Chapitre 16 : Chocolat amer
- Ah voilà la plus belle ! s'exclama Jean lorsqu'elle franchit la porte du restaurant de son ancien patron.
Il la scruta avec attention et reprit :
- J'ai l'impression de revoir la Rosa du début. Terrifiée et blessée. Viens-là ma belle !
Il lui ouvrit les bras et sans attendre elle s'y jeta relâchant le sanglot qu'elle contenait.
- Tu veux en parler ?
Elle fit non de la tête et se pelotonna encore plus dans les bras de l'homme qui se rapprochait le plus d'un père pour elle. Quand sa crise fut passée, il l'invita à prendre un chocolat chaud au bar. Rien ne valait le chocolat et le sucre pour réconforter un cœur en peine. C'était la devise de Jean qui avait un faible pour la pâtisserie chocolatée. Jugeant que la jeune femme avait repris le contrôle de ses émotions, il lança la conversation :
- Alors c'est toi la patronne pour un mois si j'ai bien compris ?
- Oui le chef part aujourd'hui et le chef américain n'arrivera pas avant trois semaines. Je suis contente de pourvoir faire mes preuves. J'ai beaucoup appris ces dernières semaines.
Jean hocha la tête. Il en était heureux, de toute façon elle avait besoin de ça pour grandir et apprendre d'elle-même. Il se demandait cependant ce qui avait bien pu ébranler son assurance. Elle semblait si déboussolée et craintive lorsqu'elle avait passé le pas de la porte tout à l'heure. Heureusement, la conversation semblait éloigner les nuages obscurs qui l'entouraient et révélaient le soleil éblouissant qu'elle était lorsqu'elle parlait avec passion de son métier.
- Reviens me voir plus souvent, je ne veux plus que tu attendes d'être malheureuse pour venir te faire consoler dans mes bras.
Elle quitta Jean vers neuf heures et prit la direction du restaurant, elle devait préparer le service du midi. Quand elle alla dans le bureau pour se changer, tout lui revint en mémoire. Le désir et l'excitation qu'elle avait ressenti dans les bras de Marc. Elle posa ses doigts sur ses lèvres se remémorant leurs baisers. Elle soupira, secoua la tête et quitta bien vite la pièce pour donner les ordres à la brigade. Elle se mit en pilote automatique et tout se déroula comme prévu. La porte du frigo était enfin réparée, chacun à son poste les services se passèrent à merveille. Une semaine déjà et les clients ne se rendirent pas compte du changement de chef. Le restaurant fonctionnait toujours bien et le comptable observait même une hausse dans le chiffre d'affaires.
Alors que Rosa cherchait des idées de recettes pour les plats du chef de la semaine, elle reçut un appel vidéo de Marc. Elle fut sur le choc une petite seconde avant de se secouer et de décrocher. Il était toujours aussi beau. Sa peau semblait un peu plus halée, il avait certainement profiter du soleil de la cité des anges. Il sourit dès qu'il la vit à l'écran. Elle lui avait manqué, il ne s'en était pas encore rendu compte, pris dans le tourbillon du voyage et la découverte du restaurant où il allait travailler.
- Bonjour Rosa ! Comment vas-tu ? Comment cela se passe au restaurant ?
- Cela ne fait qu'une semaine que tu es parti Marc ! Tout va bien.
- Tu as une petite mine ça va ?
- Oui, oui. Ne t'inquiète pas. J'ai trouvé mon rythme maintenant.
Ce que Rosa ne lui disait pas c'était qu'elle avait de drôles d'impressions lorsqu'elle quittait le restaurant le soir, ou bien lorsqu'elle passait le seuil de son appartement. Elle essayait de ne pas trop y penser mais quelque chose la gênait, mais elle ne savait quoi. Elle reprit alors, pour changer la conversation :
- Et toi raconte ! Comment cela se passe ? Comment est le restaurant ? La brigade ?
- C'est super, j'ai hâte que tu rencontres le chef Sanders, tu vas voir, sa vision de la cuisine est à la fois proche et radicalement opposée à la nôtre.
Rosa était intriguée par cette désignation et le fit parler comme cela pendant une demi-heure. Juste avant de se quitter, Marc lui déclara :
- Tu me manques, travailler avec toi me manque. Je...
- Cela me manque aussi chef, mais je dois avouer que c'est aussi plaisant d'être la seule cheffe à bord !
Elle lui fit un clin d'œil pour alléger la solennité du moment. Il rit à sa blague et acquiesça :
- Ok, prends soin de toi ! On s'appelle dans une semaine. Bon courage ma belle.
- Merci bon courage aussi, à la semaine prochaine.
Après avoir raccroché, Rosa resta interdite. "Ma belle "? Elle était à la fois touchée de voir qu'il tenait à elle, pas uniquement professionnellement, mais aussi personnellement. Elle ne voulait pas se faire d'idées, ni de faux espoirs. Mais là, elle ne l'avait pas imaginé, non ? Une bonne partie de la soirée, la conversation lui resta en tête. Heureusement, le service fut court et il n'y eut pas d'incident. De toutes façons, elle ne s'en saurait sûrement pas rendue compte, perdue dans ses pensées. Comme elle ne se rendit pas compte de l'homme qui la suivait quand elle quitta le restaurant ce soir-là, ni que quelqu'un était entré chez elle. Le choc fut donc bien plus important quand elle trouva sur son oreiller un mot signé, lui annonçant qu'elle devait toujours une passe avec un client.
Quand elle comprit ce qu'il s'était passé, elle s'effondra. Aucun cri, aucun gémissement n'avait pu quitter sa gorge. L'angoisse et la panique revinrent aussi tranchantes et douloureuses qu'avant. Un goût amer alourdit sa langue. la bile voulait remonter son œsophage, et les larmes brouillaient sa vue. Elle resta ainsi au sol, elle ne sut combien de temps, avant de pouvoir amorcer un mouvement. Elle prit son portable et chercha dans le répertoire le nom de policier qu'il l'avait aidée. Il lui avait dit qu'elle pouvait appeler dès qu'elle se sentait en danger, peu importait l'horaire. L'agent décrocha au bout de quatre sonneries :
- Rosa ?
- Il...il est... revenu, réussit-elle à dire.
- Qui ça Rosa ?
- ... il est entré chez moi, je crois qu'il me surveille.
- Qui Rosa ?
- Luigi.
- Ne bouge pas, on arrive.
Annotations