Chapitre 12 : La Citadelle

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- Ça ne devait pas se passer comme ça ! siffla Joseph.

- Tu ne pouvais pas l’épargner plus longtemps, avait répondu Louis, d’un ton calme qui détonnait face à celui de mon frère.

- Comment l’ont-ils trouvée ?

Le garçon jeta un regard noir au conducteur, qui lui rendit.

- Ça suffit ! ordonna Louis. Je sais à quoi tu penses ; Thomas n’y est pour rien.

- Il veut tellement retrouver la Pierre du Temps qu’il se fiche bien des conséquences.

Louis freina brusquement. Il perdit la maitrise du véhicule et la voiture dérapa dans l’herbe humide. Il se tourna vers Joseph, l’air agressif.

- Je n’aurais jamais dû l’écouter, râla Joseph, visiblement en proie à un mal profond. Si je n’avais pas fouillé dans sa tête, tout cela ne serait jamais arrivé. Elle n’aurait pas eu accès à mes souvenirs et elle ne se serait pas mise dans une telle situation !

La tension entre les deux était palpable.

- Je ne…commençais-je, le cœur au bord des lèvres avant que Jo me fasse taire d’un geste, alors je me renfrognais.

- Tu savais qu’une des deux jumelles avait survécu, continua Louis, comme s’il ne m’avait pas entendu. Peut-être que si tu n’avais pas gardé son existence secrète durant tant d’années, le résultat aurait été tout autre. Et peut-être qu’ils t’ont suivi, n’y as-tu pas pensé ? A toujours vouloir gérer tout, tout seul…Ce n’était pas très malin non plus…

Joseph se crispa cependant que Louis reprit la route. Toute l’amertume de son regard disparut, remplacé par de la déception et un soupçon de peine.

- S’ils m’avaient suivi, je les aurais sentis, se défendit-il.

- Peut-être, peut-être pas. Tu ne devrais pas sous-estimer Amélia.

- Et toi, tu ne devrais pas me sous-estimer, Louis.

Le blondinet s’écrasa au fond de son siège, en sifflant entre ses dents. Cela fit sourire son ami, bien que je ne comprenne pas ce qu’il y avait de drôle. En réalité je ne comprenais rien du tout à ce qui venait de se passer. Et la situation entre les garçons était bien trop tendue pour que j’ose demander quoi que ce soit.

Soudain mon estomac se tordit. J’allais vomir. Alors que Louis roulait à toute allure, j’ouvris la fenêtre et glissai ma tête à l’extérieur, juste à temps. Louis ralentit avant de s’arrêter sur le bas-côté, en plein milieu de la campagne.

- Je suis désolée, avouais-je en remontant la vitre alors que Louis avait déjà repris la route

- Ne t’inquiète pas, m’avait répondu Joseph sans même me regarder.

- C’est normal, ça fait souvent ça les premières fois, m’expliqua Louis.

- Les premières fois…relevais-je dans un murmure.

Ils avaient l’habitude de se battre, c’était évident.

Quant à moi, je tremblais de toutes parts et j’avais envie de pleurer, d’hurler, sans même que je ne comprenne pourquoi. Mais les pensées de Joseph me revenaient. Il n’aimait pas quand les gens pleuraient, il détestait cela. Il était déjà suffisamment énervé pour que j’en remette une couche ! Alors, j’étouffais mes sanglots.

Après environ vingt minutes de trajet, la voiture s’est enfoncée dans une petite forêt, perdue en plein milieu de la campagne. Je ne savais pas où nous nous trouvions. Louis s’est engagé sur un petit chemin de terre, au creux de deux collines, où il y avait à peine la place pour la voiture. Les arbres, plusieurs fois centenaires au vu de leur taille, nous entouraient et semblaient glisser des flancs des collines pour s’abattre sur nous. Je chassais cette idée folle et me concentrais sur la route. Elle était sinueuse et de plus en plus étroite. Cela me donnait la nausée.

Puis, comme abandonné là, un immense portail en fer rouillé se tenait devant nous. Sans que je ne m’en rende compte, Louis et Joseph avaient ouvert leur fenêtre et deux petits robots semblaient leur faire la conversation. Un rayon rouge sortit du premier et scanna les iris du conducteur :

- Louis, membre de l’Escorte. Permission accordée, avait annoncé une voix émanant du petit objet rond qui tournoyait dans les airs.

L’autre robot, qui ressemblait davantage à un humanoïde quoique mesurant à peine une cinquantaine de centimètres fit de même avec Joseph. Je n’en croyais pas mes yeux.

Un bruit contre ma fenêtre me sortit de ma rêverie. C’était la petite boule. Un peu timide, j’ouvris à mon tour la fenêtre. Le petit robot tenta de me scanner les yeux mais je les avais fermés.

- Echec de l’identification.

- Ne t’inquiète pas, on ne sent rien, me rassura Louis.

Alors je m’exécutais.

- Fille de Naïwenn, hypersensible. Permission accordée.

Le robot se recula, le portail s’ouvrit dans un grincement strident, et la voiture s’enfonça davantage dans l’obscurité de la forêt.

Nous nous trouvions devant une immense bâtisse gothique. Le reflet de la lune sur les pierres se fondait à merveille dans l’obscurité des bois, donnant au lieu un aspect froid et hostile. Cachée derrière les deux garçons, je montais la dizaine de marches du perron. Je m’émerveillais, ébahie par la beauté du spectacle. J’avais toujours eu un attrait particulier pour ce genre de décor.

- Bienvenue à La Citadelle, me dit Louis non sans une certaine fierté dans la voix.

Deux grandes portes en bois s’ouvrirent et je découvrais le hall. Les murs étaient faits de grandes pierres blanches. Chacun de nos pas sur le carrelage noir résonnait, comme dans les grandes églises. En face de la porte se tenait un gigantesque escalier, recouvert d’un tapis rouge et sur la première marche se tenait une jeune femme brune aux mèches rougeoyantes. Elle avait les cheveux courts et portait une combinaison en cuir qui moulait son corps parfait. Elle avait le visage fermé, ne laissant apparaître aucune émotion.

- Il veut la voir, dit-elle après nous avoir fixés, immobile, pendant quelques secondes.

- Allons lui parler, lança Louis.

- Non, il n’est pas encore prêt. Il vous fera appeler.

Joseph grogna des mots indéchiffrables. Il rebroussa chemin à grandes enjambées et me bouscula. Je voulus m’élancer à sa poursuite, je ne voulais pas qu’il me laisse seule ici. Mais Louis m’arrêta.

- Ne t’inquiètes pas pour lui, ça passera, essaya-t-il de me rassurer en me souriant. Jessy, je te présente Shin. Elle va s’occuper de toi.

J’hochai la tête à défaut de dire quoi-que-ce-soit. Une chose était sûre, elle n’avait aucune envie de jouer les chaperons.

- Elle est très gentille tu verras ! ajouta-il tout en me poussant vers l’escalier alors qu’il lui adressa un regard sombre.

Puis il prit, à son tour, la direction de la sortie.

Après avoir soufflé un bon coup, je franchis la première marche et rejoignis mon hôte. Elle n’était pas très grande, à peine plus que moi. De par ma proximité je devinais davantage son corps. Ses muscles étaient saillants, puissants. Elle avait les cheveux coupés en un petit carré plongeant juste au-dessous des oreilles et elle n’était pas maquillée. Elle n’en avait pas besoin. Son teint était parfait, légèrement mate. Elle avait de petits yeux noirs, qui lui donnaient un regard profond, et des lèvres bien roses.

- Alors c’est toi, Jessy ? demanda-t-elle l’air visiblement déçue.

- Et toi, Shin ? Je croyais que c’était un nom de garçon, avouais-je un peu impressionnée.

Elle me fixa avec dédain, comme si j’avais dit une absurdité. Nous avions repris notre marche et monté deux étages. Puis nous avions emprunté un grand couloir, et nous nous sommes arrêtés devant la troisième porte à droite. J’avançais dans la Citadelle, comme si une part de moi savait pertinemment où aller.

- C’est ici. Ta chambre. C’était celle de Naïwenn.

Elle n’avait pas l’air de vouloir entrer, comme si elle craignait quelque chose. Alors je saisis la poignée et la fit tourner. Mais quelque chose me brûla la paume de la main. Sans même que je ne dise quoi que ce soit, Shin l’examina. Des petits bouts de verre étaient incrustés sous ma peau.

- Je me suis probablement fait cela dans la ruelle, quand Mickaël m’a fait tomber, expliquai-je.

- Mickaël ?

Elle releva la tête dans un mouvement brusque. Je décelai dans ses yeux quelque chose qui me fit penser à de la peur.

- Tu le connais ?

- Il est dangereux, comme sa sœur, me répondit-elle d’une voix étranglée.

- Amélia ?

- Oui.

- Qui sont-ils ?

Elle me fixa un moment. Je crus lire de l’agacement et une sorte de dégoût dans sa posture.

- Il faut soigner ça tout de suite avant que ça s’infecte. Ne bouge pas, je vais chercher ce qu’il faut.

Elle me lâcha et disparut à grandes enjambées.

J’entrais dans la chambre. Au milieu de la pièce, il y avait un grand lit à baldaquins. A droite, un bureau en chêne avec un plumier. Le sol était recouvert d’une immonde moquette rouge vif et les murs d’une tapisserie vieillotte avec des fleurs de toutes les couleurs. J’avais l’impression d’être plongée dans une autre époque. Un bruit à l’extérieur attira mon attention. Je m’approchai de la porte fenêtre, et l’ouvris. Elle donnait sur un petit balcon, suspendu au-dessus d’un immense jardin éclairé. Au milieu des lys, une silhouette faisait les cents pas tout en gémissant.

- Il me déteste, pensai-je à haute voix.

- Joseph ? avait demandé Shin qui venait d’entrer sans que je ne l’entende et m’avait fait sursauter.

- Il ne voulait pas que je l’approche. Pourquoi ?

- Il est comme ça ; il préfèrerait te savoir à l’écart.

Shin me saisit par le bras, me fit assoir sur le lit et commença à me soigner. Ses gestes étaient doux, contrairement à son expression, et je ne sentais rien. Pendant qu’elle me désinfectait, elle chantonna une berceuse sans s’en rendre compte, comme par habitude. Je me sentais bien, en sécurité. Elle rangea les pansements et autres outils alors que je m’effondrais de tout mon long sur le lit. J’avais oublié à quel point j’étais épuisée.

Je fermai les yeux et m’endormi avant même qu’elle n’ait quitté la pièce.

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