pareil, je te tue, tu m'entends ?

— Très bien, maître, répondit-il en se tenant droit comme un I et en faisant le salut militaire d'Ernùn.

Ellohira leva les yeux au ciel et lui fit signe de la suivre. Ils retournèrent dans la pièce centrale, y rassemblèrent ce qu'ils comptaient ramener avec eux puis s'accordèrent un moment de repos, forcés de partager l'unique lit restant.

Ils prirent le chemin du retour dès le lendemain matin. Chargé d'un sac assez lourd, Gabriel suivait Ellohira. Il l'observait depuis un moment et se persuadait un peu plus à chaque seconde que quelque chose n'allait pas ; elle avait l'air inquiet. Cela lui fut confirmé lorsqu'elle le pressa d’accélérer un peu.

— Je fais ce que je peux avec ce quintal sur le dos ! Dis moi ce qui se passe au moins, tu n'as pas l'air tranquille.

— Ça fait un moment que nous sommes suivis, l’informa-t-elle tout bas. Des glorgs. Et ils ne sont pas bien loin. J'aimerais éviter tout incident. Surtout, s'ils venaient à se montrer, rappelle-toi : pas de feu.

— Entendu.

Ils continuèrent leur route. Gabriel vint à sentir également la présence de plusieurs êtres qui les suivaient.

— Ils se rapprochent, je crois, dit-il tout bas.

— Je sais bien, c'est ce qui m'inquiète. C'est comme ça qu'ils chassent, répondit Ellohira.

Soudain, Gabriel eut l'impression que les présences se rapprochaient à un rythme beaucoup plus soutenu. Ellohira accéléra encore, se mit à courir, faisant signe à Gabriel de se tenir courbé.

— C'est idiot, nous ne sommes plus très loin du fort !

Le fort de l'Eau se dressait en effet au loin, à moins de dix kilomètres. Gabriel remarqua un mouvement sur sa droite. Il aperçut un glorg entre deux buissons et il en eut des frissons. Il avait à peine eu le temps de voir la silhouette trop longue et verdâtre de cette créature qui le chassait.

— Laisse-moi gérer ça.

Ellohira s'arrêta soudain, stoppant Gabriel dans sa course. Elle tira son sabre au clair et attendit, l'air détendu.

Une douzaine de silhouettes sortirent des buissons. Tout autour des sifis, les glorgs s'approchaient, méfiants.

— Je regrette de vous décevoir, dit Ellohira, nous ne sommes pas des proies.

— Cela c'est à nous d'en décider, rétorqua alors l'un des glorgs en émettant un bruit bizarre, sans doute sa façon de rire. Il ne parlait pas, il criait, d'une voix étrange, un peu métallique.

— Nous sommes sifis, venant d'Ernùn. Nous aimerions regagner notre pays.

— Ah ! éructa le glorg. Ah !

Il était furieux. Et son comportement étrange, en dehors des codes humains, forçait à rester toujours attentif.

— Vous voulez partir ! Mais nous, on vous a pas invités !

— C'est vrai, reconnu Ellohira. Je vous prie de nous en excuser.

— Ha ! hurla de nouveau le glorg. Chaque fois qu'il poussait ce cri, les autres grondaient. Vous croyez on va vous laisser partir ? Parce que vous dites « excuse » ? Les hommes disent toujours excuse ! Excuse ! Et reviennent !

Les autres acquiescèrent, leurs yeux trop gros exorbités.

— Les sifis avaient jadis un accord avec ceux de votre race. Ils pouvaient aller et venir jusq...

— JADIS ! hurla alors le glorg. Le passé est passé.

— Ces accords n'ont jamais été rompus, répliqua Ellohira avec conviction.

— Prouvez ! dit alors le glorg, avec un air de défi.

Ellohira fut prise au dépourvu. Prouver quoi ? Qu'elle et Gabriel soient sifis? Soit. Elle brandit son sabre et, le dirigeant vers un petit arbre proche, en fit jaillir un éclair qui carbonisa le petit arbre.

— Cela vous suffit-il ? demanda t-elle alors, profitant de l'air apeuré de deux ou trois glorgs pour prendre un ton plus agressif.

Le glorg grondait, partagé entre l'envie de tuer cette insolente humaine et la peur. Mais il vit alors le tronc carbonisé sur lequel subsistait quelques flammèches.

— Feu ! Feu ! dit il en pointant ses longs doigts vers Ellohira.

Et il se jeta sur elle. Ellohira n'eut d'autre choix que de lui passer son sabre au travers du corps, mais les onze autres se trouvaient déjà tout proches. Gabriel laissa tomber son sac, brandit son sabre et se tint prêt à défendre chèrement sa vie. Ellohira bondit en avant, trancha dans le vif et deux glorgs s'écroulèrent sur le sol, l'un blessé au côté, l'autre regardant avec effroi son bras se détacher de son corps. Gabriel assena un violent coup de poing à un autre qui alla s'écraser dix mètres plus loin contre un rocher. Un autre glorg tomba sous les coups de sabre d'Ellohira. Il y eut un moment bref, confus. Ellohira et Gabriel se retrouvèrent seuls debout au milieu d'un carnage. Deux glorgs s'enfuyaient.

— Que fait-on pour eux ?

— Rien. Qu'est-ce que tu voudrais faire ? Les achever ?

— Ils vont raconter ça à d'autres. Ça va poser des problèmes avec Torgar.

— Peut-être. Mais nous n'allons pas nous comporter comme des bêtes pour ça. S'ils reviennent vite, ils n'auront pas de morts.

— C'est vrai, juste des manchots, répliqua Gabriel sur un ton dur.

— Les membres des glorgs repoussent.

Cette simple explication reçue, Gabriel reprit son sac et ils reprirent leur route.

— C'est une raison pour les découper en morceaux ?

— Arrête avec ça ! s'emporta Ellohira. Tu crois que j'aime le sang et la guerre ? Détrompe toi ! Tu les as frappés toi-aussi !

Gabriel vit une larme couler le long de sa joue. Il bafouilla des excuses, comprenant qu’elle s’en voulait et qu’elle avait sans doute eu peur, si bien que lorsqu'ils arrivèrent au fort de l'Eau, ils se comportèrent comme si de rien n'était. Ils rapportèrent tout de même l'incident au général qui renforça la garde sur la frontière et informa la capitale.

— Ce n'est pas grand chose, assura t-il. Il y a dix incidents de ce genre chaque année. Et les glorgs sont de moins en moins partageurs. On a pourtant ralenti les expéditions par là bas. Mais nous continuons de les surveiller, il se passe des choses bizarres, loin dans l'est.

— Quel genre de choses, général ? s'enquit Ellohira.

— Certains disent que les glorgs s'apprêtent à construire une ville.

— Ce n'est pas arrivé depuis bien avant la chute de Terdrasill !

— Les contacts avec les glorgs sont peu fréquents de toute façon. Ce sont leurs terres, après tout. Qu'ils y fassent ce qu'ils veulent, tant qu'ils ne nous ennuient pas.

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