Chapitre 4 : Tarte tatin
15 octobre 2019
- Allez ! On s'active ! Plus que dix assiettes à sortir et vous pourrez rentrer !
- Oui, chef !
Rosa aimait lorsque sa brigade répondait d'une seule voix. Elle était chef ce soir, bien qu'en réalité elle n'occupait que la place de sous-chef. Seulement, elle prenait la place du chef trois fois par semaine et elle adorait ça.
- Une sole meunière, un risotto, deux entrecôtes saignantes.
- Oui, chef.
Cela lui faisait à chaque fois des papillons dans le ventre, ce sentiment intense de satisfaction.
- Reprends cette assiette, le dressage n'est pas bon. On envoie la 8.
Finalement, la soirée se termina assez vite et sans anicroche. On l'appela en salle, pour la féliciter certainement, elle ôta son tablier et rejoignit les clients.
- Surprise !
Elle sursauta presque sous les éclats de voix de ses amis. Elle ne s'y attendait pas. Ses amis de la formation en restauration se tenaient tous là devant elle. Mathias avait un gâteau couvert de vingt-une bougies. Sans attendre elle les souffla et put embrasser chacun d'entre eux.
- Je suis trop contente de te voir ma bichette ! s'exclama Anna, joyeux anniversaire !
Elle la serrait fort contre elle et retint tant qu'elle put ses larmes. Les yeux brillants, elle leur souffla un "merci" et un "je vous aime". Julie lui tendit une enveloppe orné d'un ruban rouge. Elle savait ce que c'était. Elle attendait cette réponse depuis deux semaines. Cette enveloppe contenait son avenir. Allait-elle enfin réaliser son rêve ?
Tous les regards étaient accrochés à ce morceau de papier. Ses doigts si sûrs pour couper la viande ou les légumes tremblaient. Elle souffla un bon coup, défit le nœud et déchira l'enveloppe. Elle déplia le document et n'arriva pas à lire. Les gouttes d'eau au bord de ses cils l'empêchaient de voir correctement. Elle tendit la feuille à Julie qui lut à haute voix :
- Par la présente, moi, Marc Deschanel ai l'honneur de vous annoncer que vous avez été retenue pour le poste de second dans ma brigade. Je vous attends le 30 octobre pour une visite du restaurant et pour votre installation.
Rosa en eut le souffle coupé ! Enfin ! Elle venait d'atteindre un de ses premiers objectifs : travailler auprès de Marc Deschanel. Elle laissa libre court à ses larmes de bonheur qui dévalèrent ses joues. Les filles la prirent dans leurs bras et elles sautèrent sur place en criant et riant à la fois. Un bouchon sauta et on lui mit dans les main une coupe de champagne. Elle trinqua alors avec son patron, son mentor, celui qui lui avait tout appris. Il était devenu un membre de sa famille de cœur, celle qui comptait le plus à ses yeux.
Le reste de sa brigade les rejoignit et trinqua avec elle. Dans dix jours, elle aurait terminé son contrat et elle ne les verrait plus. Tanguy l'invita à danser. Le pâtissier était celui dont elle s'était le plus rapprochée. Ils n'étaient pas en couple, mais le jeune homme le lui avait proposé plusieurs fois, Rosa avait toujours refusé, elle n'était pas prête, pas libre d'aimer, de se donner à quelqu'un. Plus tard, quand elle aurait atteint ses objectifs lui avait-elle répondu.
- Alors ça y est tu nous quittes ? Tu me quittes ?
- Ne sois pas comme ça Tanguy. Je t'aime énormément, comme chaque membre de ce restaurant et mes amis ici présents, ...
- Mais, il y a un "mais". Laisse, ce soir je n'ai pas envie d'entendre ça. J'ai envie de profiter et de fêter ta réussite.
Il fit tourner la jeune femme sur elle-même et la rattrapa dans ses bras. Il profita du léger tournis de Rosa pour lui voler un baiser. Au lieu de se fâcher, elle le lui rendit. Mais ce baiser avec le goût de l'amitié et non pas de l'amour que le pâtissier ressentait pour elle.
- Tu ne m'oublies pas. Si tu as le moindre souci, si ce Marc te fait des misères, tu me le dis et je rapplique lui casser la gueule !
Elle éclata de rire, pas qu'elle ne l'en croit pas capable, Tanguy l'avait toujours protégée, mais il savait pertinemment qu'elle ne ferait jamais cela, ce serait comme montrer sa faiblesse au chef. La cuisine était un univers masculin sans pitié pour les femmes. Elle avait côtoyé des cuisiniers machistes qui lui avaient mené la vie dure. Jamais elle n'avait lâché, jamais elle n'avait baissé les bras. C'est pour cela et pour sa cuisine bien sûr qu'elle était montée si vite en grade. Elle avait acquis une solide expérience auprès du chef Yvon et du nouveau chef Johan. Ils l'avaient guidée sans la favoriser pour autant. Elle se sentait prête à relever de nouveaux défis. Elle avait décidé de renverser les valeurs de ce que la vie lui avait apportées. D'une vie pas très belle au début, elle avait renversé les choses pour atteindre son bonheur.
- Un discours ! un discours ! un discours ! scanda la foule de ses invités.
Elle refusa d'un signe de la tête au début, mais lorsque Mathias et Tanguy lui attrapèrent les bras et la portèrent sur une table, elle n'eut d'autre choix que de céder à la demande générale.
- Je veux tout d'abord lever mon verre à chacun d'entre vous. Vous m'avez aidé à grandir, à apprendre, bref à devenir celle que je suis. Cette place, fit-elle en montrant le papier qu'elle tenait encore à la main, c'est à vous tous que je la dois. Alors, je bois à votre santé !
Elle leva son verre en direction de ses amis et cria :
- A la vôtre !
Elle but alors une gorgée et éclata de rire. Le bonheur explosait en elle comme les fines bulles du délicieux champagne qu'on lui avait servi. Elle se rappela alors d'où tout était parti, cela faisait si longtemps et pas tant que ça finalement, cinq ans, ce n'est pas grand chose dans une vie. Quand elle retrouva le plancher des vaches, son patron en écho à ses souvenirs vient à sa rencontre. Elle se blottit d'abord dans ses bras, puis il lui souffla à l'oreille :
- Je suis très, très fier de toi ma petite Rosa.
Annotations