Chapitre 34 : Soupe à la grimace
Déjà deux semaines que Rosa était auprès de Marc. Au grand dam de Julia, les deux Français vivaient une idylle sans nuage. Ils passaient la majeure partie de leur temps ensemble. Marc avait même réussi à l'intégrer à sa brigade, ainsi ils travaillaient et passaient leur temps libre ensemble. Rosa avait fait goûter ses scones à Marc et ils avaient inventer de nouveaux parfums qu'ils avaient proposé au restaurant. De ce côté-là de l'Atlantique ce fut également un succès. Ils reprirent l'habitude d'expérimenter des recettes ensemble entre les services et le chef put ainsi proposer une carte qui lui plaisait vraiment.
Marc avait parfois peur de la vitesse à laquelle la jeune femme était devenue essentielle à sa vie. Quand il se réveillait à ses côtés, il la regardait, si paisible. Elle lui faisait penser à une chanson de Cabrel, "Je l'aime à mourir". Il l'avait entendu par hasard sur une playlist et un long frisson l'avait parcouru à l'entente des paroles. C'était ça, exactement ça ce qu'il ressentait pour elle. Rosa était encore jeune et promise à un brillant avenir. Égoïstement, il aurait voulu l'attacher à lui. Mais il se le refusait. Elle avait encore tellement de choses à découvrir. Plus encore, alors qu'il pensait avoir atteint ses objectifs, plus il la côtoyait, plus ils échangeaient et créaient ensemble, plus il se rendait compte qu'il avait tort. Il rêvait à un projet qu'ils pourraient développer ensemble, peut-être voyager encore et découvrir de nouvelles saveurs, de nouveaux mélanges.
Il déposa de légers baisers sur le visage de Rosa. Il laissa ses mains redécouvrir les délicieuses courbes de la jeune cheffe. Celle-ci aimait particulièrement ces réveils sensuels. Depuis qu'elle avait découvert l'amour et ses plaisirs dans les bras de Marc, elle ne s'en lassait pas. Elle aimait qu'il la fasse sienne encore et encore. Elle se laissait porter sur ses émotions nouvelles. Elle n'avait jamais connu cela et bien que la force de ses sentiments lui fasse peur, elle acceptait la situation comme elle était, vivant le présent comme une éternité. Elle rendit les caresses que lui prodiguait son amant. Ils aimaient se mélanger l'un l'autre comme deux ingrédients qui s'associent pour créer une nouvelle saveur délicieuse. Ils poursuivirent leurs câlins sous la douche, faisant durer l'union de leur chair.
Lorsqu'elle ralluma son téléphone, elle vit qu'elle avait reçu un message d'un numéro inconnu. Elle écouta le message une fois et dû s'asseoir, lorsqu'elle le réécouta une seconde fois.
Marc s'inquiéta lorsqu'il vit la pâleur de la jeune femme.
- Rosa, qu'y a-t-il ?
- Je viens d'écouter un message du médecin de ma mère.
- Ta mère est à l'hôpital ?
- Il faut croire, je ne le savais pas moi-même, je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis ma majorité. Il me dit qu'elle est sur le point de mourir et que je suis la seule apte à gérer ses affaires.
- Comment a-t-il fait pour te retrouver ?
- L'article. L'article dans le magazine de cuisine.
- Bon sang ! Que veux-tu faire ?
- Je n'en sais rien. Je n'avais pas vraiment envie de la revoir, mais il semblerait qu'elle ait besoin de moi. C'est ironique quand on pense qu'elle n'a jamais été présente quand j'ai eu besoin d'elle...
Marc ne savait quoi penser. Il soutiendrait Rosa quelle que soit sa décision. Bien sûr, il serait déçu si Rosa venait à repartir plus tôt pour la France, mais il comprenait.
- Attends que le jour se lève à Paris et rappelle le médecin. Tu aviseras ensuite. Qu'en dis-tu ?
- C'est le mieux, tu as raison.
Le reste de la matinée et le midi se déroulèrent comme dans un brouillard, Rosa travailla machinalement, ses pensées dirigées vers cette mère qui avait été davantage un fardeau qu'un soutien dans sa vie. Elle se demandait si un jour son passé arrêterait de venir gâcher son présent. Mais peut-être devait-elle l'affronter, en finir une bonne fois pour toute, afin de se projeter sereinement dans l'avenir. Alors qu'elle repassait pour la dixième fois le torchon sur son plan de travail, Marc la serra dans ses bras, le dos de la jeune femme appuyé sur son torse.
- C'est bon, il brille. Tu peux arrêter. Allons dans mon bureau, tu pourras passer ton coup de fil et en savoir davantage.
Elle ne répondit pas, elle posa simplement sa tête contre l'épaule de Marc et soupira.
- Tu crois qu'un jour j'en aurais enfin terminé avec ça ?
- Je ne suis pas devin, je ne peux pas te dire. Cependant, je suis convaincu que rien n'arrive vraiment par hasard.
Elle soupira de nouveau et se retourna pour lui faire face.
- Bien allons-y. Passons ce coup de fil, on sera alors fixé.
Dans le bureau, il la fit asseoir et lui demanda le numéro qu'il composa sur le téléphone. Il lui tendit ensuite le combiné. Il lui demanda cependant si elle voulait qu'il sorte.
- Non, reste s'il te plait.
Il voyait bien qu'à sa mine, elle était inquiète presque apeurée de devoir reprendre contact avec sa mère. La voix du médecin la sortit de sa torpeur.
- Bonjour mademoiselle, merci de m'avoir rappelé. Donc comme je vous le disais dans le message, votre mère vit ses derniers jours, elle peut mourir à tout moment. Les substances qu'elle a consommé achèvent leur travail de destruction. Elle n'a cependant pas pris de mesure pour sa fin de vie. Je... Il serait bien que vous veniez au plus vite pour régler la question et faire vos adieux à votre mère.
Rosa était sous le choc, elle ne comprenait pas vraiment cet appel. Elle n'arrivait pas à parler. Marc la voyant perdue lui proposa de répondre. Rosa lui tendit le combiné, soulagée qu'il s'en charge.
- Bonjour docteur, je suis Marc Deschanel le compagnon de Rosa. Je ne comprends pas, quel est le problème ? Cela fait des années qu'elle n'a pas vu sa mère, cette dernière ne s'est jamais inquiétée d'elle.
- Bonjour monsieur, je comprends votre surprise. Mais c'est la dernière chance pour votre compagne de dire adieu à sa mère.
- Combien de jours pensez-vous qu'il lui reste ?
- Je dirais une semaine à peu près.
- Bien nous allons voir ce que l'on peut faire. Nous vous tiendrons au courant de notre décision.
Marc raccrocha et attira Rosa dans ses bras. La jeune femme semblait perdue.
- Je... je ne sais pas quoi faire.
- Prends le temps d'y réfléchir chérie. Viens allons prendre l'air.
Ils sortirent et prirent la direction de la plage. Ils ne parlèrent pas, se contentant d'être simplement là, ensemble. Rosa repensait à la conversation téléphonique avec le médecin, elle se souvint aussi des dernières semaines, de son passé qui semblait vouloir régler ses comptes. Comme elle se l'était promis, elle ne fuirait pas. Si elle pouvait enfin se débarrasser de ses ombres qui avaient sali son enfance, elle se devait de faire face. Elle regarda Marc à la dérobée et vit en lui l'avenir. Après un moment, alors qu'ils profitaient du sable sous leurs pieds, Rosa se mit à parler, rompant le silence.
- Je vais y aller. Je n'ai jamais pu vider mon sac, il est peut-être temps.
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