Amour systématique

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 Mais qu'ont-ils tous, à n'être que des clones ? Ils sont tous là, à me répéter sans cesse « Salut princesse, t'es super belle, on va boire un verre ? » avec des tonnes de fautes d'orthographe, au moins autant que le nombre de mots dans leur phrase. Ne pourrais-je jamais rencontrer de personne sérieuse sur ce site de rencontres ? Suis-je réellement condamnée à errer sans fin entre des tonnes de mâles incapables d'avoir une quelconque emprise sur leurs hormones ? Je suis dégoûtée.

 Je me laisse tomber sur mon lit, les bras écartés comme une étoile de mer. Je ferme les yeux et réfléchis. N'y a-t-il pas d'alternative à ces sites ? Je suis trop timide pour sortir seule et draguer, je ne suis pas capable de parler à un inconnu sans paniquer et avoir le sang qui monte dans mes joues. Pourquoi suis-je si stupide, si désespérée ? Je n'ai jamais eu de petit-ami et j'approche les vingt ans. Je suis obligée de me cacher et me faire oublier dès que mes amies parlent de leurs trois cent expériences foireuses, de comment elles se sont (encore) fait tromper. À les écouter, je ne sais pas si elles sortent toujours avec le même genre de personne toxique ou si l'intégralité de la gent masculine est incapable de se contrôler.

 Pas le temps de rêvasser cinq minutes, encore un qui tente de me contacter. Qu'a-t-il trouvé à me dire, celui-ci ? Je m'efforce de conserver la surprise et visite d'abord son profil. Est-ce qu'il pourrait me plaire ? J'aime bien ses lunettes qui tombent un peu, il a un air mignon. De beaux cheveux noirs mal coiffés, les yeux couleur noisette et un regard perçant. Cet inconnu a vraiment pris une photo avec des livres dans ses bras ? Ce style « intello » est si craquant ! J'aimerais bien qu'il soit un peu différent des autres, pour une fois. Son physique me plaît, il semble mince, pas trop musclé, assez grand, tout ce que je recherche chez un homme. Il est temps de voir son message, n'est-ce pas ? Dites-moi qu'il est original, je vous en supplie.

Salut douce Julie ! J’espère vraiment ne pas te faire peur. En fait, je ne sais pas comment rédiger un premier message, ne m’en veux pas… Mais tu m’as l’air tout à fait sympathique et j’aimerais vraiment pouvoir échanger avec toi, faire connaissance et pourquoi pas se rencontrer en vrai si on accroche bien ?

 C’est si maladroit ! Mais j’aime bien ce côté timide de sa personnalité. Il n’a pas l’air plus à l’aise que moi pour discuter avec une personne du sexe opposé. Il me plaît bien, lui. Alors, où est le bouton pour répondre ? Je me rends compte que je n’ai jamais appuyé dessus pour un seul message sur ce site, tant les membres sont presque tous inintéressants.

– Salut doux Slimane ! Tu ne me fais pas peur, au contraire ! Par rapport à tes concurrents… Tu es le premier à qui je réponds…
– Oh, le premier ? Je suis touché.
– Haha, c’est mignon. Tu fais quoi, ici ?
– J’espère trouver quelqu’un qui me convienne, et toi ?
– Pareil. C’est quoi pour toi, la copine idéale ?
– Oh, tu vas vite en besogne, dis-donc !
– Désolée…
– Oh non, ne t’inquiète pas ! Laisse-moi réfléchir… j’ai le droit de dire « toi » ?
– C’est trop cliché comme réponse, alors non !
– Dommage, j’aurais essayé… Je dirais une damoiselle qui rigole à mes blagues les plus nulles, qui en fait autant que moi, avec qui on peut partager quelques passions. Et sincère, surtout. Ouverte à la discussion, aussi. C’est super important le dialogue, dans un couple. Et toi, le copain idéal ?
– J’ai le droit de répondre « toi » ?
– J’imagine que je vais te dire la même chose, c’est tout aussi cliché.
– Il fallait bien essayer ! Un homme gentil et doux avec moi, c’est le plus important. Qui sait rigoler à mes blagues les plus nulles, pour reprendre ton expression. Et tolérant, qui ne me force pas lorsque je ne veux pas. Je crois que c’est tout. Je corresponds plutôt bien à ta description, en tout cas !
– Je corresponds plutôt bien également ! Tu aimes faire quoi, dans la vie ?
– De la photographie. J’adore la photographie. Il faut être prêt à me suivre jusqu’en haut de la Bastille si tu veux entrer dans mon cœur. J’y monte souvent pour prendre des photos, beaucoup de photos. Je suis éprise de portrait !
– C’est génial ça ! J’adore être de l’autre côté de l’objectif.
– Tu pourras poser pour moi ?
– Avec plaisir !

 Pourquoi suis-je en train de sourire si niaisement ? J’ai hâte de le voir, mais il faut prendre son temps, n’est-ce pas ? Je vais aller me reposer pour ce soir… Je lui souhaite une bonne nuit et m’en vais pour la soirée.

–––––––– * * * * * ––––––––

 Sept heures du matin, je me réveille et attrape immédiatement mon téléphone. Que pense-t-il actuellement ? Est-il en train de dormir, de rêver de moi ? Ou s’est-il déjà réveillé ? M’a-t-il envoyé un message pour me faire sourire ? Rien. Pas une notification. Pas une notification ? D’habitude, Instakilo m’en envoie toujours quelques-unes dans la nuit. J’ouvre AdopteUnCouple immédiatement pour lui dire bonjour. Mais n’est-ce pas trop ? Ne suis-je pas trop collante, trop attachée en si peu de temps ?

Erreur. Impossible de se connecter au serveur. Veuillez réessayer.

 Comment ça, « impossible de se connecter au serveur » ? Tu m’as prise pour qui, au juste ? Tu crois vraiment que tu peux m’empêcher de lui envoyer un message comme ça ? Je redémarre mon téléphone et réessaie. Toujours le même problème. J’essaie sur les autres applications. Rien ne marche. Internet ne fonctionne plus, je ne peux plus contacter personne. Pourquoi maintenant ? Pourquoi mon téléphone agit comme ça ? Je me lève en vitesse et vais déjeuner, il faut que j’arrive à l’agence le plus tôt possible pour le changer, ce n’est pas possible de perdre tous mes contacts de cette manière. J’allume la télévision et me sers un bol de céréales avec du lait.

« Flash info ! Nous sommes désolés d’interrompre votre programme favori, mais nous sommes sur le point de vivre la plus grande révolution jamais connue. Internet a cessé de fonctionner cette nuit, entre quatre et cinq heures selon nos sources. Des millions d’internautes sont descendus dans la rue et protestent. La police est submergée par cette masse de manifestants qui refusent de se disperser et se voit rapidement incapable de faire un quelconque mouvement. Toutes ces personnes sont unies dans le même but : faire revenir Internet. Nous pouvons voir diverses banderoles, dont une indiquant “Rendez-nous Internet !”. Le monde serait-il en train de vivre le plus grand bug de toute l’histoire de l’humanité ? Restez connectés, nous reviendrons vers vous ! »

 Ce n’est purement pas possible ! Ils n’ont pas le droit de me faire ça, pas maintenant que j’ai trouvé quelqu’un qui puisse me convenir ! De toutes ces années, je n’ai eu que des personnes stupides qui essayaient tant bien que mal de coucher avec moi et, maintenant que je rencontre une personne que j’apprécie, vous me l’enlevez comme ça ? Je refuse, vous m’entendez ? Je refuse !

 Je me lève en furie, m’habille rapidement, ne prends ni le temps de me maquiller, ni de me coiffer et sors en courant dans la rue, téléphone à la main. Heureusement que j’ai conservé sa photo de profil, je pourrais peut-être le retrouver de cette manière. Direction le centre-ville. Dès que je croise une personne, je prends mon courage à deux mains et lui demande « Est-ce que vous connaissez ce garçon ? », mais je ne reçois que des réponses négatives. Est-ce une tentative désespérée, ou pourrais-je le retrouver ? Mon cœur se déchire à chaque nouvelle demande, se brusque dès que je suis trop proche d’un inconnu. Certains me dévisagent, d’autres rient, tous me jugent. Mais je ne les vois même plus, je n’ai qu’un but en tête : le revoir.

 Les heures passent et je me retrouve dans un quartier charmant de la ville. Les arbres sont en fleur, la verdure est présente de partout. Il n’y a que des rues piétonnes, aucune route, aucune voiture n’est autorisée à circuler. Les bicyclettes sont tolérées à vitesse réduite, l’ambiance est calme. Il n’y a pas les bruits de la grande ville, il n’y a pas d’immeubles, que de charmantes maisons colorées. J’ai l’impression de rêver. Les pétales des fleurs s’envolent sous la force du vent et se dirigent vers moi, me fouettant le visage. Ne serait-ce pas là un visage d’ange ? Une personne âgée, paisiblement assise sur un banc, le sourire aux lèvres ? Un cadre paradisiaque. Je me dirige lentement vers elle et m’assois à ses côtés.

« Bonjour, excusez-moi…
– Qu’y a-t-il, jolie demoiselle ? »
Sa voix est charmante, rassurante et douce. Je me sens détendue à côté d’elle, son aura est puissante.
« Est-ce que vous connaissez ce garçon ?
– Est-ce que je connais mon petit fils ? Bien entendu ! Il en a de la chance, le petit Slimane, de connaître une charmante jeune femme comme vous.
– M-merci ! Est-ce que vous sauriez par hasard… Où je pourrais le trouver ?
– Tu as un coup de cœur pour lui ? C’est un bon garçon, tu sais. Continue tout droit et regarde à ta gauche. Lorsque tu trouveras la boucherie, entre. Il sera là, de l’autre côté du comptoir, à aider son père. Il est brave, le petit, aider son père alors qu’il vient de perdre sa mère…
– Oh… Je ne voudrais pas le dér…
– Il sera ravi de te revoir, j’en suis certaine ! L’instinct de la grand-mère ne se trompe jamais. Au fait, je m’appelle Charlotte. Et toi ?
– Julie, je m’appelle Julie, madame. Ravie de vous rencontrer !
– Tu peux me tutoyer et m’appeler par mon prénom, tu sais ? Allez, file ! Il est presque midi, tu pourrais le manquer avant sa pause déjeuner…
– Oui, merci mad… Charlotte ! »

 Je me relève rapidement et manque de tomber, avant de partir en courant dans la direction que sa grand-mère m’a indiquée. Elle était si douce, si charmante, si rassurante. Je me sens forte, capable d’aller le voir, capable de lui dire que je veux le revoir. Après quelques minutes de course, me voici arrivée. Je pousse la porte, le tintement de la cloche se fait entendre. Devant moi se tient un homme grand, les cheveux noirs mal coiffés, qui se retourne. Mon cœur manque un battement. Il est vraiment là ! Je lâche mes affaires et, sans même le prévenir, me mets à courir dans sa direction, saute dans ses bras et l’embrasse pendant deux longues secondes.

 Je me ressaisis et effectue un brusque mouvement de recul, réalisant ce que je viens de faire. Je l’entends rire alors que je baisse le regard, sentant mes joues devenir brûlantes de honte.

« Je suis désolée… »

 Aucun autre son ne sort de ma bouche et je sens son corps se rapprocher du mien. Un doigt se pose sous mon menton et la force qu’il applique m’incite à relever la tête. Je plonge mon regard dans le sien alors que ses lèvres se rapprochent des miennes. Ne recule pas, Julie, ne recule pas ! Je le laisse faire, le laisse m’embrasser tout en fermant les yeux.

 Le tintement de la cloche se fait entendre à nouveau et la porte laisse place à une silhouette qui m’est familière. C’est Charlotte, le sourire aux lèvres.

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