1 - Bruno - Mardi AM

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— Antonio. Hay un gringo para ti en el Hotel Continental. (Antonio. Il y a un gringo pour toi à l’hôtel Continental)

La radio de mon taxi vient de crépiter violemment, me tirant de ma torpeur. Il fait si étouffant dans ce véhicule que j’en suis complètement abruti.

Je sens le regard du chauffeur se porter sur moi. Mais je ne bouge pas, verrouillé derrière mes lunettes de soleil. Je laisse l’autochtone se demander si je comprends l’espagnol.

— Termino este americano y voy a seguir. (Je termine celui-ci et j’irai ensuite) répond mon chauffeur.

Voilà bien qui confirme le ressenti que j’avais. Il suffit d’avoir un look de touriste pour être assimilé à un « americano ». Avec tout le côté péjoratif que cela sous-entend…

Eh bien non, je ne suis ni touriste, ni américain. Je suis un Pictavien. D’aucuns préfèrent l’appellation Poitevin ; mais je trouve cette dernière moins énigmatique. J’aime le discret.

Je viens de terminer mon contrat dans ce pays d’Amérique Centrale. Après six mois de travail, à essayer de donner le goût de l’effort sous ce soleil, je retourne chez moi. Il y fait certes moins chaud, mais j’aspire à plus de quiétude.

Enfin presque le retour, car tout d’abord, j’ai un petit travail à réaliser. Selon Pietro, mon boss, ce serait pour une mission simple. Histoire de se remettre le pied à l’étrier après quelques tâches administratives…

Cela m’inquiète un peu car, lui et moi, nous n’avons pas les mêmes notions d'idées pour « remise en forme » et « tâches administratives »…

La garantie de mes congés, assurée d’une belle prime, a vaincu toutes mes réticences à réaliser ce dernier contrat. Je reconnais être faible devant certains argumentaires.

La violence, faite à moi-même, ne fut pas dure. Je n’ai pas beaucoup de motivations pour les vacances. En fait, je ne les recherche plus trop… Car c’est trop justement… Trop de temps pour penser…

Mais, nous voilà arrivés !

Le taxi vient de me déposer devant l’aéroport. Enfin devant, c’est beaucoup dire… J’ai encore plus de cinquante mètres à devoir traîner cette lourde valise derrière moi.

Et puis, de quoi je me plains ? Je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même au sujet de la longueur de cette distance… Car c’est bien moi qui ai aidé à fixer le nombre minimum de mètres devant séparer l’entrée du hall de l’aérogare et le quai des voitures…

Je pourrais presque, de tête, réciter la formule du calcul de la distance d’un effet de blast (souffle)

Je me rends compte que je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Bruno Tournay et suis consultant en sécurité. Employé d’une société américaine et envoyé en mission dans cet aéroport centre-américain afin de procéder à sa mise aux normes. Celles imposées par l’IATA, agence internationale du transport aérien, qui normalise les règles de sécurité aéroportuaire.

C’est grâce à des subventions européennes, sous couvert de développement du tourisme, que les politiques locaux ont acheté à des firmes aux logos européens du matériel fabriqué en Chine et installé par des techniciens américains. On appelle cela la Mondialisation, version « Coopération au Développement »…

C’est pourquoi lorsque nous avons été prévenus de la visite de contrôle du conseiller économique de l’Union Européenne, celui qui était en charge de la répartition des Fonds Européens, j’ai été mis en avant pour toutes les présentations nécessaires. J’avais un nom bien de chez-lui et ma secrétaire…bien près de lui. La communication horizontale, il n’y a que ça de vrai pour certains…

Voilà donc les « tâches administratives » qui m’ont conduit dans ce pays.

Ce monde me fatigue…

Et ce soleil qui tape…

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Ils se ressemblent tous, ces halls des départs… Le cafard me gagne peu à peu. Je le sens grignoter ma patience sans relâche. Il me faut réfléchir à demain pour ne plus penser à maintenant.

Une nouvelle mission à exécuter ; juste une « remise en forme ». D’habitude, cela me booste ! Mais aujourd’hui, je traîne… Je me traîne…

Appuyé contre le mur du bâtiment, le stand d’embarquement en visuel, j’observe mes futurs voisins. Ceux qui vont me rejoindre dans ce grand oiseau de métal argenté que l’on peut apercevoir sur le tarmac. Celui qui va nous ramener au pays.

Soudain, une présence ? Je m’empêche de tressaillir.

Avant même qu’il n’ouvre la bouche, je la sens dans mon dos.

— Alors l’Artiste, tu te fais surprendre et tu ne viens même pas nous dire au revoir ?

— Salut Marco, c’était un test pour mesurer ta réactivité. Il n’y a pas à dire, ton instructeur était bon ! Il peut retourner au pays, dis-je en me tournant vers lui.

— Toujours aussi modeste, à ce que je vois. On m’a dit que tu quittais ton job d’instructeur ? Tu restes profiler ?

— Non, je descends sur le terrain. La Company paye mieux pour cela… Et puis, cela me permettra de bouger.

Un silence s'installe où des souvenirs nous remontent aux lèvres.

— C’était bien, nous, avant, commençe-t-il, mais je le coupe très vite.

— C’est toujours mieux avant, mais il ne faut pas penser. Il faut avancer.

— J’ai appris pour Kate et sa…

Tout en poussant un soupir, je reprends la parole.

— Ça ira, Marco. Ça ira, merci. Mais l’embarquement va bientôt commencer et tu vas avoir du boulot. Regarde devant toi à 13 hr : homme, caucasien, gabardine par 30 degrés à l’ombre.

— Relax Bruno, c’est un de mes gars. Mais c’est vrai qu’un petit débriefing va lui être nécessaire.

— OK. Il est là pour la fille ?

— Quoi la fille ? Quelle fille ?

— L’Indienne au sari avec le bébé.

Marco me quitte précipitamment pour se diriger vers l’homme au pardessus. L’embarquement commence.

Je me mets dans la queue formée, tout en observant que les deux hommes essayaient vainement d’obtenir des informations de cette originaire du sous-continent indien.

On dit que la Chine n’est pas loin de représenter un cinquième de la population mondiale. De même, le subcontinent indien est à lui seul habité par plus de vingt pour cent de la démographie humaine. Le poids que représentent tous ces gens dans cette partie du monde pourrait-il faire basculer le monde ? …

Je suis la file en pilotage automatique, perdu dans ces pensées mathématiques et sociétales.

Après le troisième comptage des passagers, je comprends que la jeune femme au bébé ne sera pas du voyage avec nous. Les portes, d’ailleurs, se ferment et l’avion s’ébranle bientôt sur le tarmac.

Une trentaine de minutes de vol plus tard, la Cheffe de Cabine vient vers moi.

— Monsieur Tournay ? Le Commandant vous souhaite bon vol et vous offre un verre de champagne ou toute autre boisson à votre meilleure convenance. De la part de la Compagnie.

— Champagne. Merci, lui ai-je répondu laconiquement tout en remerciant Marco en pensées.

Lorsqu’elle revient quelques minutes plus tard avec mon verre et d’autres petites choses à grignoter, mon voisin l’interpelle.

— Et pourquoi Monsieur a-t-il droit à ce traitement de faveur ?

— Parce que le Commandant couche avec ma femme, dis-je sèchement en me tournant vers lui.

Il se tient coi pour le restant du voyage. L’hôtesse repart avec le sourire aux lèvres…et à chacun de ses passages, il me semble lire sur son visage de plus en plus d'amusement...

J’ai horreur des gens qui se mêlent des affaires des autres…

C'est, lorsque je rallume mon mobile à l'arrivée, que je vois plusieurs messages en attente. Mon Boss s’inquiète de ma prochaine arrivée et de ma mise en place. Marco, lui, me précise simplement : « Rapt enfant ! Comment ? »

Je prend juste le temps de lui répondre par SMS : « Enfant, pas de bindi et sari brun ».

Le temps qu’il décode, je suis tranquille pour une bonne paire d’heures. Suffisant pour récupérer ma valise, les clés du studio et, peut-être même, prendre une douche revigorante…

À la sortie de la zone de débarquement, une jolie donzelle aux cheveux bruns coupés court agite une tablette où mon nom agrémenté d'un smiley rieur occupe tout l'espace de l'écran. Ce qui m’attire le plus, c’est qu’elle l’agite assez fortement. Elle provoque ainsi un mouvement de balancier qui n’est pas sans conséquence pour sa plastique, clairement libérée de toutes attaches.

Elle est libre cette fille au tee-shirt blanc avec une veste en jeans… Elle m’attire.

Je lui dis en m’approchant,

— Dois-je sourire de la même manière pour mériter votre attention ?

— Réfrène tes ardeurs Papy. Il te suffira de me prouver ton identité !

— À cette condition, que me proposes-tu ?

— Oh, le pervers… Tu me suis maintenant…

Il est vrai que je lui ai répondu sans la regarder dans les yeux. Mon regard était toujours fixé sur ses tétons, pointant sous le tissu d’un tee-shirt d’une taille visiblement trop petite.

Tout en traînant mon bagage, j’obtempère donc avec quelques difficultés, car la jeune fille ne me prête plus attention.

Elle me mène dans un coin du hall et, tournant le dos aux caméras, me remet une lourde enveloppe ainsi que les clés du studio qui allait m’abriter pour les prochaines semaines.

Comme elle ne fait pas mine de partir, je lui demande :

— Tu veux un câlin comme pourboire ?

— Ta paie mensuelle me suffira, me répond-elle, sans sourire.

J’éclate de rire en lui refilant une substantielle gratification pour le service et le spectacle fourni. Elle est si mignonne…

D’ailleurs mon regard reste accroché à son déhanché tout le temps que dure son départ. Tant qu’à se faire du bien, autant que cela dure…

Arrivé au studio loué par la Company, je prends une douche rapide, trop curieux de ce qui allait m’attendre.

Toujours sans nouvelle de Marco (aurait-il compris ?), je commence à découvrir la documentation reçue sur la mission à exécuter…

Dans l’enveloppe, je trouve un Glock 26 avec deux chargeurs ; pas de quoi tenir un siège, mais suffisant pour se sortir d’un nid de guêpe.

Une clé USB pour les données du problème, je suppose.

Une photo du target : jeune femme 30-35 ans, européenne plutôt celtique à la vue des taches de son qui parsemaient son visage et son nez mutin. Un vrai cliché publicitaire pour la Verte Erin avec ses cheveux roux et ses yeux verts inquisiteurs qui ont l’air de vouloir faire fondre l’objectif. Ses traits sont neutres hormis son regard…

Je branche mon PC portable et j'y insère la clé. Il ne me reste plus qu’à découvrir les autres données du problème posé : « qui », « quoi » et « où »…

Et surtout à moi de trouver le « comment faire »…

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