5.
La grande cafétéria paraissait bien vide malgré la présence de l'ensemble des Néfastes du complexe; ils y dinaient tous en cette soirée du Nouvel An. Étant de rares et exceptionnels, Cédric ne s'étonnait pas de leur faible nombre. Il en avait compté seize avec lui depuis qu'il avait intégré l'institut. Bien que le menu du plateau repas devant lui s'avérât être le meilleur de toute sa vie, il n'avait pas le cœur à la fête. Il se contentait de jouer dans son assiette avec sa fourchette, il était perdu dans ses pensées et sa solitude. Les bruits de couverts et les réjouissances des autres pensionnaires qui s'élevaient et raisonnaient dans la grande salle ne le distrayaient aucunement. Assit, seul à sa table ronde, il observait en silence ce qui l'entourait. Il se complut à regarder dans un premier temps par la grande fenêtre verglacée à coté de lui. Un épais brouillard recouvrait la forêt environnante, il ne laissait percevoir que de brefs instants les arbres rêches, dénués de feuilles recouverts d'un voile de neige blanche. Cela lui rappelait le climat qui planait en temps normal au dessus de son propre toit de la cinquième division en cette saison. Loin d'être paradisiaque, c'était sous ce mauvais temps de fin d'année que Cédric avait passé les meilleurs moments de sa vie avec de ses deux jeunes frères. Il n'avait de cesse de penser à eux. Même si l'intérieur du complexe l'abritait plus efficacement du froid que ses anciens vêtements et sa vieille maison réunis, son cœur lui, avait besoin de ses moments avec eux pour se réchauffer.
C'est les larmes aux yeux qu'il détourna son regard de l'extérieur, pour le poser sur l'horloge fixée au sommet d'un des murs de la pièce. « Vingt-trois heures quarante-cinq » indiquait-elle. En trois jours, le garçon s'était accoutumé à l'ennuyeux emploi du temps des internes de ce complexe. Le couvre-feu se faisait tôt d'ordinaire : à vingt et une heure. À l'occasion de cette soirée exceptionnelle, ils avaient eu le droit de veiller plus tard, à condition de rester dans le réfectoire sous la surveillance de gardes qui les accompagnaient au quotidien dans les divers endroits de l'institut auxquels ils avaient accès. Leurs vêtements blancs ressemblaient à ceux des deux colosses qui avaient malmenés le pauvre brun lors de son arrivée. Leurs t-shirts unis étaient rangés dans leurs pantalons assortis, soutenu par leurs ceintures sur laquelle chacune d'entre elles était accroché un petit boîtier noir que Cédric avait reconnu ; le même que celui que le Docteur Moreau avait voulu utiliser avant de se faire interrompre par son supérieur. Certains gardes avaient, en plus de ce petit système électronique et mystérieux, une arme que le jeunot n'avaient vu que très rarement à l'extérieur de ces murs, lors de raides militaires à la recherche d'éventuels Néfastes dans les diverses Divisions.
Trois jours. Seulement trois jours et Cédric avait déjà cette impression d'être enfermé ici depuis près de deux semaines. Son assommant programme quotidien l'acculait. Il le connaissait déjà par cœur ; le réveil se faisait à six heure, suite à quoi ils avaient le temps de se doucher et de se préparer. La cafétéria s'ouvrait une première fois à partir de sept heures trente, afin de leur laisser une heure pour prendre leur petit déjeuner, ensuite, chacun d'eux devait se présenter à l'infirmerie pour des tests et analyses avant l'heure du repas. De onze à treize heure, le réfectoire s'ouvrait une deuxième fois. L'après-midi était la période de la journée la moins contraignante, jusqu'à dix-huit heure ils avaient quartier-libre, dans la mesure du possible et dieu savait qu'ils ne croulaient pas sous les activités. Au final, dix-neuf heures pour le repas à la cantine, douche et retour dans les chambres à vingt-et-une heure. C'était comme ça jour après jour, après jour.
Les yeux du garçon vagabondèrent dans la salle, sans réel but d'observer qui que ce soit en particulier. De petits groupes s'étaient formés autour des tables rondes qui remplissaient la pièce. Il pensait que créer des relations l'aiderait à tenir, mais c'était au-dessus de ses forces. Il n'avait jamais prit la peine de tenter une approche avec qui que ce soit tout au long de sa vie. Pourquoi commencer maintenant, alors qu'il ne reverrait plus jamais ces personnes après être sortit d'ici ? Son regard fut interpellé par les rires forts et jovials d'une jeune fille rousse. Elle était attablée avec trois autres personnes juste devant lui. La rouquine aux longs cheveux lisses et au visage hilare, lui faisait face. Elle avait de grands yeux pétillants d'un bleu profond. Des tâches de rousseurs parsemaient son nez et ajoutaient un air enfantin à la jeune fille. Elle discutait et s'amusait avec ses trois camardes. C'était la première fois qu'il prit le temps d'observer plus profondément quelqu'un, bien qu'elle fût loin d'être la plus atypique de ce centre. Cédric remarqua à cette même table, dos à lui, une autre fille à la couleur de peau plus foncée. Les cheveux bruns et courts de celle-ci laissaient entre-voir sa nuque sur laquelle était tatoué le numéro trente en un orange et cela ressortait particulièrement bien. Il porta la main à sa nuque, se faisant ainsi une idée du tatouage que lui avait. Les rires de la jeune rousse s'élevèrent plus haut que n'importe quel autre son engendré par les autres Néfastes.
« Comment peut-elle paraître aussi heureuse ? Loin de sa famille, bloquée ici dans une routine aussi lassante. Comment peut-elle ne serait-ce que penser à sourire dans une telle situation ? » se demanda Cédric qui avait reportait ses pupilles sur elle.
Lui, avait l'impression qu'il ne pourrait plus jamais sourire, plus jamais ressentir le moindre sentiment, la moindre sensation de bonheur. Cependant, il aimerait bien avoir l'état d'esprit actuel de la jeunette.
« Ces quatre là, ils n'ont rien à se reprocher à ce point pour rire ainsi ? » Les jalousa-t-il dans sa tête.
Du peu qu'il entendait de leur conversation au-dessus du vacarme, la rouquine s'appelait Marie. L'un des deux garçons du quatuor se nommait Vincent, Cédric ne savait pas s'il s'agissait du jeune blond aux yeux bleus et aux cheveux bouclés qu'il voyait de profil; ou bien le second qu'il apercevait un peu mieux, à la peau plus brune, les cheveux châtain foncé et les yeux couleurs noisette. Les yeux de Cédric se détachèrent de cette joyeuse bande pour se promener au-delà. Il remarqua au fond de la pièce, à une table bien éloignée de toutes les autres, une autre personne, solitaire et mystérieuse. Ce n'était pas la première fois qu'il la rmarquait. D'après lui, ce « personnage » là était le pensionnaire avec le comportement le plus étrange. Toujours recroquevillé sur lui-même, il ne l'avait jamais vu adresser la parole à qui que ce soit, si ce n'était une jeune fille brune de peau toujours à sourire elle aussi. L’énigmatique individu attira l'attention de Cédric qui se posait des questions sur la santé mental de celui-ci. Il se rendit compte qu'en trois jours, il n'avait même jamais vu le visage de ce dernier, car il ne sortait jamais sans sa casquette de golf qui recouvrait l'entièreté de sa tête et masquait son visage. À croire qu'il cherchait à se cacher du monde entier. Il avait une allure frêle, ses bras fins et pâles sortaient de son t-shirt gris qui semblait être trop large pour lui. C'était là, le seul élément de son corps que le pauvre bougre laissait paraître, à tel point que son couvre-chef ne lui suffisait pas, il passait son temps à entourer son visage de ses maigres bras. Il dégageait une aura sage et naïve, mais la nature méfiante de Cédric ne pouvait s'empêcher de le faire douter de l’innocence de celui-ci.
-Eric.
Cédric sursauta suite à cette intervention qui interrompit son observation. Il posa les yeux son interlocuteur, l'air de lui indiquer du regard que ce n'était pas le sien. Il crut reconnaître la fille qui avait « l'honneur » de tenir compagnie à l'étrange garçon discret qu'il dévisageait à l'instant. Brune de peau, grands yeux marrons, ses cheveux lisses et bruns lui tombaient jusqu'aux épaules. Plus de doute, c'était bien elle ; la seule personne qu'il avait déjà vue parler avec… l'autre.
-C'est pas ça, mais pas loin, Répondit-il négligemment, sans vraiment lui prêter attention.
-Pas toi, rit-elle. Celui que tu fixes depuis au moins quatre bonnes minutes.
Cédric scruta le garçon l'espace d'une seconde avant de se perdre à nouveau dans le contenu de son plat.
« Si je l'ignore elle finira par s'en aller. » Espéra-t-il.
-Il en a pas l'air comme ça, mais il est cool, Reprit-elle.
«D'où sort cette fille? Qu'est-ce qu'elle me veut?» Se demanda-t-il alors qu'elle restait plantée debout devant lui le sourire aux lèvres.
-Bon c'est vrai, insista-t-elle, il n'est pas très loquace mais…
-Écoute ! L'interrompit-il. J'en ai pas grand-chose à faire de ton Eric, alors si tu pouvais juste... me laisser tranquille, Dit-il sans avoir prit le temps de ne serait-ce que de lever la tête vers elle.
Il se montrait volontairement impoli. Cette inconnue semblait obstinée à lui parler alors qu'il ne souhaiter qu'une chose : qu'elle le laisse en paix.
-Pardon, mais vu comment tu le regardais je pensais qu'il t’intéressait.
-Qu'il me quoi ? Mais de quoi tu parles, toi ? S'étonna-t-il, indigné.
-Nan, pas comme ça. Je veux dire que tu as l'air… curieux.
-Je regarde tout le monde ici, ce n'est pas pour autant que j'ai besoin de leur CV…
-Ouh, très bien Monsieur Désagréable, Fit-elle en levant les mains comme signe de paix.
La jeune fille prit place sans un mot sur un siège à coté de lui. Choqué, Cédric fit les gros yeux dans l'incompréhension la plus totale. Elle resta là, sans rien dire, à fixer le jeune brun qui s'efforçait de regarder autour de lui. Il lui était difficile de l'ignorer. Après quelques minutes inconfortables et interminables, Cédric reprit la parole.
-Bon, tu veux quoi ? Dit-il la voix emplie d'impatience et d'agacement.
-Qu'est-ce qui te fait croire que je veuille quoi que ce soit ? Demanda-t-elle.
-Euh… ta présence ? Répondit-il avec un brin de sarcasme.
-Cette table n'est pas à toi que je sache. J'ai le droit de m'asseoir où je veux, non ?
-T'as pas totalement faux. Un point pour toi, ajouta-t-il automatiquement.
-Oh, tu comptes les points ? Dit-elle amusée par le concept de ce petit jeu.
Pour toute réponse, il se contenta de hausser les épaules. Il estimait lui avoir assez parlé.
-Moi c'est Cassy, dit la jeune fille ravie en lui tendant la main pour se présenter.
-Intéressant… rétorqua-t-il sans conviction, avant de prendre son plateau et de se lever.
-Tu vas où comme ça ? S'étonna-t-elle.
La main toujours tendue, le visage de la fille s'assombrit en le regardant quitter la table.
-Tu l'as dit toi même, « cette table n'est pas à moi », j'ai le droit d'aller m'asseoir où je veux, et c'est ce que je vais faire, lança-t-il avec condescendance, avant de se retourner à la recherche d'une nouvelle table.
« Et BIM, un point partout. » Se dit-il fièrement
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