38. Le message sur FB
8 ans plus tard
"Bonjour,
Vous ne me connaissez pas mais je me permets de vous contacter, je suis infirmière au CHU. J’ai eu votre nom par Christophe. C’est important, voici mon numéro perso, je vous expliquerai de vive voix..06……..."
Quoi ?
Mais c’est quoi ce délire ?
Une infirmière qui me contacte sur ma page facebook pour me parler de Christophe, je vous avoue, je crains le pire… ce n’est pas peu dire.
J’ai beau tourner et retourner les hypothèses dans ma tête, il n’y a qu’une solution pour savoir… l’appeler.
J’ai, bien sûr, fini par décrocher mon téléphone et composer son numéro.
C’est une douce voix que j’entends mais qui, à l’oreille, semble triste. Par moment, je la trouve même comme gênée. Elle m’explique : elle s’appelle Corinne, et travaille dans le service où est hospitalisé Christophe. Il est atteint d’une leucémie aiguë, mal diagnostiquée, cela fait plusieurs semaines qu’il lutte avec, bien-sûr, des hauts et des bas. La maladie est en train de gagner. Elle pleure. Elle s’est beaucoup occupée de lui depuis qu’il est au service.
Je n’ai pas tout compris, à l’annonce de tout cela, c’est comme si tout était plongé dans un brouillard soudain, la tête me tourne, je ne trouve plus mes mots, je ne comprends même plus ce qu’elle me dit.
Je me retrouve assise par terre dans mon couloir.
Flash back.
Je l’insulte au téléphone. Je n’ai plus de nouvelles. Du moins plus directement. Mais je sais, qu’il a rencontré quelqu’un, et qu’il s’est installé avec elle quelques mois après ce Noël pourri. Il avait l’air d’être heureux, il a changé de travail et fait maintenant beaucoup de déplacements.
Ensuite, j’ai entendu parler d’un déménagement, eu vent de sa séparation, mais c’est tout.
De mon côté, j’ai mis du temps à me remettre, à de nouveau accepter de continuer ma vie sans qu’elle ne soit monastique… J’ai fini moi aussi par rencontrer quelqu’un avec qui je suis bien, posée. Je vis ma vis simplement.
On peut dire qu’en « grandissant » je me suis assagie… rangée.
J’ai, moi aussi, changé de voie professionnelle, mais je reste fidèle à ma région Lyonnaise.
Je ne m’étendrais pas plus sur cette période de ma vie, car, peu d’intérêt d’abord, ensuite, le but originel de ces écrits n’était pas de parler de cet aspect là de ma vie.
Que faire ?
Des années se sont écoulées sans aucune nouvelle, je me suis apparemment totalement désintéressée de lui, et cela semblait complètement réciproque.
Me taper la route jusqu’à l’hosto comme ça, sur un coup de tête, que dire à mon copain ?
Par le passé, j’ai été une femme plus qu’adultère, tout le mal que j’ai fait à cet homme en train de mourir est là pour en témoigner. Je ne le ferai plus, je respecte mon homme... l'actuel.
Alors, que faire ?
Ce coup de téléphone qui vient tout bousculer, comme un tsunami qui vient du fond de sa propre mémoire, de son âme et qui vient tout faire chanceler en soi, toutes les évidences, tous les acquis, les certitudes et nouveaux idéaux…
Mais, il demande après moi….
Je suis seule dans mon appartement, mon mec n’est pas encore passé me voir, effectivement, je ne me suis toujours pas résolue à, de nouveau, partager mon quotidien et ma résidence avec un humain, et c’est comme ça.
J’ai la tête qui tourne…
La vague de souvenirs est là, tous mes bons moments avec lui défilent, notre rencontre, notre première nuit, nos premières vacances, notre vie commune.
Balayés tous les instants sombres de nos années... Mais son visage bel et bien présent, ce sourire et ce regard malicieux, comme sorti de nulle part.
Je me surprends à pleurer.
Qu'auriez vous fait à ma place ?
...
Elle m'attend dans le hall de l'hôpital, elle à l'air bien fatiguée, elle n'est pas en tenue, elle est en jean et pull, tout simlplement. A-t-elle fini son service ?
Elle s'approche vers moi l'air grave, elle me regarde froidement. Malgré sa fatigue apparente, ses traits tirés et ses cernes creusées, elle prend le temps de m'expliquer.
Expliquer est un bien grand mot, elle me livre, me jette à la figure les dernières nouvelles, comme ces agriculteurs ruinés et excédés qui deversent leur cargaison de fruits invendus devant les supermarchés, oui, elle me dit les choses comme on mettrait une gifle en plein visage...
- Il a été plongé dans le coma, c'est la fin. Il fallait venir dès que je vous ai prévenue. J'ai mis du temps à vous trouver, c'était à vous de ne plus en perdre.
Oui son regard est froid, plutôt rempli d'une espèce d'animosité froide. Elle respire la colère mais tente de le cacher.
J'ai tergiversé trop longtemps, j'aurais du accourir à son chevet mais je ne l'ai pas fait, je sais... une enième erreur.
Je suis abasourdie par ce qu'elle vient de m'annoncer, sonnée par le reproche et la culpabilité.
Je ne peux plus le voir, c'est trop tard, ce sont ses parents qui sont là haut en train de lui dire adieu.
Elle fouille dans sa besace, en retire une enveloppe assez épaisse, je reconnais tout de suite mon prénom mais surtout son écriture.
Elle est fuyante, mais je la retiens, en la suppliant presque... et après un ultime soupir, elle accepte de venir boire un café avec moi. Mais en dehors de l'hopital, elle a besoin de prendre l'air.
A peine sorties, elle m'entraine dans un petit troquet situé non loin de là.
On s'assoit l'une en face de l'autre à côté de la vitre.
Elle semble agitée, toujours fuyante du regard, mais, après un enième soupir, elle m'explique comment elle l'a vu arriver au service, tout perdu, un peu paniqué. De grosses fatigues, des saignements du nez intempestifs puis un rendez-vous chez le médecin, quelques analyses et clichés l'ont amené ici en urgence. Une pathologie très agressive qui allait nécessiter un traitement encore plus agressif.
Il lui a fallu tout planter, son boulot, le médecin lui a fait son arrêt en urgence et trouvé les mots à expliquer à son patron, ses amis, à qui il n'avait rien dit, ses parents encore moins.
Elle m'a raconté son train-train d'infirmière devant les soins, les effets secondaires du traitement, mais impressionnée par cet homme qui,une fois qu'il avait compris ce qui l'attendait si tout cela ne fonctionnait pas, avait rapidement pris le chemin de l'acceptation, tout en ayant la volonté de se battre pour vivre.
Quand elle parlait de lui, celui qui avait été mon homme, son regard s'illuminait, le feu brillait dans ses yeux, à tel point, que je ne le sentais plus tout à fait le mien, mais plutôt le sien.
Mais oui, c'est ça ! J'avais compris, elle était éprise de lui, et bien sûr tentait de le cacher, peut-être de peur dêtre jugée comme quelqu’un ayant un comportement dénué de professionnalisme. Non, pas du tout, je ne voyais là qu'une femme amoureuse qui était en train de perdre celui dont elle était tombée raide dingue quelques semaines auparavant.
Le courant est rapidement passé entre eux, d'abord des sourires, des rires, des conneries, et des pleurs aussi... il y a eu ensuite un peu plus de connivence, puis de l'amitié...certainement un peu plus que de l'amitié.
Sentant son heure arriver, il avait commencé à se confier sur lui, sa vie, et vous l'avez deviné, le sujet en est venu à parler de notre histoire. Et comme un besoin de refermer un livre avant de clôturer celui de sa vie, il a dû soulever la nécessité de tirer les choses au clair avec moi, finir ce deuil avant de nous imposer le sien. Elle lui a dit, comme à tous les autres patients au même stade, je pense de...d'écrire, téléphoner... enfin traiter les affaires brûlantes pour partir le coeur leger.. Il lui a donc demandé de me contacter pour me demander de venir... lui dire au-revoir.
Entre temps, ne me voyant pas venir, il m'a écrit une lettre.
Cette enveloppe remise tout à l'heure.
Cette discussion qui m’a parue bien trop brève s’est pourtant arrêtée une ou deux heures plus tard… Elle m’a, ainsi, laissée, en repartant vers l’hôpital pour remonter le voir…
Quant à moi, je restai là, devant ma tasse vide… l’enveloppe à la main.
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