6 - Chloé - Mercredi Soir
Ma première soirée manque de virer à la catastrophe.
En attendant que mon bain soit préparé, je circule entre les pièces.
Je les découvre à nouveau. C’est vraiment troublant toutes ces atmosphères différentes.
Autant la chambre est comme en attente du retour de ma mère avec son lit soigneusement préparé et le moindre bibelot bien rangé, aligné comme pour une parade ; autant le bureau est vide de tout papier et accessoire et semble indiquer le départ définitif de son occupante.
En bas, la grande salle sans aucun meuble fait contraste avec la cuisine au frigo plein et la table de la salle à manger déjà dressée pour un seul convive. Perdue dans mes pensées et émotions, j’ai failli oublier mon bain et manqué me retrouver les pieds dans l’eau…
Ayant ajusté le niveau d’eau, je choisis des sels parfumés à la lavande. Je retourne dans ma chambre, celle qu'indique ma photo.
En regardant celle-ci, je me rappelle de l'endroit où elle a été prise. C’était il y a deux ans lors de mes dernières vacances. J’étais seule pourtant. Alors qui a pris cette photo et comment se retrouve-t-elle chez maman ? Cela me fait un peu flipper toutes ces questions qui resteront sans réponses.
Je n’ai jamais posé pour quiconque ; sauf pour Alex… À son évocation, un frisson me traverse. Ne pas penser à lui, jamais, plus jamais !
De rage et dans le but de m’approprier ce lieu, je me déshabille comme une sauvage jetant mes vêtements aux quatre coins de la pièce.
On verra plus tard.
D’abord se vider l’esprit.
Et commencer par un bain bien chaud et parfumé…
Vous dire le bien qu’il me fait, prendrait toute la soirée. Je me sens enfin détendue. Et si le film de tous ces évènements défile sous mes paupières fermées, c’est sans émotion que je le regarde.
Commençant à me refroidir, je sors de cette baignoire et me drape dans la sortie de bain pendue au mur. Toutes mes affaires sont encore dans ma valise. Qui elle, trône au milieu du hall d’entrée…
L’odeur dégagée par ce peignoir me fait monter les larmes aux yeux. Il est encore tout imprégné de son parfum et les souvenirs me viennent en pensées. Dans cette tenue, je pars chercher mes affaires. Je dois offrir un beau spectacle avec les cheveux mouillés et le visage ruisselant de larmes…
Heureusement qu’il y a un ascenseur tout mignon et bien décoré de ferronnerie torsadée pour remonter ; même si avec mes valises, je dois bien me serrer…
La répartition de mes bagages est vite réalisée : ma chambre et le bureau.
Mais la sortie de bain, pour moelleuse devient oppressante. Je dois prendre ma place. Pas me glisser dans celle de ma mère. Son odeur est partout; même sur moi. Lorsque mon regard accroche le lit de ma mère, je ne peux que m’en approcher, dans l’espoir d’y trouver un dérivatif à toutes ces émotions qui m’envahissent.
Je rentre dans la pièce et commence à ouvrir les penderies. Nous avions la même taille et bien souvent, lorsque je venais la voir, nous échangions nos vêtements. Plus correctement, c’est elle qui prenait mes robes parce que ses goûts n’étaient pas tout à fait au goût du jour.
Et là, j'ai un autre choc ! La quantité de robes de soirée et de déshabillés que je vois me surprend…
Je ne la connaissais pas si coquine. Je suis troublée de découvrir ainsi une face de ma mère qui m’était cachée jusqu’alors.
En attendant, je pioche dans ses affaires pour me débarrasser de cette sortie de bain trop odorante. Mon choix réalisé – et assorti – d’une nuisette avec son déshabillé qui m’arrive à peine aux genoux, je me décide à trier tous mes papiers. Il me faut avancer.
Je divise tout cela en deux tas. D’un côté – le professionnel – avec mon PC et l’audit de la société Vancelor où je me rends demain. La copie papier m’a été remise par la secrétaire avant mon départ. De l’autre côté, les papiers – dits personnels – fournis par le notaire : décompte des avoirs de ma mère et les papiers de la maison. Bien peu de choses pour une montagne de questions et d’ennuis qui, je me doute, vont arriver.
D’abord ma mère.
Les papiers sont peu nombreux. Quelques feuilles de décomptes où, très vite mon expérience aidant, je vois que ma mère n’avait que peu de liquidités devant elle.
Excepté qu’elle était propriétaire de cet immeuble !
De plus, en prenant les documents en mains, je remarque qu’ils sont d’un papier très légèrement beige et que l’en-tête de l’étude porte des armoiries en filigrane. Or, je suis certaine que le courrier m’annonçant la mort de ma mère ainsi que la convocation n’étaient particuliers en rien. Cela aurait trop attiré mon regard.
Je note rapidement sur une feuille les questions suivantes :
– Qui m’a envoyé le courrier ? (ce qui me fait penser à la question suivante)
– Qui a préparé les papiers pour le notaire ?
– Ni photos, ni papiers personnels trouvés !
– Propriétaire (ce qu’elle avait toujours refusé) et comment entretenait-elle la maison ? (revenus ?)
– Personnel d’entretien ? (elle n’était pas une femme d’intérieur !)
Pour l’instant, cela me semble suffisant. Je passe au tas suivant, le côté professionnel.
D’abord relire le rapport d’audit… Une phrase perdue dans toutes ces pages m’interpelle tellement que je ne peux m’empêcher de l’entourer. « J’ai fait l’objet de nombreuses pressions et menaces. »
Comment ai-je pu passer à côté de cela. Par acquit de conscience, j’allume mon PC et contrôle ma copie digitale.
Mais ma version électronique ne contient pas cette phrase…
Qui l’en a retirée ? Et pourquoi ? Même si cela me semble évident qu’on ne voulait pas me faire peur à ce moment-là. Maintenant, c’est fait !
— Les ennuis commencent ou plutôt continuent…
Cette phrase je la dis à voix haute comme pour mieux m’en imprégner.
Je prends une autre feuille et je note :
– Pressions et menaces !
– Qui ?
– Pourquoi ?
Je sens le mal de tête me gagner et décide d’arrêter ici mes questionnements. J’abandonne les deux tas ainsi formés avec leurs interrogations et je retourne dans la chambre de ma mère pour une inspection plus détaillée. Aussi pour y passer mes nerfs…
Ayant ouvert tous les tiroirs et portes possibles, j’ai vraiment une autre vision de ma mère. De celle que j’ai connue ces derniers temps. Il est vrai que l’on ne se voyait quasiment plus. C’était toujours dans un restaurant ou un après-midi shopping entre filles…
Des robes du soir, échancrées et fendues de tous côtés, des dessous très féminins, voire carrément sexy. Ma mère était une belle femme, mais je ne la connaissais pas si aguicheuse… Bizarre, pour ne pas dire étrange…
Une profusion de corsets et autres tenues très légères. Je n’aime pas trop ce à quoi cela me fait penser. Je n’aime plus du tout mes pensées !
Quasi pas de chemisiers et autres jupes. Mais où sont rangés ses tailleurs classiques et sans mode ? Où est donc passé tout ce que nous avions acheté ensemble ? Pas de bijoux, ni de bagues. Et pourtant, je me souviens de bracelets et d’une montre de grande valeur.
Et summum des interrogations : où sont les chaussures ? Elle ne se promenait quand même pas pieds nus ?
J’ai gagné la migraine !
Morphée, au secours !!
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Je me relève pour entrouvrir la fenêtre. J’ai l’impression d’étouffer…
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Je paresse au lit ce matin, car ma nuit fut quand même difficile… Trop de questions…
Le rendez-vous n’est qu’à onze heures, j’ai largement le temps de me préparer. Petit déjeuner léger. (merci à celui ou celle qui a rempli le frigo !) Ce qui me fait penser à mes listes de questions d’hier soir…
Je décide de prendre une « super douche » et de me cocooner avant ma première journée de travail. Autant montrer ce que l’on vaut de suite !
Sortant de ma douche, je sens un courant d’air froid. Je m’emmitoufle dans mon peignoir et, remarque que l’air vient de ma chambre. La fenêtre est grande ouverte. Un coup de vent, sans doute. Je la referme, mais j’entends un léger bruit derrière moi. Comme une porte que l’on fermerait en douceur. Je me précipite dans le hall. Personne. J’ai dû rêver.
Je jette un coup d’œil dans le bureau et me crispe soudain. Les papiers sont étalés sur le bureau.
Un autre bruit, plus sourd, se fait encore entendre. La porte d’entrée ??
Je n’ose plus bouger.
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