Les 6 Ecluses
J’ai posé les avirons au fond de l’embarcation et je me laisse aller à la plus apaisante des rêveries. Un peu comme le bon Jean-Jacques sur le lac de Bienne. L’existence coule avec facilité de la même façon que le font les filets d’eau qui cascadent des montagnes et rejoignent la nappe immobile du lac. Puis la barque se dirige, sans que j’aie fait quelque mouvement que ce soit, en direction du sud. De grands cygnes au plumage d’écume, deux à l’arrière de mon navire improvisé, deux sur les flancs, un en tête, escortent le convoi avec toute la grâce due à leur rang. Ils agitent doucement leurs palmes noires, inclinent leur bec orange vers l’eau, leur œil de jais aiguisé comme le canif. Ils semblent conscients d’accomplir un genre de rite conforme à leur essence. Accompagner un Inconnu vers l’indicible contrée des mirages et des hallucinations diverses. Si bien que je m’attends, à tout moment, à voir surgir sur la plaine d’eau, la couronne des palmiers qu’agite l’Harmattan, une oasis émeraude, des grappes de dattes brunes couvrant le sol de sable. Parfois ces nuages de plumes poussent mon embarcation avec plus de vivacité, parfois ils ralentissent le rythme, souhaitant sans doute, me laisser tout le loisir d’admirer ce paysage aussi romantique que sublime.
Et voici que des grèbes huppés se mêlent au convoi. Leur tête est vive et un brin espiègle, l’œil traversé d’une rapide flamme, des plumes orange qui flamboient, huppe de suie, ils sont un enchantement pour les yeux, des manières d’oiseaux oniriques, si irréels qu’on pourrait en traverser le massif de plumes sans même les toucher. Cette immense surface d’eau est le lieu de tels prodiges ! Puis les grands oiseaux s’écartent, les grèbes plongent pour ne ressortir que bien plus loin dans un arc-en-ciel de pluie. Le lac s’étrécit, semble parvenir à son terme. Un mince panneau de bois sur la rive droite porte l’inscription :
Les 6 Ecluses
Ici commence le merveilleux chemin
Des Métamorphoses
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