3 - Chloé - Mercredi AM
Je suis fatiguée… « So tired » comme dirait ma mère.
Mais elle dirait aussi : « As-tu le choix ? Non, n’est-ce pas ! Alors tu avances, car ce n’est pas moi qui le ferai à ta place. »
Rien que de penser à elle, je suis encore plus épuisée. Et pas question de pouvoir m’assoupir et me reposer avec ce balourd en surpoids qui me colle au flanc. Je maudis le crétin de bureaucrate qui a dessiné des sièges d’avion pour des passagers d'une taille 38 au maximun.
Je ferme les yeux et pense à ce qui m’attend à l’arrivée : des ennuis… J’en soupire d’un mauvais bien-être…
Tout d’abord, trouver ce notaire pour la succession de ma mère et signer les papiers nécessaires. Voilà plus de deux ans que je ne l’avais pas vue. Nous étions toujours à nous croiser. Elle était perpétuellement entre deux déménagements et moi entre deux vols pour les affaires ; surtout celles des autres. Quelle idée avait-elle de courir tout le temps pour finir ainsi sous les roues d’un taxi trop pressé ! Un autre soupir de dépit s'échappe de les lèvres…
Ensuite, il va me falloir trouver de l’énergie pour solutionner la quadrature du cercle. C’est le résumé que je me suis faite de la présentation de mon patron hier après-midi.
Je suis envoyée pour faire le ménage et trouver comment redynamiser la société Vancelor. D’après l’audit envoyé avant moi, le marché est réduit, les marges faibles et les coûts pharaoniques. À la lecture des conclusions du travail réalisé, les salaires affichent des plafonds hors normes. Ils comptent sur moi pour comprendre et sabrer où il le faudrait afin de trouver une voie d’issue – ou de survie – à cette entreprise.
Je sens que je vais me faire beaucoup d’ennemis et d’ennuis.
Je ne peux m’empêcher de soupirer à nouveau.
Je ne trouve une réelle motivation, à la sortie de cette affaire, qu'à mes trois semaines de vacances planifiées. C’était la partie la plus intéressante de l’exposé d’hier. La seule qui m’a fait rêver.
Mon patron a même parlé d’une prime particulière au prorata de mon rendement dans la gestion du dossier. Je ne suis pas parvenue à savoir s’il parlait d’un critère de célérité ou d’efficacité économique. Mais puisque le temps, c’est de l’argent : allons vite régler ce redressement !
Remise en forme par cette conclusion, énergique, je me tourne vers mon voisin et d’un regard précis et bien noir, je le fais se redresser et arrêter de me regarder en bavant.
J’ai horreur de ces mâles qui ne savent pas gérer leurs hormones !
L’arrivée est prévue dans moins d’une heure. Je devrais pouvoir résister avant de commencer un scandale et de le déchiqueter sur place. Bien qu’en pensant au nombre de quintaux à dépecer, je suis au bord de la nausée.
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J’ai la chance que ma valise soit une des dernières à sortir de la soute, et en conséquence parmi les premières à arriver dans le hall. Drôle de logique du verbe et de la logistique…
Re-chance, un chauffeur de taxi, maraudant dans le hall, m'arrache presque ma valise des mains. C'est de la réelle motivation à rechercher le client ou je ne m'y connais pas en marketing. Je suis donc rapidement à l’extérieur de l’aérogare.
Enfin, je vais pouvoir respirer…
Refusant de répondre aux questionnements du chauffeur et le fusillant du regard, j’obtiens vite le silence qui m’est nécessaire. C’est dans ce calme enfin retrouvé que l’on arrive chez ce notaire qui m’a convoquée. Je suis même en avance…
J’ai laissé ma valise dans le bureau de la secrétaire pendant que son patron me reçoit de manière obséquieuse et ronflante : il se présente comme officier ministériel en charge. Je n’y prête pas beaucoup d’attentions car répondre à ses salamalecs serait y donner crédit. Et je veux vite partir d’ici !
Une heure plus tard, complètement hébétée, je me retrouve dans un autre taxi. Je n’ai plus que le sursaut de murmurer l’adresse voulue avant de retomber en complète aphasie. Il m’a fallu tout le trajet en voiture pour m’extraire de cet état de catatonie. C’est en sortant du véhicule que je me rends compte que je ne l’ai pas appelé et qu’on s’est occupé de mes affaires. Le tabellion s’en doute… Brave homme. D’un autre côté, au prix qu’il m’a demandé comme honoraires…
Le trousseau de clés de ma mère me permet de franchir la lourde porte d’entrée. Je traîne ma valise et mes autres affaires dans le hall avant de refermer l’huis.
Voilà que je pense en vieux français maintenant. Il est vrai que pendant une heure, ce notaire m’a littéralement saoulée de vieux termes notariaux d’un autre âge comme s’il s’en gargarisait. C'étaient, peut-être, les termes utilisés à l'époque de ses études, mais il devrait sortir de temps en temps pour se mettre à jour…
Je n’ai même pas réagi lorsqu’il m’a remerciée pour les listes des biens que j’avais dressées et envoyées afin d’accélérer la procédure. Alors que je n’avais rien rédigé ou fait évaluer. Je n’étais même pas au courant de la mort de ma mère avant qu’il ne m’envoie cette convocation. Quel choc de recevoir ce courrier !
Il a continué sa litanie des recherches entreprises, des procédures engagées. Je ne l'écoutais plus vraiment, totalement abasourdie.
En point final, il m’a assené le coup de grâce. Ma mère était propriétaire d’un petit hôtel particulier et j’en suis la seule héritière.
Ma mère, propriétaire ? Elle qui n’arrêtait pas de déménager, ne se posant que le temps d’une respiration, avait donc fini par se choisir un nid ? Perdue dans mes pensées et souvenirs, je me suis retrouvée dehors de son bureau et dedans cette maison sans trop savoir comment j’y suis arrivée…
Je décide de visiter les lieux et de remettre à plus tard les questionnements supplémentaires.
Dans le prolongement du hall se trouve un escalier balancé en bois ouvragé. Il me mène à l’étage dans un vaste corridor. Il donne accès à une longue pièce vide à l’avant de la maison et à deux autres pièces en enfilade à l’arrière : une grande cuisine lumineuse et à ce qui semble être la salle à manger, à la vue de la vaisselle dressée sur une longue table en bois.
Au fond du hall, je découvre, derrière une porte, un ascenseur étroit. Je décide de l’emprunter et il me mène à l’étage. Ce dernier présente la même configuration qu’au premier. En façade avant, une chambre et un bureau séparés par un dressing. Cette chambre est tout bonnement incroyable avec son lit à baldaquin. Celui dont je rêvais tout enfant…
J’ouvre la commode et le parfum de ma mère embaume directement la pièce de sa présence. C’est troublant.
Par contre, les tiroirs du bureau sont vides de tout papier comme si personne n’avait jamais occupé les lieux. Perturbant, mais d’une manière désagréable…
Au-dessus de la cuisine, une vaste salle de bain et une chambre par après.
Je reconnais la touche de ma mère dans la pièce d'eau : une profusion de produits et autres sels parfumés courent tout le long de la baignoire et des meubles…
Une autre surprise m’attend dans la chambre attenante : une photo de moi posée bien en évidence sur une commode. Je ne connaissais pas ma mère sous ce jour, aussi attentionnée. À croire qu’elle avait changé et exécuté une volte-face complète. De plus, je ne me souviens pas lui avoir donné ce tirage de mes dernières vacances. Etrange.
Légèrement hébétée par toutes ces découvertes, je rejoins le hall et trouve encore un escalier menant aux combles. Deux belles petites chambres de bonnes et une mignonne pièce d’eau s’y logent.
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Je décide de me faire couler un bain pour me laver de tout cela et reprendre à zéro le cours de ma nouvelle vie et surtout de mes pensées.
Étudier les papiers du notaire et comprendre.
Tout en n’oubliant pas que demain, jeudi, avant-midi, j’ai rendez-vous chez mon employeur du moment.
Ce qui me fait penser à annuler l’hôtel réservé pour moi. Puisque j’avais trouvé un logement ! Pardon, puisque j’ai une maison !
Incroyable…
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