La forge du Silence
La poignée tourne, je reste figée. Tout manière j’ai mal dormie, la douleur m’a réveillée, fait suer, mes larmes comme seuls compagnie.
Sergio s’installe en douceur pour changer mes pansements. La vision me fait tourner la tête de l’autre côté, je résiste et essaye de deviner la suite de ce nouvel Enfer…Verrais-je ma sœur ? Et les autres membres ?
— Tu n’as plus besoin d’avoir d’auriculaire, ni d’annulaire. Tu es d’accord avec moi hein ma chérie ?
Il tourne mon regard pour me forcer à voir ce qui me manque. Il bécote les moignons avant de terminer ses soins.
— J’ai cru me souvenir que je devrais rester un mois ici…pourtant, c’était mon idée de le tuer, tu l’as approuvé, expliquer que vous avez pensés aussi….
— Tu as cru que c’était ton idée, c’est bien ça le problème. Tout le reste fonctionne sur ces illusions que tu as le libre arbitre.
Son rire sans éclat me broie plus sûrement que ses mots.
— Tu n’as rien compris, Marta Rosalia. Littéralement rien et ces jours prochains, je vais t’éclairer. Tu voulais juste me prouver quelque chose. Nous prouver. Tu voulais que je te félicite et cela va venir ma beauté.
Je ferme plus fort les yeux, comme si cela pouvait l'effacer, lui et ses vérités tranchantes.
— Nous t’avons laissée croire que c’était ta volonté. Mais tu n’étais qu’un pion docile, animé par le besoin de plaire. Tu es sur le bonne voie. On ne façonne pas une Élue en deux mois, je t’ai pas tendu la main, juste pour te voir à peine obéissante.
Je sens ses doigts caresser lentement mes cheveux emmêlés.
— Une deuxième union nous attends. Tu vas parfaire ton rôle de femme avant que je te prépare pour tuer. Non pour toi, pour le Cercle et pour moi.
Il se lève dans un bruissement léger de tissus après un baiser délicat sur mes lèvres.
— Dors, mon épouse. Donc dès demain, nous commencerons à t’apprendre ce que signifie vraiment m’appartenir.
La porte se referme doucement derrière lui. Je reste seule, broyée sous le poids de ses mots.
Non, je n’avais rien compris. Et peut-être que je n’y comprendrai jamais rien.
Il revient quelques heures plus tard pour me nourrir. Puis s’en va. Je suis autorisé à me laver au seau, tout se fait dans cette prison. Les mêmes gestes, les mêmes pas lourd et ma fragilité…
Je crois que je suis encore droguée. Ou alors mon cerveau s’est dissout dans la fatigue. Je dors tellement que j’en perds la notion du temps. Ce n’est pas plus mal…même si je pense à la probable angoisse de ma sœur qui doit se demander, où je suis, si je vais bien….
Sauf que le silence, immense, compact, m’écrase plus que tout. Je suis devenue un objet.
Une routine de plus dans son emploi du temps. En quoi, m’enfermer est-il un signe que je lui appartient ? Si je suis mariée, je devrais vivre avec lui, chez nous….
Le quatrième jour, je crois que c’est le quatrième, je suis à moitié éveillée quand la porte claque plus fort. Je sursaute et je suis surprise de le voir sans le plateau, ni de quoi me soigner.
Son regard tombe sur moi, froid, prêt à me briser. Il m’attrape par le bras. Sa poigne est dure, implacable, il me lève sèchement. Je tente de reculer, il resserre sa prise.
Je n’ai pas le droit de lutter.
Il me traîne dans le couloir glacé. Mes pieds nus glissent sur la pierre. Chaque pas réveille des douleurs vives dans tout mon être. J’ai perdue l’habitude de marcher.
On descend l’escalier en colimaçon. Un étage plus bas donnant sur une porte ouverte. L’intérieur sent le renfermé, le feu et la rouille. Et au milieu, dressée comme une sentence : une grande croix de bois brut. Fixée au sol.
Mon estomac se retourne, j’ai mal à la tête. Il me plaque contre le bois rugueux. M'attache les poignets. Puis les chevilles. Je suis écartelée, offerte, vulnérable. Ma respiration devient saccadée.
À côté de la croix. Un brasero de métal, les flammes y dansent, rouges et avides.
Et, planté à côté, chauffant dans les braises : un poinçon, moyen dont la pointe rougeoie.
Mon cœur se met à battre contre mes côtes comme un animal piégé. La première marque dans ma rétine…je ne peux y échapper…Sergio remplace Nicolas.
Je suffoque, incapable d'articuler un mot. Sergio reste un instant à me regarder. Un rictus effleure ses lèvre Il savoure ma terreur. Il effleure mon flanc du bout des doigts, remonte sur mon ventre, mon sein meurtri par la maigreur.
Sa main est chaude, presque douce. Je frémis malgré moi, de peur, de honte, de cette dépendance infecte que je n’arrive pas à briser. Il se penche. Sa bouche se pose sur ma petite poitrine, suce ma peau froide, morde doucement jusqu’à ce que je gémisse en serrant mes dents. Ses doigts explorent sans pudeur, remontant, caressant, pinçant.
Je me débats, mais faiblement. Je suis un jouet sexuelle autant qu’une poupée qu’il va ferré. Je connais sa méthode, la même. Me détendre pour mieux me faire souffrir avant de me câliner, me complimenter…
Je sens que mon cœur bat plus fort, mécaniquement, sans émotion réelle, comme si mon corps voulait survivre malgré mon âme en lambeaux. Enfin, c’est le cas, plus ces derniers jours que toute les fois dans la chambre capitonnée, ou durant les tests….
Quand il s’écarte enfin, il me regarde avec un mélange d’amour feint et de mépris amusé. Sa voix tombe, calme autant que vibrante :
— Marta Rosalia, ma tendre épouse. Mon Elue. Mon trésor imparfait.
Il caresse ma joue d'un revers possessif.
— Tu portes déjà la rose du Cercle sur ta clavicule... une œuvre, ô combien magnifique. Hors, elle appartient à tous, vois-tu. À tous les maîtres, à Nicolas, aux ombres.
Il se rapproche de mon oreille. Je retiens mon souffle.
— Moi... je veux autre chose.
Il marque une pause, pour que chaque mot entre dans mon crâne comme une lame froide. Il rit doucement, pervers.
— Je veux que tu portes ma marque. La mienne seule. Je t’ai laissé t’imprégner ces quatre premiers jours, de l’ambiance de ma présence autant que la solitude. Le mariage sous la lune pour le Cercle était là pour que les autres membres savent que tu m’appartiens. Cependant, j’ai d’autre plan pour notre avenir. Sentant que tu m’échappes parfois, je vais imprimer dans ta chair, le symbole ultime de ta soumission. Je remercie Nicolas de toute sa confiance, ce crétin pense qu’un mois va suffire à manier les armes, tes mots et ton apparence. Il oublie trop souvent que tu capables d’avoir l’examen en une semaine.
Son doigt glisse lentement sur ma clavicule déjà marquée, descend le long de ma poitrine jusqu’à mon ventre, s’arrêtant au creux de mes reins.
— Revenons à tes leçons et notre union. C’est ici, que je vais graver mon blason. Un lien que tu ne pourras jamais effacer. Car le sang partager, ne suffit pas ! Tu le sais, que je suis très exigeant.
Il tend la main vers le brasero. Je retiens un sanglot. Il le saisit sans hésiter.
— Quand ce sera fait, Marta... tu n’auras plus jamais d’échappatoire. Seul la mort, sera ta porte de sortie et bien sûr, c’est moi, qui donnerait le dernier coup. Tu seras parfaite. Mienne même dans l’au-delà. Je t’aime ma femme, ma Rose.
Je sens la chaleur du métal s'approcher. L'odeur de la braise me donne la nausée. La peur me dévore, la rage me consume. Mais je ne peux que supplier en silence, impuissante.
Il approche le fer lentement, pour me laisser le temps de comprendre qu’il est trop tard. Sadique, il masse une dernière fois le flanc gauche pour préparer le tatouage. Le fer brûlant lèche ma peau. Je retiens ma respiration, mes yeux s'embuant de larmes.
Sergio est un enfant qui s’amuse.
— Tu sais ce que je vais dessiner, mon amour ? Tu le sens un peu ?
Il dépose un peu plus, juste pour me faire sentir la morsure du métal incandescent. Je suffoque, incapable de répondre.
— Un serpent... oui, un serpent élégant, mince, sinueux... qui s’enroule sur lui-même comme ta destinée s’est enroulée autour de moi.
Je crispe les doigts, ou ce qu’il en reste. La douleur est un monstre rampant sous ma peau. Il pousse le fer encore plus près.
— Et autour... autour de lui, une phrase que tu ne pourras jamais oublier.
Je hurle sans un son, la gorge bloquée. Je me retient plutôt.
— Silence, obéissance et loyauté.
Sa voix se fait presque caressante, comme s’il me racontait une berceuse. Le fer s’enfonce lentement, méthodiquement, dans ma chair. Je sens ma peau se fendre, l'odeur immonde de la chair brûlée envahit mes narines. Mon corps entier convulse, mais je ne peux pas m’échapper.
Sergio continue, imperturbable.
— Le serpent symbolise ton parcours, mon Elue... Ton venin. Ton obéissance. Ton éternité à moi.
Il appuie plus fort sur ces derniers mots signant
Je sens la chair éclater, la chaleur ronger mes nerfs à vif.
Je suffoque, mon cœur artificiel s'emballe dangereusement.
Des larmes de rage, de honte, de douleur roulent sur mes joues sales. Je veux mourir. Je veux hurler. Je veux que ça cesse. Mais je ne peux qu'agoniser, offerte. Sergio murmure enfin, en appuyant une dernière fois :
— Il ne restera plus rien de toi sans moi, Marta Rosalia. C’est ça... l'amour véritable.
Quand il retire le poinçon, je m'effondre contre la croix, pendue par mes poignets, incapable de me tenir droite. Mon flanc gauche pulse atrocement, chaque battement de mon cœur étirant la brûlure comme une malédiction vivante.
Je crois entendre Sergio souffler, satisfait :
— Parfaite. Hâte de démarrer les exercices demain.
Puis le noir m’engloutit.
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