Promenade
L'ascenseur les conduisit silencieusement jusqu'au rez-de-jardin. Il fixa la courte jupe de Kimou. Il se retenait de diffuser l'haleine fétide du pourceau qui le pourrissait de l'intérieur.
Est-ce le manque d'amour, d'attention et l'excès d'alcool fort qui les fit billebauder dans la rue ? Toujours est-il qu'ils se dirigèrent vers la vieille ville. Hors de l'hôtel, ils se sentirent enveloppés par l'air humide, lourd, moite. Le tout, réuni en une seule atmosphère stagnante, les indisposait réellement. Dans les rues illuminées, des chapelets entiers de pétards mitraillaient en tous sens. Ils traversèrent le parc jusqu'au trottoir suivant.
Un taxi s'arrêta à leur hauteur et se chargea de les rapprocher du centre. La densité de la circulation donnait au chauffeur une conduite quelque peu chaotique. Une chaleur étouffante envahissait la voiture malgré les fenêtres ouvertes et ce fut le frais du canal qui les extirpa de cette torpeur.
Les rameaux des saules pleureurs tiraient sur la berge maints rideaux délicats qui habituellement dansaient au moindre souffle de vent. L'image bucolique ne les distrayait guère. Ils louèrent une barque avec la batelière.
De larges marches d'escalier s'enfonçaient dans le canal. Quoique polie par les ans, la pierre demeurait dure. Peu de chance pour l'eau douce de ronger le granit. La mousse s'y agrippait lorsqu'au passage du bateau, les vaguelettes tentaient de le nettoyer. Des déchets plastiques envahissaient le lieu paradisiaque. En temps ordinaire, l'accompagnatrice entonnait haut et fort d'anciennes rengaines populaires. La rameuse ne chanta pas, car même ici la tonitruance des fêtards perturbait leur tranquillité. Ils passèrent sous les voûtes des ponts en forme de portes rondes donnant sur des mondes intérieurs successifs. Des fenêtres des maisons entrouvertes s'élançaient des perches de bambou sur lesquelles en journée séchait le linge propre.
Se ridèrent les reflets de la coque en mouvement absorbés par l'eau tantôt limpide, tantôt trouble.
S'apaisèrent les esprits dérangés par le seul rythme de la godille. La promenade lacustre prit fin là où elle avait commencé. Un banc semblait les attendre. Volontairement ou non, ils s'assirent ensemble. Kimou désirait l'entendre parler de Shou Zeng. Lui s'y refusait. Les fusées de feux d'artifice explosaient, s'épanouissaient en plein ciel qui, pour l'occasion, revêtait son costume d'apparat : un manteau changeant recouvert d'une nuée de poussière d'étoiles.
Et puis rien. Il lui sembla n'entendre que le calme dont il la croyait remplie. Ne restait éveillé entre eux qu'un fil de conscience qui se nouait autour de leurs corps refroidis.
Fourrant les poings dans ses poches, Kuan Ti arrondit le bras gauche vers elle ; sa main s'y accrocha avec la certitude de piéger enfin l'homme tant recherché par son organisation, et Ma Ku en particulier.
Ils se séparèrent, se promettant un rendez-vous au lendemain matin.
La journée de repos de Kimou se terminait sur une ouverture favorable. Ils seraient contents d'elle.
Ça puait le faux romantisme joué à merveille par cette jeune fille. Kuan Ti avait voulu décrocher à maintes reprises lors de cette soirée.
Lui se sentait traqué. Serait-il capable de fuir et de changer d'identité une énième fois ?
***
L'ascenseur attendait d'être nettoyé. Pas de crachats. Non. Seulement deux chewing-gums couleur dégueulasse, des traces de doigts sur les miroirs, ainsi qu'un prospectus froissé au sol accompagnaient son élévation dans les étages.
Si les néons avaient pu traduire le blafard qu'ils diffusaient au dix-neuvième niveau, ils auraient rempli de pointillés ce néant déprimant. Le vide du couloir s'habillait d'espaces, d'ombres, tagués par moments de flashs intempestifs. La lune proposerait-elle en cet instant, une alternance à la froideur du luminaire défectueux ? Illusion. Tout aussi illusoire cette fin de nuit. Résignation.
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