Juste avant la nuit

8 minutes de lecture

Quatre jours que je porte ma première sentence. Quatre jours où je ne sais plus quoi en penser. L’école est toute ma vie enfin, était. Il veut que je quitte l’espace social qui me permet de montrer que je suis vivante.

Hors, comment expliquer à Carmen que je désire de plus être élève à même pas quatre mois de la fin de mon année. « Tu es forte Marta, tu n’as qu’à simuler ta maladie, car tu es parfaite dans ce domaine ». Sergio a raison, je ne sers pas à grand-chose en plus ici.

La cafétéria est vivante, bruyante, moi, je reste à mon rôle, silencieuse, invisible. Je mange lentement, presque machinalement. Devant moi : une salade à moitié entamée, une pomme intacte, une bouteille d’eau entamée.

— Je peux m’asseoir ?

Roberto est là, plateau en main, maladroit. J’accepte en le regardant à peine.

— Tu sais que t’as pas décroché une seule fois depuis trois jours ? J’ai attendu, j’ai pas insisté, mais là… faut qu’on parle.

— Il n’y a rien à dire. Je vais bien. Je suis occupé tu sais.

Roberto esquisse un sourire nerveux. Il pose sa fourchette, cherchant quoi dire :

— Tu vas bien ?

— Oui, crois-moi.

— Marta, regarde-moi. Tu as des cernes sous les yeux, tu as même maigri… et ce sourire... c’est pas le tien. Tu joues un rôle, ça se sent. Tu es absente en cours, un fantôme.

Mon attention passe de ma pomme à sa main gauche, chaude, posé sur la mienne. Sa chaleur me donne des sueurs froides, je commence à manquer d’air. Comme si, il me réanimer.

— Pas maintenant Roberto…

Il retire peiné ce lien pour retourner à son repas. Le monde commence à débarquer, je suis venue plus tôt pour être au calme avant de rester figée à la vue de Sergio. Il est là, derrière la vitre, dans le couloir de l’école.

Lunettes de soleil, veste sombre, il m’ordonne d’un geste bref pour que je vienne à ses pieds. Roberto, le remarque, je préfère me lever en vitesse avant de trop le faire attendre. Sauf qu’il me retient et me murmure :

— C’est lui, hein ? Je sais, Marta. N’en veut pas à ta sœur de m’avoir informé. Ce mec, c’est pas un simple “ami” ni un amant normal. Il te tient, te changes. T’étais pas comme ça. Pas… effacée.
— Tu ne comprends pas. Il me protège.
— Non. Il t’éloigne de tout. De nous. Et regarde-moi dans les yeux et dis-moi que t’as pas peur, ou mieux, que tu es consciente de tout ça, que tu as choisi et que tu vas revenir vers nous. Juste une fois.
— Il ne faut pas… que tu restes. Il te voit. Il nous voit. Promis, je vais essayer de revenir.

Sa main glisse une seconde fois, Sergio va me reprocher d’avoir son odeur. La nuit dernière, lors du contrat sanglant, il m’a donné son parfum. Il m’avait même embaumé de plusieurs gouttes sur tout mon corps, le massant, l’embrassant pour que je comprenne que je suis sa création, sa femme et qu’il accepte comme je suis.

Dès que je le voie, je ne sais comment me comporter surtout ici. Il n’est jamais venu, est-ce un test ? En tout cas, il s’en fiche de l’environnement et prend un plaisir à m’embrasser sensuellement en me prenant par ma nuque. Roberto nous épie et je préfère faussement assumé…que je suis entrain de le tromper.

Alors, je réponds plus doucement et pendant qu’il effleure mes mèches, il dépose un doux baiser tout en me donnant dans ma main droite, un sachet. Je désire analyser le contenu mais :

— À prendre après ton cours, les quatre. À dix-sept heures pile. Je t’appelle juste après. Tu te maquilles. Tu enfiles ce que je t’avais acheté pour l’occasion. On a un rendez-vous. Client d’affaire. C’est important. Besoin de toi.
— Quel genre de client ? Et c’est quoi ?

— Fais-moi confiance. Tu veux pas me décevoir, pas après ce qu’on a partagé ? Pas après le pacte. Hein ma petite chérie ?

— Sergio, on aurait pu se parler ailleurs. Pourquoi tu es venu ici ?

— C’est ton tombeau, tu vas ressortir vivante.

— Sergio….

— Tu vas bien vite me comprendre. Je suis ton guide, ta lumière. Finalement, tu pourras terminer ton année avec mes consignes. Tu es mon œuvre d’art, celle qui danse fatalement. Tu l’as déjà exécutée cette maitrise sur scène. Montre que l’ancienne Marta est devenue la nouvelle. Maintenant, file te remettre à jouer. Je t’aime ma chérie.

Un dernier baiser sur mes lèvres, je ne bouge pas, me cachant pour découvrir quatre pilules bleus. Ma panique monte une seconde fois, prendre l’air frais, voilà la première étape avant les cours de chants et de danse classique.

……

— C’était quoi ça ? Il lui donne quoi, là ?! Et ce regard… Adela, tu DOIS parler à tes parents. Tout leur dire !

— Pas encore…

— Adela ! Vous attendez quoi avec Roberto pour la tirer de là ?! Elle est une ombre, une coquille vide même les professeurs ont remarqués qu’elle est désintéresser ! Je veux bien la virer sauf que c’est bientôt la fin de l’année et que ses notes sont dans la moyenne. Seulement…

— Merci Carmen, j’ai pigé ! Mes parents savent juste qu’elle donne rarement des nouvelles, ils supposent juste qu’elle est affecté par sa volonté de mettre en pause sa relation avec Roberto. Mais, je ne peux leur dire qu’elle voit un type que j’avais connu, qui m’a éloignée aussi et qu’elle s’entête à rester avec lui, se détruire ! Sans compter notre oncle qui me parait très mystérieux. C’est un aveu d’échec oui.

— Adela…Et si tu retente de porter plainte en disant qu’on la prostitue.

— Elle est majeur selon eux.

— Et l’avocate ?

— Quoi l’avocate ?

— Marta ne semble pas être aller à un deuxième rendez-vous chez la psy et comme son état est instable, je me disais qu’elle pourrait accompagné ta sœur à sortir de l’emprise de ce type. Elle pourrait être plus écouté que toi, tes parents et Roberto.

— Aucune issue tant qu’elle est borné à se considérer comme heureuse. Mais, tu sais, je pense qu’elle reviendra nous voir si elle sent que cela va trop loin. Elle est courant qu’on l’aime, qu’on l’écoutera et qu’elle ne sera jamais jugé.

— Je l’espère Adela, je l’espère. Et le rapport entre le carnet, ton oncle et Sergio ? J’aimerais que tu m’éclaires à nouveau car je ne n’ai pas tout suivis.

La sonnerie retentie pour démarre les derniers cours. Deux classes de mon côté, se suivent et la dernière, celle de ma sœur. Elle dissimule une possible douleur au dos et reste comme moi par le passé, très digne. Sûrement qu’elle ne veut paraitre faible, montrer qu’elle a décidé de sa voie….

Enfin, nos regards se croisent si furtivement. Le masque tombe et elle part se doucher avec les autres. En retrait, elle semble attendre son tour. C’est le moment d’en savoir plus sur la façon dont elle se métamorphose. Prend -elle du plaisir ou est-ce robotique ?

Une fois, tous les élèves sorties, elle regarde son téléphone. Une maitresse du temps qui pourtant, tente de ralentir les aiguilles. Oui, elle n’a pas le choix que de se soumettre. Dans quel but ? Pour elle, pour lui aussi…

Marta marche lentement jusqu’à son casier. Elle l’ouvre. Dedans : une trousse de maquillage, une boîte plate et noire, un téléphone, un flacon de parfum, et une petite robe ultra fine, pliée avec soin. Une dentelle presque transparente. Une robe qui ne laisse place à aucune intimité.

Elle reste figée devant. J’ai qu’une envie, la stopper de suite.

— Fais vite. Pas de retard. Pas d’erreur.

Ses mots sont une complainte, mon cœur se serre et mes premières larmes viennent au moment où elle continue de murmurer en ouvrant la boite pour sortir le sachet de pilules bleues. Elle ouvre le sac pour tout sortir, ses gestes sont tremblant.

Non, pas ça aussi Marta. Tu ne sais ce que ça contient et puis, ton cœur ne pourrait tenir ! Si ça se trouve, elle a un greffon artificiel ? Je ne tiens pas à le savoir pour l’instant.

— C’était bien quatre… quatre à prendre, pas deux…

Elle sort une bouteille d’eau, avale une à une les pilules. Elle ferme les yeux. Le téléphone vibre. Elle décroche avec une petite voix.

— Je les ai prises… Les quatre. Oui… Oui, toutes. À l’heure. Oui, sans faute en bas, je vais prendre ma douche. Oui, je me dépêche.

Elle raccroche. Soupire. Pose le téléphone sur le banc. Se déshabille lentement. Retire son justaucorps, son soutien-gorge. Ses jambes nues tremblent légèrement. Sur son dos, une longue marque rougeâtre, comme un coup de fouet cicatrisé, zèbre sa peau délicate. Une trace nette, datant de quelques jours.

Il osé la fouetter ! Là, il a dépassé un cap, jamais ne m’a porté de tels blessures hormis quelques gifles. L’eau coule quelques minutes à peine avant qu’elle se sèche rapidement pour enfiler la robe.

Mais sans sous-vêtements ? Là aussi, c’est une autre étape, elle devient pas qu’une prostituée de temps en temps, mais un objet, dépossédé de son identité.

Le tissu épouse son corps comme une seconde peau. Elle tire sur l’ourlet mais rien ne cache vraiment ses hanches, ni la courbe entre ses jambes. Le haut est à peine plus opaque. Elle cherche un manteau, un foulard. Rien. Elle s’en rend compte…trop tard. Le téléphone sonne à nouveau. Deuxième appel.

— J’arrive… Mais, je dois vraiment sortir comme ça ? Sergio, laisse-moi prendre une veste ! D’accord… Oui, je suis nue en dessous… Oui, j’ai compris, je vais aussi le mettre…c’est que…Ok….

Elle raccroche. Prend un peu de parfum, se maquille à la va-vite. Ses gestes sont mécaniques, conditionnés. Ça je l’ai bien saisie. Enfin, elle sort du fond du casier un collier noir, très fin, orné d’une petite rose noire. Elle l’attache autour de son cou. Ajuste la fleur au centre.

C’est le même. Le même que celui de l’oncle. Cette rose… c’est leur signe. Elle… elle est prise dans un piège orchestré. Il faut que j’établisse les rôles et si possible avec l’aide de l’avocate. Qui est vraiment Nicolas ? Depuis quand, il connait Sergio ? Et pourquoi Marta est-elle leur cible ? Et surtout, Marta avait-elle raison de craindre quelque chose de louche suite à la première lettre ?

Marta se regarde dans le miroir. Peau nue. Lèvres rouges. Yeux fuyants. Un pantin bien dressé.

— Montre que l’ancienne Marta est devenue la nouvelle. Montre que l’ancienne Marta est devenue la nouvelle. Oui, c’est moi qui dicte la soirée.

Elle ramasse ses affaires, range tout doucement. Puis quitte la pièce, les épaules droites, le regard éteint, sans rien pour couvrir sa robe. Elle marche comme sur une scène, exposée. Offerte, vulnérable. Je sors enfin de ma cachette. M’assoit sur le banc vide, là où elle était. Pose les doigts sur l’endroit exact où elle s’est tenue.

— Elle est trop loin… Même Roberto ne pourra plus la sauver. Pas tant qu’elle obéit. Pas tant qu’elle s’accroche à cette fausse image. Une seule manière de faire, la ramasser en morceau.

Je m’effondre en silence, la tête dans les mains. Tout va trop vite, si vite et l’année n’est pas finit. Demain, je devrais trouvé des signes discrets de cette soirée, elle ne pourra jamais se terrer éternellement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lapasseused'histoires 2 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0