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Un nouveau déferlement de joyaux. En raison des circonstances particulières, la fête était un bal masqué. Ce qui donnait lieu à encore plus de richesses et de jeux d’apparences. Yukikaze et Ayanami avaient choisi des costumes inspirés par le roman que lisait l’aîné. L’intrigue se passait dans un pays imaginaire, au-delà de l’Orient. Le Begleiter portait un long manteau bleu nuit aux amples manches, ouvert sur une tunique grise croisée et un pantalon d’une teinte un peu plus soutenue. À sa large ceinture marine était accrochée une chaîne où pendaient des breloques. Ses bottes bleu-gris rappelaient la bague et la broche qui complétaient sa tenue. Son masque argenté était décoré d’arabesques, et dans le coin droit scintillait un petit diamant. Ayanami avait revêtu une tunique turquoise brodée d’or, aux manches bouffantes. Son pantalon clair était assez ample, et il portait des bottes anthracite basses. Il n’avait pas choisi beaucoup d’accessoires, mais ceux-ci étaient assortis à son loup sombre. Son costume semblait plus sobre que celui de Yukikaze car il n’appréciait pas l’attitude des courtisans toujours dans l’apparat tandis que son Begleiter s’était laissé prendre au jeu. Alors qu’ils approchaient de la salle de bal, la foule se faisait plus nombreuse, bruissante, chamarrée.

« Où sommes-nous censés retrouver Lieva ? demanda Yukikaze.

- Nous nous sommes donné rendez-vous aux abords du champ de bataille. » ironisa Ayanami.

Tous deux cherchèrent quelques instants parmi les masques bigarrés. L’officier remarqua une personne un peu plus loin qui leur faisait signe. Elle retira brièvement son domino et il reconnut la jeune fille. Ils la rejoignirent et elle engagea la conversation :

« Belle soirée, n’est-ce pas ?

- La compagnie paraît bonne, et des divertissements se profilent, répondit Yukikaze, la perspective me semble agréable.

- À nous de déterminer tout cela. ajouta Ayanami.

- Et si nous y allions ? » proposa Lieva.

Ils passèrent les hautes portes en bois de cyprès et entrèrent dans la grande salle. À l’intérieur se trouvait une multitude de courtisans discutant, se jaugeant, essayant de deviner qui se cachait derrière chaque masque. Ils croisèrent des oiseaux, des souverains, des créatures fantastiques, des fleurs, des guerriers… Le jeune homme devait reconnaître que le costume de Lieva lui seyait particulièrement. Elle incarnait une magicienne. Sa robe pourpre lui arrivait aux genoux et s’ouvrait devant sur un tissus violet clair, assorti à son châle à pompons. Ces décorations se retrouvaient sur son chapeau pointu à larges bords, de la même teinte que sa robe et ses bottes asymétriques. De nombreux bijoux venaient agrémenter sa tenue, composés d’or rose et de labradorite ouvragée. Des motifs de lunes et planètes parcouraient certaines pièces de tissus, dont la cape fixée à son épaule gauche.

Ils se rendirent près du centre de la salle. Un grand cercle était en train de se former. Une fois que l’espace fut dégagé, un héraut annonça le début du bal. L’Empereur initia la première danse avec sa favorite. Il ne se mouvait pas avec une aisance particulière alors que sa cavalière ravissait par son élégance. D’autres couples entrèrent en piste, au nombre de sept. Les représentants des God Houses et du royaume d’Antwort. La coutume voulait que ces délégations ouvrent le bal avec leur hôte.

« Intéressante, l’ambassade du septième district, commenta Yukikaze, je crois que je ne m’y habituerai jamais.

- Ils envoient un membre du clergé régulier et une oblate, observa Ayanami, que voudrais-tu qu’ils fassent d’autre ? La plupart des évêques quittent rarement l’église.

- On dit que le chef de la maison du quatrième district n’est pas l’aîné de la famille, déclara Lieva, est-ce vrai ?

- Oui, confirma l’officier, son frère était l’héritier mais il est décédé il y a quelques années. Le cadet a donc pris sa charge, et a adopté son neveu.

- Tu t’intéresses aux bruits qui courent ? le taquina son Begleiter.

- S’il s’agit des God Houses… » répondit Ayanami.

Lieva sentit passer un sous-entendu qu’elle ne saisit pas. Elle s’apprêtait à parler quand elle remarqua que le jeune homme s’était figé. Un éclat sombre passa dans ses yeux. Intriguée, elle chercha quel couple il suivait du regard. La réponse la surprit. À quelques pas d’eux évoluaient les représentants du cinquième district. Le roi et la reine de Raggs. Le souverain affichait comme d’ordinaire un mélange de sérénité et de fatigue. Le personnage qu’il incarnait, un peintre, lui correspondait parfaitement. Sa femme, Vanessa d’Antwort, portait un sublime costume d’ange. La jeune fille ne comprenait pas l’aversion que l’adjudant échouait à dissimuler. Elle savait qu’il avait tendance à juger certaines personnes, mais ne voyait pas en quoi ses stricts standards concernaient les souverains. En y réfléchissant bien, elle se souvint d’une rumeur, mais elle n’était pas sûre qu’il s’agisse de cet on-dit. Il se murmurait que le chef d’État avait été infidèle à sa femme. Un nom revenait dans les conversations, sans qu’on puisse l’associer à une personne. Milea Klein. Cependant, quand bien même ces faits auraient été avérés, Lieva ne faisait pas le rapport entre cette incartade et le jeune officier.

Les dernières notes résonnèrent.

« Et si nous dansions ? » demanda la jeune fille.

Ayanami parut se réveiller.

« Oui, volontiers. »

Il assortit sa phrase, chose rare, d’un sourire. Ils entrèrent sur la piste en même temps que d’autres courtisans. Les premiers accords s’élevèrent, légers. Lieva remarqua le regard triste de Yukikaze, posé sur son protégé. Puis ils commencèrent à valser, et elle ne s’en préoccupa plus. Elle avait rarement l’occasion de danser avec un partenaire, et s’étonnait à chaque fois de la proximité tacite qui se créait avec son cavalier. Ayanami, par exemple, paraissait moins réservé, comme si l’espace d’une mélodie il laissait transparaître une autre personnalité. Il semblait plus naturel, presque amical.

Après cette valse, Yukikaze l’invita. Tous trois passèrent la soirée à discuter et danser, indifférents au contexte politique du bal. Ayanami était surpris de parvenir à oublier pour quelques heures tous ses soucis et son quotidien. Peut-être était-ce dû à Lieva, qui avec sa façon d’être simple et naturelle l’invitait le temps d’une fête dans un monde normal. Elle lui faisait le même effet que Yukikaze, dont l’approche tranquille de la vie l’apaisait souvent.

Les heures passaient, insouciantes. Aux alentours de minuit, alors qu’ils se reposaient en bordure de la salle, quelqu’un les rejoignit. Il s’agissait d’un homme élancé et d’assez grande taille, revêtu d’un riche costume d’oiseau nocturne. Après les avoir salués, il s’adressa à Lieva :

« Mademoiselle, il est temps de rentrer.

- Il est encore tôt, Johannes. » répondit-elle.

Elle esquissa un joli sourire espiègle. Lisant l’interrogation dans le regard d’Ayanami, elle précisa :

« C’est mon précepteur, il est arrivé hier et m’a accompagnée à la cour. »

C’est pour cela qu’il ne l’escortait pas, comprit l’adjudant, d’autant qu’il ne m’a pas l’air d’être taillé pour le combat.

« Vous avez rendez-vous demain à huit heures avec votre couturier, reprit Johannes, vous risquez de vous endormir pendant les essayages.

- Ce serait dommage, s’amusa la jeune fille, je ne pourrais pas écouter les éloges de mon styliste.

- Vous refaites votre garde-robe ? plaisanta Yukikaze.

- Un événement en perspective… répondit Lieva mystérieusement. Vous en saurez plus une autre fois, car il est temps pour moi d’y aller. Mes hommages, messieurs. »

Elle leur fit une petite révérence, puis partit au bras de son précepteur. Les deux militaires la regardèrent s’éloigner jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans la foule.

« Je ne me l’étais pas représentée comme ça, observa le Begleiter, je la croyais plus fade.

- Tu es assez direct. » sourit l’officier.

Un temps passa, puis Yukikaze demanda :

« Et à présent, que faisons-nous ?

- Je pense rentrer bientôt, annonça Ayanami, je commence à fatiguer avec cette agitation.

- Attardons-nous encore un peu tout de même, vous vous accordez rarement de telles pauses.

- Si tu veux. »

Ils demeurèrent donc dans la salle, discutant de divers sujets, commentant les mille petits événements qui se déroulaient autour d’eux, regardant les costumes parfois chimériques, profitant de la musique variée. À un moment, le Begleiter remarqua l’une de ses connaissances dans la foule.

« Il y a la duchesse de Dicéphanée là-bas, et si nous allions la voir ?

- Comment sais-tu que c’est elle ? questionna son cadet.

- Elle m’avait montré son costume avant le bal. C’est la fée qui discute avec le marionnettiste. »

Le jeune homme remarqua, près d’une fenêtre ouverte, deux jeunes gens devisant. La duchesse paraissait jeune, elle devait avoir quinze ans. Elle portait une robe rose et des bijoux dorés en accord avec son masque. Une longue traîne diaphane figurait ses ailes. Ses cheveux bruns étaient relevés en un chignon tressé auquel se mêlaient des pendentifs en or. Son interlocuteur était vêtu d’un costume blanc à broderies argentées contrastant avec ses cheveux châtain-roux, et un loup dissimulait son regard d’ambre. Le motif se répétant sur sa tenue représentait des engrenages stylisés, lui donnant des airs de mécanicien. Les deux militaires les rejoignirent.

« Bonsoir, Onirea, commença le Begleiter, tu es particulièrement en beauté ce soir.

- Merci, Yukikaze. J’aime beaucoup ton costume. »

Elle leur adressa à tous deux un sourire qui fit scintiller ses yeux sombres.

« Qui est avec toi ? reprit-elle.

- Je t’en ai déjà beaucoup parlé, il s’agit de l’adjudant Ayanami.

- Enchantée. dit-elle.

- Moi de même. dépondit-il.

- Quant à cette demoiselle… continua Yukikaze. Permets-moi de te présenter Onirea Kawai, duchesse de Dicéphanée.

- Et je vais pour ma part introduire mon partenaire. » poursuivit la jeune noble.

Le marionnettiste acquiesça. Elle déclara :

« Voici mon cousin, Xing-Lu Hausen, héritier de la God House du sixième district.

- C’est un honneur de faire votre connaissance. assura l’adjudant.

- Ce sentiment est réciproque, répondit le jeune aristocrate, on m’a parlé de vos faits d’armes. »

Ayanami était intrigué. La famille Hausen était connue pour soutenir Raggs plutôt que Barsburg, le sens de cette phrase était donc ambigu.

La musique leur parvint un peu plus fort.

« C’est un menuet ! identifia Onirea. Quelqu’un voudrait bien danser avec moi ? C’est mon préféré.

- Je suis un peu fatigué… déclina son cousin.

- Je veux bien t’inviter. » proposa Yukikaze.

Ils se rendirent donc à la piste de danse et trouvèrent une place parmi les couples virevoltant. Les deux jeunes hommes les regardèrent quelques instants évoluer sur l’air entraînant puis reprirent leur conversation.

« Il me semble vous avoir déjà vu quelque part, commença Xing-Lu, mais je ne saurais dire où.

- Étonnante remarque dans un bal masqué. éluda Ayanami.

- J’en conviens, sourit le noble, mieux vaut laisser de côté nos identités pour le moment. Il existe tant d’autres sujets de discussion.

- En avez-vous un particulier en tête ?

- Quels sont vos passe-temps ? l’interrogea directement le marionnettiste.

- J’ai peu de temps libre, cependant j’apprécie la lecture. Yukikaze et moi essayons de nous reconstituer une bibliothèque depuis notre arrivée à la cour. Et comme il est moins occupé, il me conseille souvent des ouvrages.

- Quel est votre genre préféré ?

- Les romans philosophiques, ils ont l’avantage d’allier l’imaginaire et la réflexion.

- Vous n’avez pas tort. Personnellement, je privilégie les œuvres historiques.

- Vous me paraissez fort studieux, fit remarquer le soldat, quels sont vos loisirs ?

- Je confectionne des poupées et des marionnettes.

- C’est assez inhabituel.

- Certes, mais c’est passionnant. J’aime beaucoup les fabriquer étape par étape, façonner chacun de leurs éléments, et leur donner une personnalité et une histoire.

- Je n’ai jamais été très créatif, commenta le militaire, mais tel que vous la décrivez cette activité me paraît fort intéressante. »

À ce moment, les deux danseurs les rejoignirent.

« Vous vous êtes bien amusés ? s’enquit Xing-Lu avec un sourire.

- Oui, répondit sa cousine, Yukikaze est toujours aussi doué.

- Tu danses très bien aussi, on dirait que c’est une chorégraphie que tu maîtrises. » plaisanta le Begleiter.

Elle rit.

« En tout cas, reprit-elle, je me suis rarement autant divertie. Je commence déjà à fatiguer, alors qu’il n’est même pas une heure.

- Il serait plus prudent de rentrer, en ce cas. la taquina son cousin.

- Peut-être, en effet. Tu ne veux pas rester encore un tout petit peu ?

- Pourquoi pas ?

- Pour ma part, déclara Ayanami, je pense que je vais m’en aller.

- Je vais aussi partir. décida Yukikaze.

- Si tu as envie de rester, dit l’officier, ne te sens pas obligé de m’accompagner. »

Le Begleiter hésita.

« Bon, je vais m’attarder un peu… choisit-il.

- D’accord. »

Il prit congé de ses interlocuteurs et se dirigea vers la sortie de la salle. Alors qu’il passait les portes, quelqu’un l’appela. Surpris, il se retourna. Un homme sortit de la foule et le rejoignit. Il portait un grand manteau blanc aux décorations d’argent, et un simple masque clair.

« Krowell, est-ce bien toi ? »

Le jeune homme était incapable de réagir.

« C’est incroyable, continua l’autre, je ne m’attendais pas à te trouver ici. Que t’est-il arrivé depuis… »

Il s’arrêta. Une ombre passa dans son regard. Un silence s’installa. Les deux hommes se tenaient face à face, l’un plein d’un mélange d’espoir et de tristesse, l’autre souhaitant à tout prix se trouver ailleurs. À cet instant, un troisième personnage arriva. Le roi de Raggs. Il s’adressa d’abord à l’homme en blanc.

« Kreuz, tu ne te joins pas à la fête ? »

Puis il identifia le soldat. Il parut stupéfait et devint silencieux à son tour. Ayanami décida de mettre un terme à cette scène. Il les salua militairement et s’en alla.

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