Baiser
Aube fondit contre Aurore.
L'espace d'un instant, elle ne sentit plus que ses bras autour d'elle, entraînée dans un cocon de douceur et d'amour. Mais cet instant s'évanouit lorsque la douleur arriva, explosa contre sa peau à vif, irritée par ce contact prolongé avec un morceau de soleil. Aube sentit son épiderme chauffer, se battre contre elle pour se soustraire à cette étreinte insoutenable qui étouffait ses nerfs. Mais son désir était plus fort, elle voulait se perdre contre Aurore, graver l'empreinte de ses douces lèvres contre sa bouche, sculpter ses caresses dans sa propre chair.
Alors, Aube se battit contre son corps, elle lutta pour conserver cette sensation de bonheur, les mains d'Aurore sur ses hanches, légères et exquises. Mais plus elle s'abandonnait, plus la douleur brouillait son esprit. Elle sentait venir le moment où elle devrait reculer, le corps en feu, asphyxié par une énergie solaire qu'il rejetait. Ses cellules hurlaient de sentir une peau étrangère contre elles, presque rugueuse, elles se démenaient pour faire cesser ce contact avec un poignard ardent.
Aube s'écorchait.
Mais Aube était heureuse.
Elle se tuait de bonheur, voulait sentir Aurore contre elle jusqu'à l'éternel, mais sa condition énorme la rattrapait, lui rappelait qu'elle ne pouvait éprouver selon sa propre volonté. Elle était soumise aux forces absolues de la nature, cruelles et fourbes.
Lorsque la douleur se fit insupportable, lorsque sa chair fut transpercée par le couteau de la peau d'Aurore, lorsque ses nerfs furent agacés par un poignard sortis des braises du soleil, Aube esquissa un dernier mouvement. Elle s'empara du visage d'Aurore, l'embrassa ardemment, se réfugia au plus près de son supplice et gagna face à son corps, au moins le temps d'un instant.
Aube s'embrasait.
Et quand la douleur la frappa de plein fouet, que ses pensées s'opacifièrent et que sa vision s'obscurcit, elle relâcha son étreinte. Aurore avait les lèvres blanches, ses veines brillaient, comme illuminées de l'intérieur, aux prises avec une substance lunaire. Elle suffoqua sous les yeux affolés d'Aube, qui recouvrait une vision plus claire.
Aurore s'effondra.
Et Aube souffrit, comme si ses propres veines fondaient, consumées par une énergie incompatible.
Aube voulut se précipiter vers Aurore, qui griffait la terre de ses ongles blancs, mais une multitude d'aiguillons de douleur la terrassa en s'enfonçant dans ses cuisses. Incapable du moindre mouvement, son corps se rebellait, il rejetait le soleil, l'empêchait d'agir.
Prisonnière.
Aube était prisonnière.
À ses pieds, Aurore s'éteignait dans une gerbe de lumière immaculée, elle éprouvait une torture inouïe sans qu'Aube ne puisse seulement lui parler.
Alors, tout bascula.
La douleur s'évanouit en un regard vers la voûte céleste. Différente. Familière. Aube tenta de se relever, mais l'herbe retenait ses membres. Perdue, elle chercha Aurore du regard. Leurs yeux s'entrechoquèrent en un contact immatériel ardent, au moment même où Aurore fut violemment tirée en arrière. La panique traça son chemin dans le corps d'Aube jusqu'à assiéger son cœur qui s'emballa. Aurore avait retrouvé son teint hâlé, et Aube, ses entraves.
— Aurore ! cria-t-elle.
Un couinement dans l'atmosphère différente. Aube rua, les liens se resserrèrent. Aurore tendit ses bras vers elle, lutta contre le souffle cruel.
— Aurore ! hurla-t-elle.
Sa voix était faible. L'herbe s'enfonçait dans ses chevilles, marquait ses poignets. Aurore serra les dents et fit un pas vers elle.
— Aurore ! rugit-elle.
Sa gorge brûlait, tout son être hantait cette plainte, mais elle résonna à peine. Son cœur martelait sa poitrine, il heurtait violemment ses côtes, tout son corps s'époumonait. Aube gesticula, tenta de s'échapper, ignora le cisaillement qui faisait pulser ses chevilles, les gouttelettes blanches qui décoloraient maintenant l'herbe et s'étendaient sous elle. Aurore lui lança un regard brillant d'amour.
Le soleil se leva.
Le cœur d'Aube transperça sa poitrine.
Celui d'Aurore succomba.
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