3.

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Pardonne-moi, j’ai l’alcool lyrique, je m’emporte. Ça crève les yeux, néanmoins, cette soif d’ardeur, de communion. Tu es vivant jusqu’au fond des atomes, jusqu’au vide qui les entrelace. C’est rare, tu sais ; aujourd’hui les foules aiment bien se croire un peu mortes à l’intérieur, s’organisent de grands concours de misère, collectionnent les tares imaginaires. Tu as choisi l’inverse, tu te fous de ce qui est abîmé, tu rayonnes. C’est presque insoutenable cette intensité d’être, j’en ai mal à la poitrine. Ça me fait presque chialer de te voir ainsi dévorer l’instant, avec autant de force, autant d’âme. Pas d’inquiétude, dans deux verres ça ira mieux, c’est le choc des fréquences. Tes ondes me bousculent, j’ai pas l’habitude. C’est gris ici, tu comprends. On serait prêt à te bouffer pour obtenir un micron de ton éclat. Les succubes s’avancent déjà, mais tu t’en fiches, pas vrai ? Tu les cherches, tu es en quête, presque autant que moi. Tu es si plein de toi que tu as besoin des autres pour en épancher les débordements. Les organismes en chasse sont souvent laids, déformés par la faim, tordus par la concupiscence ; pas toi. Tu n’es pas le chasseur, tu es l’appât. Il n’y a aucun mensonge sur tes lèvres, il n’y a que ce corps dont chaque ébauche dévoile les intentions. Il est presque pur, cet absolutisme du plaisir, tu ne vends rien d’autre que ta chair ; cette chair éloquente si emplie de tes gestes. Je n’aime pas la convoitise que les autres affichent à ta vue, ils ne comprennent pas le contrat, ils attendent comme des vautours que tu baisses la garde pour nourrir leurs infirmités. L’élan vain de t’entourer de mes bras, en maigre rempart, me chatouille. Tu t’en es aperçu, je crois. Non, ne m’approche pas, tu n’as rien saisi. Toi et ta drôle de gueule ne soulignez que mes insuffisances, nous n’appartenons pas au même espace. Tu t’ébaudis dans le concret, te décharges dans la matière ; ma jouissance est ailleurs. Je suis mal foutu, tu vois, ma carcasse n’est que ça, un amas de viande trop lourd à porter, elle n’a rien à offrir. Elle n’a que son regard hypnotisé par tes angles ; ses envies sont désincarnées, n’existent que dans un ailleurs qui nous dépasse tous deux. Si ta peau me touche, elles s’enfuient. Ne reste alors que le dégoût, l’épuisement de la déception. Je peux te le dire, à toi, j’en meurs. L’esprit, vois-tu, s’arroge tout pouvoir là où seul le primate s’accomplit. J’ignore si je suis ton inverse ou ton reflet. Je cherche moi aussi, non le caprice mais la symbiose, la grande collusion des êtres et des carnations. J’en suis cependant incapable, esclave de mes propres atrophies. C’est ça le pire, tu sais, concevoir sans atteindre. Ta drôle de gueule est un supplice, une sublime torture. Ne m’approche pas. Je meurs de cette vitre qui me sépare du monde, de mes illusions éthérées à jamais inassouvies.

Je regrette le mot. Je l’ai jeté comme un vêtement, comme une figure de style alors que toi, tu meurs vraiment. Je ne l’ai pas deviné, personne ne le peut. Le mal est insidieux, un rampant silencieux. J’ai entendu son nom au détour d’une conversation qui ne m’était pas adressée. Quelques détails deviennent plus signifiants. Ton refus de boire, au risque d’abîmer plus encore ton foie endommagé ; la sueur jaunâtre qui couvre ton front lorsque tu t’épuises. Ces défroques avides qui s’écartent dès que l’étiquette est appliquée. Tu souris gentiment pendant que je crispe mes poings. Putain, que ta gueule est belle quand s’y imprime le dépit. Putain, que ta lumière resplendit alors que tes cellules s’entre-tuent. Quelle ironie. Je me plains des carcans qu’un esprit difforme impose à mon corps, gémis devant la cagoule de bourreau portée par nulle autre que ma propre tête. Les tares imaginaires, je t’avais prévenu. Pendant ce temps, tes fibres sont rongées par un monstre étranger, ton si volubile épiderme contraint alors que tes appétits se déploient. Ça ne t’empêche de pas grand-chose, tu as apprivoisé la bête. À défaut de pouvoir briser les barreaux de ta prison souffrante, tu les contournes. Tu n’es pas à l’agonie, un cocktail de pilules blanches te prête du temps à défaut d’une vie. Ou une vie à défaut de temps. Une vie que tu mords de toutes tes forces, l’iris brûlé par l’impatience, le sourire vorace. C’est ça le secret, un compte à rebours dissimulé sous la peau ? Non, bien sûr, je te connais maintenant, ne serait-ce qu’un peu. Le penser serait te diminuer. Ton secret t’appartient, tout flamboyant au fond de toi. Je ne désire pas le définir. Les mots sont parfois vulgaires et amoindrissent la mystique splendide qui anime les âmes. Tour à tour, tu fus à mes yeux temple, peinture, statue et reliquat du divin ; ta maladie rien.

Putain, que ta drôle de gueule me plaît. Nous n'avons pourtant pas échangé une parole, à peine un regard. Approche un peu, si tu veux, lentement. Je ne me dérobe plus. Lentement.

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