Prask venait de finir une énième journée de travail. Une fois de plus la lune était le seul astre qu'il voyait en dehors de son bureau. Il retournait à ses quartiers, situés à quelques mètres de couloir de son lieu de travail, toujours dans le palais. Il pensait encore aux livres. Il avait vraiment l'impression que sa vie tournaient autour d'eux à présent. Enfin, c'était logique, à quoi s'attendait-il lorsqu'il avait accepté ce poste ?

Perdu dans ses pensés, il ne vit qu'un dernier moment le dé en os qui volait droit vers lui. Le projectile le heurta de plein fouet. Alors qu'il poussa un cri de surprise et de douleur, deux pensées traversèrent son esprit. La première fut "Qui a osé ?". La seconde fut la réponse. Bien évidemment, ça ne pouvais être qu'elle.

- Quand grandiras-tu enfin, Arnala ? lança Prask en se retournant, la main sur son visage meutri.

- Quand tu te seras décoincé, grand frère. Autant dire jamais.

Au milieu du couloir des hauts fonctionnaires se tenait la jeune démone, vêtue d'une simple, quoi qu'élégante, robe violette qui détonait avec les murs tapissés de rouge. Son masque était noir, comme celui de son frère, mais ne recouvrait pas sa bouche et laissait entrevoir son sourire moqueur et les traits fins de son visage.

Prask maugréa :

- Je suppose que ni toi ni moi ne changerons, alors cessons ces gamineries. Pourquoi es-tu là cette fois ?

- Ne pouvais-je pas simplement avoir envie de retrouver mon grand frère ? répliqua Arnala, malicieuse, tout en récupérant son dé.

Prask ne répondit pas et la toisa. C'était au mieux de la mauvaise foi, au pire de l'irrespect. Sa soeur et lui ne s'était jamais vraiment côtoyés et cela n'allait pas changer aujourd'hui. Arnala sembla s'en rendre compte et reprit :

- J'avoue, je viens me renseigner sur la Tilfrana. Je me disais qu'au vu de ton influence...

- Proposition rejetée.

- Je n'ai même pas fini !

- Je t'ai déjà dit que je n'userai pas de mon pouvoir pour te conférer des privilèges ou une meilleure place. Désolé, mais si c'est uniquement pour cela qui tu es venue, tu peux repartir.

Le ministre n'attendit pas la réponse et tourna la dos à sa sœur. Mais les pas de cette dernière le suivaient.

- Tu sais aussi bien que moi que la Tilfrana est la meilleure occasion pour se faire remarquer par le gouvernement. Et c'est la seule solution pour entrer à la cour ! Pourquoi devrais-tu être le seul à pouvoir y accéder ? Alors que tu t'en moques en plus ! Je ne te demande même pas de me recommander, juste de me donner une chance pour faire mes preuves !

Prask se tourna vers sa sœur. Le visage de la jeune démone n'arborait plus aucun sourire, aucune joie. Seulement de la colère. De toute évidence, elle ne comprenait pas que le monde qu'elle désirait tant n'était pas fait pour elle.

- Tu n'es pas prête.

- Pas prête ? À quoi, à danser aux bals ou à jouer aux échecs ? Et quand le serais-je, hein ? J'ai 19 ans, Prask ! Dans un an j'hériterai de mon surnom, je serais officiellement reconnue par l'Empire. Je ne suis plus une enfant, alors cesses de me traiter comme telle ! Moi aussi je veux être importante !

Être important. Voilà tout ce qui comptait ? Croyait-elle vraiment que lui-même l'était ? Il n'était qu'un pantin dans un jeu plus grand, un pantin parfaitement conscient de sa condition. S'il était important, ce n'était sûrement pas à la cour.

- Ma décision est irrévocable, Arnala. conclut Prask sèchement. À présent sors toi cette idée idiote du crâne et laisse-moi, je dois justement m'occuper de la communication de la Tilfrana.

Arnala étouffa un juron et s'en alla, furibonde, dans un froissement de tissus. Les tapis couleur sang ne parvinrent pas à étouffer le son de ses talons. Cette attitude ne fit que conforter le ministre dans sa décision. Elle était trop immature. Avec un tel comportement, elle ne pourrait pas survivre plus d'un mois au milieu de ce monde cruel qu'était celui des courtisans.

Prask se força à oublier cet incident. Il avait encore du travail. Comme sa sœur l'avait dit, la Tilfrana était une fête importante, que le Nouvel Empire Ancestral organisait chaque année depuis maintenant 5 ans. C'est-à-dire depuis sa fondation. Plus qu'une fête, c'était un hommage au Dieu Karalagam et surtout n umoyen pour l'Empire d'affirmer son pouvoir. Personne ne pouvait manquer cette fête. Encore moins, malheureusement, le ministre des informations. La propagande devait être parfaite. Et Prask excellait dans ce domaine.

Il poussa la porte de son domicile, très sobre. Une table, un lit, une armoire, un bureau surchargé de paperasse et un vase de fleurs fânées constituaient l'essentiel de son mobilier. Seuls les murs étaient élégants, mais cela n'avait rien d'étonnant : ils ne lui appartenaient pas, cette chambre n'était qu'un logement de fonction. Même si Prask se moquait de l'argent, il en avait beaucoup. Mais c'était ici que se trouvait sa place. Ici, au plus près du pouvoir, qu'il pouvait agir discrétement.

Il ouvrit l'armoire. À l'intérieur, des vêtements impeccables, pas très luxueux mais assez élégants pour sa fonction. Ce n'était cependant pas cela qui l'intéressait. Il appuya sur le fond. Ce dernier pivota et Prask entra dans l'armoire.

Derrière se trouvait une petite salle, pas plus grande qu'un placard. Les cabinets secrets n'étaient pas rares à la cour, mais l'usage que Prask faisait de celui-ci était assez inédit.

Sur le mur se trouvaient des étagères.

Sur les étagères se trouvaient des livres.

Des dizaines de livres. Un seul d'entre eux suffiraient à condamner leur propriétaire. Prask le savait mieux que personne. Mais au moins, là, devant ces ouvrages interdits, il se sentait utile. Il se sentait...

Important.