Chapitre 18 (2/2) : Le Président
Une fois mes yeux trop irrités pour pouvoir continuer, j’observais les tableaux exposés sur les murs. La plupart représentaient Naïwenn et Thomas. Sur un, ils étaient peints en tenue officielle : une longue toge d’un rouge flamboyant. Naïwenn, comme sur la plupart des peintures, était légèrement plus en avant que son frère, qui semblait se complaire dans son ombre.
- Magnifique, souffla Louis à mes côtés.
J’avais complètement oublié sa présence. Il s’était assis dans un coin, attendant patiemment que je sois rassasiée. Combien de temps était-il resté ? Je n’en savais strictement rien. La nuit, au dehors, était déjà tombée, c’est tout ce que je pouvais affirmer. Et je n’étais pas fatiguée. Pour la première fois depuis des jours, j’étais bel et bien éveillée.
- Elle est identique à mon souvenir. Thomas n’as pas changé non plus.
- C’est vrai. Mais ce tableau est plutôt récent.
Son être tout entier semblait plongé dans la peinture.
- C’est écrit : An 5245. Selon vos dates, en qu’elle année sommes-nous ?
- L’An 5357.
J’effectuais un calcul rapide. Mais certaine de m’être trompée je recommençais. Finalement j’en revenais toujours au même :
- Cent-douze ans ! Et tu dis que c’est récent ! Mais ça veut dire que Thomas a au moins cent-vingt ans. Il en paraît à peine vingt.
- Il a atteint la maturité de bonne heure et à cesser de vieillir à ses vingt-quatre ans. Mais en réalité ils sont nés en 5225. Il a cent-trente-deux ans. Un petit jeune, en somme.
L’espace d’une seconde, j’entrevis un petit haussement de sourcil qui lui donnait un air narquois.
- Et toi, tu as quel âge ?
- Un peu plus de quatre-cents ans, me sourit-il jusqu’aux oreilles cette fois.
J’étais tellement estomaquée que je n’ai même pas réagi. Je secouai la tête et préférais changer de sujet avant de m’évanouir.
- Joseph ne lui ressemble pas du tout, à Naïwenn.
- Physiquement, c’est le portrait de son père. Il a la même impulsivité et la même maladresse que lui. Mais il peut se montrer aussi doux et joueur que sa mère.
Je ne me souvenais pas suffisamment d’elle pour remettre son avis en cause. Et, comme pour compatir, il me pressa l’épaule. Cette sensation m’était familière, mais je ne me l’expliquais pas.
- Je n’ai trouvé aucune information sur son père.
- Joseph a presque tout brûlé alors on a caché le reste. Attends, dans ce livre là, il doit y avoir quelque chose…
- Il a tout brulé ?
- C’était il y a quatre ans je crois. Il a perdu le contrôle. Ça lui arrive parfois quand il est submergé par la douleur. Il s’entête à garder ses capacités enfermées à doubles tours mais elles finissent toujours pas s’échapper à un moment ou à un autre.
Un frisson me parcourut toute entière. Joseph perdait le contrôle parfois, ce n’était pas rassurant. Et moi qui me sentais tellement en sécurité à ses côtés, je l’avais peut être mal jugé ! Il était hypersensible du côté de sa mère. Mais son père était le fils d’un Mnésique et d’une Télékinésiste. Joseph se trouvait donc à la croisée des trois. A n’en pas douter, lorsque ses capacités s’échappaient, cela devait donner dans le monumental !
Louis bondit sur une échelle et grimpa sur deux étages avant de disparaître derrière des colonnes de livres. En entrant je n’avais pas remarqué qu’il y en avait autant.
- Tu l’as trouvé ?
Il réapparut juste devant moi dans un sourire satisfait et ouvrit un vieux livre marron, plein de poussière, sur une double page où était représenté le Président.
En regardant cette image, j’ai vu.
Je l’ai vu et tout un tas d’informations me sautèrent aux yeux : sa toge rouge aux filaments dorés, son élégance et sa prestance naturelle, ses yeux d’un vert profond, identiques à ceux des autres Enfants de Tellusa mais si particuliers à la fois, ses cheveux bruns ébouriffés dans lesquels je plongeais sans cesse mes doigts et son nez en trompette, que j’avais toujours trouvé adorable.
- Alec…
Mon cœur se serra. Mes jambes cédèrent et je m’écroulai au sol, les yeux toujours fixés sur son sublime visage. Il était devenu flou avec le temps et les larmes, mais je le voyais maintenant. Oui je le voyais de nouveau. Doucement je passais mes doigts sur son corps et les vieilles sensations perturbèrent mon esprit. Je me rappelais ses muscles saillants sur lesquels mes doigts glissaient lorsqu’il me prenait dans ses bras, et dans lesquels je me sentais en sécurité, sa gêne apparente lorsque cela durait trop longtemps, son regard empli de compassion quand il me repoussait gentiment, son inquiétude, toujours, dans sa voix, dans ses gestes. Je le voyais maintenant, si près de moi et pourtant toujours trop loin. Tout me revenait. Tout ce que j’avais tenté d’oublier. La peau me brûlait au simple souvenir de ses caresses et la douleur, atroce, déborda de mes yeux.
En dessous de la représentation son nom était écrit : Alexander Ier du nom, née en 5225, couronné Président en 5305.
Alors que j’essuyais mes larmes, Louis recula frénétiquement jusqu’à heurté une étagère et se laissa glisser au sol.
- Tu l’as déjà rencontré…
Sa voix n’était qu’un souffle dans lequel j’entendais toute son angoisse. J’opinai.
- Par Tellusa ! Quand ?
- Il y a quatre ans.
Mes yeux restaient figés sur l’image et mon esprit…lui, avait disjoncté. Plus rien ne s’y passait. Je ne sais pas où je trouvais ne serait-ce que la force de répondre.
- Il t’a fait du mal ?
Je relevais les yeux. Les siens étaient remplis de terreur. Pour moi. Pour le passé. Je ne pouvais pas le dire, c’était trop douloureux. Invraisemblable aussi. Mais c’était Louis. J’étais sûre qu’il avait compris de toute façon.
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