25. L'Aveu

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Armand avait péché par orgueil. Certes, il connaissait toutes les bottes de Wilhem et comment les parer, mais il avait clairement omis la puissance de son opposant. Malgré le combat qui s’étalait en longueur, le chasseur ne faiblissait pas. Contrairement à l’albinos qui s’inquiétait régulièrement de l’état de son compagnon toujours immobile au sol, l’ancien mentor enchainait les coups mortels sans exprimer la moindre fatigue, entièrement focalisé sur le duel qui faisait rage. Armand peinait à tenir la cadence. Ses parades et ses esquives devenaient de moins en moins précises, de plus en plus tardives. L’épuisement le saisit et le soleil qui grignotait doucement les ténèbres de la ruelle ajoutait une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. S’il atteignait Orion, tout serait terminé en une fraction de seconde. Cette angoisse était amplifiée par les badauds et la milice qui observaient religieusement le duel ; ils ne le laisseraient clairement pas s’en tirer sain et sauf lorsqu’il gagnerait le combat… s’il parvenait à vaincre Wilhem.

Trop obnubilé par ce qui l’entourait, Armand eut un instant d’inattention qui aurait pu lui être fatal s’il n’avait pas esquivé à la dernière seconde. L’épée de son mentor lui fit quand même une longue estafilade au milieu du torse. Cette attaque changea surtout la position des deux combattants. À présent, Wilhem était bien plus proche d’Orion que l’albinos. Il se fendit d’un sourire malveillant. Le combat semblait lui avoir rafraichi la mémoire, car il déclara :

  • J’ai bien fait de te renier, Gamin. Mettre ta vie en péril pour protéger un monstre. Tu aurais fait un piètre chasseur.

Il sortit des replis de son long manteau une petite fiole qu’il exhiba fièrement. Armand blêmit. De l’eau bénite. Il s’apprêtait à la lancer nonchalamment sur le corps inerte lorsque la raison de l’albinos vola en éclats. Comme un barrage qui cède, il laissa toute la colère et la haine pour ce type se déverser dans ses veines. Son épée tomba dans un horrible son métallique et hurlant sa hargne, il se rua littéralement sur son adversaire. Wilhem fut surpris par cette attaque peu usuelle et son opposant le télescopa littéralement, l’envoyant violemment au sol.

La suite fut si inhumaine et bestiale que même la milice n’osa intervenir. Armand poignarda son ancien mentor des dizaines de fois, s’acharnant sur son cadavre jusqu’à le transformer en un amas informe de chairs sanguinolentes. Rien ne semblait pouvoir calmer sa rage. Lorsqu’il se redressa, haletant et couvert de sang, il ressemblait plus à un animal… à un déviant.

Une odeur putride de peau calcinée le ramena à la réalité : Orion. Il tourna machinalement son regard vers son ami pour constater avec horreur que le soleil faisait déjà son œuvre. D’un geste désespéré, il enveloppa le vampire de son manteau et l’emporta loin de cette ville comme un horrible oiseau de proie.

***

Armand se laissa tomber avec son précieux fardeau à l’orée d’une caverne. Il avait fui Perlé comme un vulgaire voleur. Il se sentait, à présent, exténué, comme vidé de son essence. Un flot de peine, d’inquiétude et de honte formait un tourbillon émotionnel dans son âme. Il tenta de calmer ce maelström en faisant le point sur sa situation. Orion était en vie, il se serait éparpillé en un million de cendres dans le cas contraire. Cette simple pensée lui fit monter les larmes aux yeux et dans un sanglot implora :

  • Je t’en prie, Orion. Ne m’abandonne pas comme tous les autres l’ont fait.

Il examina les blessures de son ami, elles étaient profondes. Il n’était pas passé loin du trépas et il n’était pas encore tiré d’affaire. Il pansa les plaies avec un soin tout particulier, tout en lui murmurant de douces paroles. Des mots qui n’avaient, jusqu’alors, jamais osé franchir des lèvres. Le vampire était plongé dans une profonde transe réparatrice, un coma duquel il ne semblait pas vouloir sortir. Armand, faisant fi de sa propre santé, le veilla des heures durant, des jours sans doute.

***

La lune éclairait chichement les alentours de ses rayons fantomatiques lorsqu’Orion reprit conscience. Armand s’enquit immédiatement de son état. Le vampire y répondit par un trait d’humour, mais le silence qui s’installa ensuite entre les deux hommes eut quelque chose de gêné.

  • J’ai entendu des mots dans mon sommeil que je crains ne pas les avoir compris.

Armand se décomposa littéralement. Son cœur se mit à battre frénétiquement et l’air vint à lui manquer. Les yeux d’Orion, brillant d’interrogations, semblaient deux poignards lui tranchant les veines.

Armand se leva brusquement et quitta la caverne où ils s’étaient réfugiés. Il était un monstre, un déviant suintant d’immoralité. Il venait d’être mis face à son anormalité, il ne voulait plus affronter ce regard. Fuir était la seule solution. Pourquoi avait-il ouvert son cœur et dévoilé ses sentiments ? Il laissa librement couler ses larmes tandis qu’il s’éloignait du refuge. Partir, allonger au maximum la distance qui le séparait de cet homme qu’il ne pourrait jamais voir comme un simple ami. Il avait, comme à son habitude, tout gâché. Il se trouvait à nouveau seul dans un monde où il n’avait visiblement pas sa place.

Son cœur se liquéfia dans sa poitrine lorsque deux bras l’enlacèrent. Orion l’avait rattrapé. Armand ferma les yeux comme pour faire fusionner ses paupières et implora :

  • Je t’en conjure. Saigne-moi. Vide-moi de mon sang. Je ne mérite pas de vivre.

Mais au lieu d’être chargé de reproches, les paroles d’Orion furent une douce musique à ses oreilles :

  • Pardonne-moi. Je m’étais juré de ne jamais jouer avec les sentiments de quelqu’un comme on l’a fait avec les miens. J’ai été aveugle à tous les signaux que tes yeux m’envoyaient. J’ai été sourd à tous les demi-mots qui emplissaient nos discussions. Je m’en excuse profondément.

Armand se tendit lorsqu’il sentit qu’Orion le forçait à se retourner, à lui faire face. Il garda cependant les yeux irrémédiablement clos, n’osant pas affronter le regard du vampire. Il tressaillit tandis que le souffle glacial d’Orion s’approchait inéluctablement de son visage.

  • Je ne peux pas te promettre quelque chose de passionnel, de fusionnel ou de fidèle, mais j’aimerai bien continuer à faire un peu de route avec toi.

Ses lèvres se posèrent délicatement sur les siennes. Armand y répondit avec ferveur. Seule la lune fut témoin de l’échange de vœux qui eut lieu dans cette forêt. Ils reprirent alors leur chemin ensemble non plus comme deux compagnons partant à l’aventure, mais comme deux amants prêts à tous les sacrifices pour son partenaire.

Angelina

04/03/2015 - 06/09/2020

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