Chapitre 1 : L'appât (2217 mots)

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Eté 2012 - 26 ANS.

Des lieux mythiques LGBT dont j’ai pu faire la visite, que se soient des saunas, des bars, des cafés ou des cinémas porno, c’est la discothèque Le New Cancan (plus si new que ça) que je préférais.

Depuis mes seize ans, ces limbes se trouvant en dehors de la norme hétérosexuelle furent mon refuge, ma famille. D’ailleurs, lorsque j’ai loué mon premier appartement, le critère principal était sa proximité avec mon quartier général. C’est là que chaque weekend je m’autorisais à ne pas exister comme ce simulacre de moi-même que je m’évertuais à jouer au quotidien. Je pouvais danser au rythme des verres de vodka orange à en perdre la raison. Il est fort aisé de clamer ne se souvenir de rien le lendemain, car, de un, ça à tendance à dégrossir le dérapage ; de deux, cela permet d’éviter le sujet ; demeuré plus frais dans ta mémoire que tu ne le voudrais.

Puis, j’ai été diplômé. Inutile de te dire où j’ai fêté l’événement, Michel (le patron) tenait absolument à célébrer ma réussite en grande pompe, et nul besoin d’une liste d'invités, la clientèle d'habitués figurerait au rendez-vous. D’ailleurs, ce soir là, alors que j’embrassais goulument Damien, clichés du Body-builder bête comme un pied, je sentis une main hésitante me tapoter l’épaule. Rien de tel pour m’énerver. C’est au ralenti que je pivotais ma nuque pour plonger mon regard assassin dans le sien. Répondant à son instinct de survie sociale l’enquiquineur recula de trois pas.

Je ne sais comment l’expliquer, mais la détresse peinte sur son visage, amoché par le souci, me fit dessouler illico. Vu le prix de sa montre, il devint digne d’intérêt. Alors j’ordonnai à Mister fitness de ne pas bouger , puis j’invitai ce cher monsieur à me suivre. Nul besoin de se frayer un passage, la marée de créature nocturne, comme poussée par mon charisme, se scinda telle la mer rouge pour Moïse. Ce respect, cette terreur et ce désir que j’inspirais m’étaient encore incompréhensibles, mais j’adorais ce sentiment de puissance.

Le seul endroit suffisamment calme pour discuter se trouvait au sous-sol, juste à côté des toilettes. Du regard, je cherchais Pascal, l’intervenant de l'association AIDES, qui racolait des volontaires pour un dépistage HIV rapide. Après les politesses d’usage, j’empruntais les clefs du cafoutche mis à sa disposition. Enfin, ma curiosité allait être satisfaite. Cette promiscuité m’étouffait, mais bon… Déjà une minute que nous étions installés, le bonhomme ne pipait mots. Son intérêt pour ma personne me faisait perdre un temps précieux d’amusement. Las de poireauter, je pris les choses en main :

— Que puis-je pour toi ?

Après avoir respiré à plein poumon, le gars débita.

— Je suis employé d’un bordel clandestin et je n’ai pas reçu de salaire depuis maintenant trois mois.

En cet instant, comme n’importe qui l'aurait fait, j'observais son physique en me disant qu'il ne pouvait sans doute pas tarifer ses prestations à un montant très élevé. Mon interrogation du se peindre sur mon faciès puisqu’il ajouta :

— Je suis le bras droit du dirigeant.

— Qu’attends-tu de moi ? Je ne suis pas certain que les prud’hommes puissent te donner réparation.

— Le procureur m’a contacté afin de témoigner contre Monsieur X, en échange d’une peine minimale. Je voudrais en faire part au boss sans risquer ma vie.

— Je ne suis avocat que depuis trois heures, je n’ai même pas les accréditations nécessaires.

— Un ami dont je ne puis révéler le nom m’a assuré que vous seriez l’homme de la situation.

— Il faut comprendre que commencer ma carrière en m’associant au banditisme ne m’apportera que des inconvénients. Seuls de confortables honoraires pourraient solutionner cela.

— Quel est votre prix ?

Pragmatique de nature, je pris le temps de réfléchir, car, durant notre conversation j’avais longuement étudié le personnage : son inquiétude et son manque de confiance n’étaient que simulacre. Sous le pli de sa veste, une arme se dessinait avec trop de précision pour que ce ne soit pas volontaire. Avec l’espoir qu’il refuse de m’engager, j’annonçai un montant faramineux.

— Deux millions d’euros compenseront aisément les désagréments.

Moi qui pensais lui faire sortir les globules oculaires des orbites, je restai estomaqué par son sourire satisfait. Sans un mot, il dégaina son téléphone ; trois secondes plus tard, le mien vibrait : une notification de la Société Générale. Le gars venait de me faire un virement immédiat de la somme exigée. Sur le coup je n’ai pas tilté, abasourdi par la nouvelle. Maintenant que la transaction se trouvait opérée, le bougre me parut plus sûr de lui, voire carrément charmant. Il me tendit sa carte de visite.

— On s’appelle demain pour les détails.

Il franchit la porte sans me donner plus d'explication . Je remontai les escaliers inquiet de ce qui allait en découler, et déjà enchanté du futur appel matinal de mon banquier, qui me tannait pour mes retards dans les mensualités de mon prêt étudiant. Un pied sur un nuage et l’autre dans les flammes de l’enfer, j’en oubliais la fiesta.

“Comment à-t-il obtenu mon RIB ?” était l'unique question me trotant dans la tête.

Une fois hors du Cancan, je descendis la Cannebiere jusqu'au Vieux-Port. Le cul posé sur la pierre froide, les godasses flottant au-dessus de la vase méditerranéenne je me perdis dans le firmament à guetter le lever du soleil.

**

Arrivé à l’entrée de mon immeuble se trouvant sur le cours Belsunce, non loin du Vieux-Port, je réussis tant bien que mal à monter les quatre étages tournoyants. Essoufflé comme Ian Thorpe après le 100 mètres nage libre, je pénétrais la piaule promise.

Après avoir semé, au gré de mon avancée, les composantes de mon habit de lumière, je me jetais sur l’antique inconfortable matelas dont je n’étais pas le premier occupant. Trente minutes de simulacre de sommeil plus tard, je décidais de me lever. Un café, une clope suivit d’un petit tour sur Grindr. Il n’y a pas mieux que de vivre dans le centre-ville de Marseille en période estivale pour puiser de quoi assouvir ses envies de luxure.

Je consultais le profil d’un charmant Norvégien, au moment où l’appel de Monsieur Tapin, mon banquier, me gâcha la vue. Je décrochais et adoptai mon accent le plus snob :

— Maître Chems, que puis-je pour toi?

— Bonjour, Monsieur. Comment vous portez-vous ?

Son ton n’avait jamais été autant sirupeux. En général, il me prenait de haut et n’hésitait pas à m’envoyer chier.

— À merveille ! Au vu du solde de mon compte, je présume que toi aussi, mon cher Gérald.

— Je ne vous cache pas qu’après cette succession d’échéances impayées cela me soulage, Monsieur Chems. J’ai cru comprendre que vous avez été engagé par l’un de nos prestigieux clients. Je tenais à vous informer que la provenance des fonds ne mérite aucune légitimation.

— Parfait, Gérald ! Je n’envisage pas de faire de dépense dans l’immédiat, donc assure-toi de préserver cet argent ou cas ou je devrais le restituer.

— Le rendre ! Pourquoi le rendre ? Soyez sérieux.

PAF ! Je lui raccrochais au nez. Je ne réalisais pas encore la situation, sans oublier que je me sentais pris en otage avec une affaire dont je n’étais pas sûr de vouloir m’occuper.

Ce mal de tête coutumier des lendemains de soirée s’installa. Tel un zombie, je me rendis à la cuisine à la recherche d’un Doliprane. Avachit au plus profond du canapé avec une main dans le slip Calvin Klein rebelote : café, clope et Grindr. Une nouvelle fois, le téléphone sonna. Un numéro masqué.

— Ilan Chems, j’écoute.

— Bonjour Maître Chems. C’est Sandy Wagner de Jock / Strap & associés.

Inutile de le préciser. Tout homme de loi avec un tant soit peu d’ambition savait qui était Sandy Wagner. Sans son approbation, aucun avocat ne pouvait espérer y faire carrière. Tous ceux ayant travaillé pour eux sont soit des ténors du barreau, voire des magistrats ou des politiques de renommée internationale. Seuls trois diplômés à travers le monde recevaient chaque année l’insigne honneur d’être admis dans le sacro-saint des cabinets d’avocat.

— Bonjour !

Elle devait avoir l’habitude de provoquer cet effet d’hébétude, car elle enchaina aussi sec :

— Nous souhaitons vous avoir au sein de notre équipe.

— Vous êtes sûre ?

Contrairement à beaucoup de mes pairs, je n’avais jamais brigué ce cabinet, conscient que les chances demeuraient minimes.

— Vos résultats exceptionnellement élevés à votre examen ainsi que votre thèse nous laisse penser que vous êtes l’une des rares personnes en ce monde à comprendre véritablement le droit. Nous vous escomptons dans trois semaines dans nos locaux de Marseille.

— Je serais au rendez-vous.

— Parfait, je vous transmets les détails par courriel. Bienvenue parmis nous Maître Chems.

PAF ! Sans que je lui fournisse ladite adresse e-mail, elle me raccrocha au pif. Une notification G-mail, vraisemblablement elle la connaissait déjà.

Ma vie prenait un tournant assez inattendu. Flairant que l’heure de savoir ce qu’impliquait ma nouvelle fortune approchait, j’allais me faire une beauté. J’avais économisé pendant des années afin de m’offrir mon premier costume haute couture qui inaugurerait mon aventure professionnelle. Car bien que trompeuses, les apparences demeurent primordiales en notre époque.

À peine j’appliquais le dernier coup de peigne à ma chevelure châtain que ce maudit téléphone vibra pour indiquer un SMS, qui venait de mon premier client.

Rendez-vous vers 17 h à L’Endroit.

Cela me laissait à peine un quart d’heure. Heureusement que j’habitais à quelques mètres.

L’Endroit était l’un des bars les plus représentatifs de la communauté LGBT sur Marseille. Partout ailleurs, les Shakira, Beyoncé, Lady Gaga et Britney avaient été détrônés par de l’électro ou des mixages douteux. Rémy, l’éminent tenancier svelte, et barbu comme un hipster, m’ouvrit la porte. J’admirais ce type pour assumer ce look survêt basket, symbole des fétichistes des plans sneakers.

— Salut chouchou ! lâcha-t-il en me tendant la joue.

Malgré son armure de racaille, qui se voulait un camouflé de sa féminité, il suffisait d’un geste ou d’un mot pour révéler la supercherie. Stressé par ma rencontre approchante, je ne m’attardais pas en banalité. Viscéralement bon, il ne s’offusqua nullement de ma brusquerie, et, de l’index, m’indiqua le carré VIP aux vitres teintées de l’étage.

17 h 05… 17 h 10… 17 h 15… toujours dégun, en dehors de Rémy assis sur son comptoir les jambes croisées en totale immersion dans son smartphone. L’inconfortable canapé de cuir rouge me faisait transpirer du sphincter. Je vidais ma seconde coupe de champagne en guettant inlassablement à travers la vitre teintée l’entrée, lorsque, soulé de cette interminable attente, je décidais de me barrer.

Alors, comme fait exprès, de nulle part, surgit mon client flanqué de sa figure soucieuse et de deux travestis, que je devinais être ses gardes du corps. (description en jet 2)

— Maîtres Chems, c’est un plaisir de vous voir.

Pas d’humeur aux politesses, et désirant d’ores et déjà établir les bases de notre synergie, je l’informai d’un timbre cassant :

— Si tu me donnes rendez-vous à 17 h soit à l’heure. L’exactitude est la première condition à notre collaboration.

Ses iris brillèrent un instant de colère, mais il en prit son parti et se contenta de hocher la tête.

— Veuillez éteindre votre téléphone ; ces deux charmantes demoiselles vont nous escorter.

Amateur de série en tout genre, j’imaginais d’avance la fin du scénario : moi, à genoux avec un canon sur la tempe et bientôt une balle dans le crâne. Au terme de l’épisode, un plan sur un cimetière qui aurait pris des airs de GayPride, puis fatalement un zoom sur mon épitaphe : Ici gît une bête de sexe. De nature intrépide, j’obéis à son ordre prêt à traverser le bar pour aller à la rencontre de ma destinée… surtout, j’avais très envie de garder le pactole, l’une des dodues-garde m’indiqua les toilettes.

— Non merci, j’ai pris mes précautions chez moi !

— Mais non-chouchou, c’est par là qu’on va promener.

Okay, au point où j’en étais, je me voyais mettre les deux pieds dans la chiotte et tirer la chasse pour surgir au sein du Ministère de la Magie. Mais pas du tout, le cabinet en panne depuis toujours pivota sans que je ne sache comment, derrière, se découvrait un tunnel bardé de torches. Un passage clandestin qui l’eut crut.

— Maintenant que tu connais le plus précieux de nos secrets, mon cher ami, aucun retour en arrière ne t’est possible.

L’un des trav passa en tête de cortège ; mon client en second, suivit de ma personne, et en bout de queue leu-leu, la deuxième demoiselle, qui referma derrière elle.

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