Chapitre 7

15 minutes de lecture

Assis dos à l’arbre, je regarde dormir le garçon que j’aime. Il a l’air complètement perdu… De temps à autre, ses sourcils se froncent, comme s’il faisait un cauchemar. Je pose alors ma main sur sa joue et la lui caresse : il se détend presque instantanément. Je peux profiter : je joue dans ses cheveux, frôle son oreille. Dommage que je sois dans cette position… J’aurai peut-être pu poser mes lèvres dans son cou…

  • Ah, vous êtes là ! s’exclame l’infirmière de tout à l’heure. Oups ! … Il a enfin fini par s’endormir ? … Il est tellement mignon… Complètement détendu. C’est agréable à voir.

Elle contourne l’arbre et les buissons qui nous cachaient du reste du monde et fait éclater la bulle de plénitude dans laquelle je me prélassais avec mon petit lion. Décidément, je n’apprécie pas cette femme. Pourtant, je ne la connais même pas. Elle s'assoit à côté de nous, sans y avoir été invitée.

  • Tu sais… C’est moi qui me suis occupée de lui depuis le début… Je lui ai même fait sa toilette… me dit-elle en rigolant. Je dois t’avouer que je suis restée près de lui plus longtemps que nécessaire… Mon mentor me disait toujours qu’il fallait parler aux personnes dans le coma. Ça leur permettait d’avoir toujours un lien avec le monde extérieur… Et comme Tristan était toujours seul…

Que la jalousie est un sentiment désagréable ! J’essaie de me contrôler, de ne pas insulter cette femme qui s’est occupé de mon petit lion… Pourtant… Ça me démange énormément.

  • C’est bien toi Rey ? me demande-t-elle, de but en blanc.

Étonné, je réponds par l’affirmative. Elle me raconte que tout le service avait appelé Tristan, Rey, à cause de son pendentif. D’ailleurs, la chaîne a été retrouvée dans le poing fermé de Tristan : il le serrait tellement fort qu’il a fallu que l’anesthésie agisse pour le lui enlever.

Elle le regarde dormir pendant que ma main continue à triturer une mèche de ses cheveux. Ses yeux sont remplis de tendresse. Ce qui ne fait qu’accentuer ma jalousie. Quel âge doit-elle avoir ? Vingt-deux ? Vingt-trois ans ? Pourquoi s’entiche-t-elle de mon petit lion ? Elle doit bien avoir d’autres patients non ?

  • Tu sais, Tristan me rappelle mon neveu. Ma sœur est allée vivre avec son mari à l’autre bout du pays et c’est incroyable ce qu’ils me manquent ! Je ne devrais pas mais… Je crois bien que je me suis prise d’affection pour lui. Il me paraît tellement jeune pour tout ce qu’il a vécu !

Je ne peux qu’être d’accord avec elle. Du haut de ses seize petites années, Tristan a frôlé la mort de nombreuses fois. Trop de fois. Je déglutis en pensant qu’il a même attenté à sa vie à cause de moi. Il a connu la peur, la douleur. Je resserre mon étreinte autour de ce corps frêle, complètement abandonné contre moi. Je ne sais pas comment elle perçoit mon geste mais elle me regarde et sourit.

En fait… Je m’en fous complètement de comment elle le perçoit. Si six mois auparavant, cela m’aurait… dérangé ?... agacé ? Qu’elle puisse penser que je sois trop proche de Tristan, que mon attitude paraisse équivoque, aujourd’hui ça n’a plus aucune importance. S’il faut hurler sur tous les toits que je l’aime, je le ferai.

  • Il compte énormément pour toi n’est-ce pas ? m'interroge-t-elle, tout bas.
  • Plus que vous ne le croyez.

Ma réponse ne peut pas être plus claire. Je crois bien qu’elle a compris. Elle ouvre la bouche pour me dire quelque chose puis se ravise. Elle regarde au loin, semblant réfléchir. Elle se lève puis fixe ses yeux verts dans ma dualité.

  • Dans ce cas, prends bien soin de lui. Il le mérite. Bon. Ne rentrez pas trop tard !

Je reste éberlué. Elle est repartie comme elle est apparue : en coup de vent. Je baisse les yeux sur le visage de Trist. C’est vrai qu’il a l’air extrêmement fatigué. Des cernes énormes lui mangent le visage. Je ne peux m’empêcher de passer mes doigts doucement sur sa peau. Il commence à s’agiter, comme s’il se réveillait.

Ses yeux s’ouvrent lentement. Il s’étire les bras et les jambes puis s’assoit : sa joue porte les marques de mon jean. Sa main frotte ses paupières pendant qu’il essaie d’étouffer un bâillement. Ce spectacle, pourtant si bénin, a un incroyable effet sur moi. Mon corps s’est recouvert de frissons… je ne pourrais pas me retenir cette fois… Mon envie de l’embrasser… De le toucher… est… trop forte.

Je me penche vers lui, lentement et…

DDDRRRRIIINNNNNGGGG !

Je sursaute. Mon téléphone. C’est Ma.

  • A… Allô ? Ma ?
  • Rey ? Tout va bien ? Ta voix est …
  • Non, Ma tout va bien ne t’inquiète pas !

Je fais comprendre à mon petit lion que c’est Ma au téléphone. Il penche alors la tête sur le côté, en formant un O avec sa bouche avant de me sourire. Il m'apparaît alors comme la personne la plus belle à mes yeux. Je ne peux m’empêcher de déglutir.

  • Rey ? Je comptais me joindre à vous pour le dîner ? Je peux ?
  • Attends, je pose ma main sur le combiné, regarde Trist et lui demande : Ma voudrait se joindre à nous pour dîner, ça te dérange ?
  • Pas du tout ! me répond-il, en souriant à demi.
  • Bien sûr que tu peux venir Ma ! Par contre, pitié achète-nous quelque chose ! Les repas ici sont infects !

Trist explose de rire. Je finis ma conversation et raccroche.

La soirée se déroule sans encombre. Cela me fait bizarre de voir mon petit lion discuter avec Ma aussi naturellement mais ça me fait du bien aussi. Il est plus détendu et semble moins fatigué, même si les ombres sous son regard sont toujours présentes.

Ma a discuté avec le médecin : si elle s’engage à surveiller de près la prise de poids de Tristan, il sera autorisé à sortir dès demain. Il n’y a plus aucune raison médicale de le garder ici et ils ont besoin de libérer la chambre. Qui plus est, aucune charge judiciaire n’a été retenue contre lui.

  • De quoi m’accusait-on ? questionne-t-il, sincèrement surpris.
  • Je… Je ne sais pas si… commence Ma.
  • Je tiens à le savoir. S’il te plaît Ma, insiste-t-il.

Une lueur s’est alors allumée dans ses yeux. Tristan a soif de vérité. Il recherche son passé. Qui sommes-nous pour le lui cacher ? C’est vrai qu’il n’a pas été facile mais ça fait partie de lui. De ce qu’il est. De ce qu’il deviendra. Je serre l’avant bras de Ma pour lui faire comprendre. Elle me regarde, l’air partagé et peiné, avant d’hocher la tête. Elle raconte donc à Tristan ce que l’inspecteur Hérault a découvert.

Son visage s’est fermé. Ça y est : il a appris que sa propre mère a tenté de le tuer. Je n’ose même pas imaginer son ressenti en ce moment. Il ne pleure pas. C’est pire : il n’exprime rien. Ni haine. Ni rage. Ni colère. Ni tristesse. Comme si quelque chose s'était brisé. Le silence se prolonge dans la petite pièce. Ma me regarde l’air de dire “tu vois, je savais qu’il n’était pas prêt !”

Si. Si, il l’était. J’en suis persuadé. Seulement… Comment le croire ? Comment croire que votre propre mère… Celle qui vous a donné la vie, celle qui est censée vous chérir, vous aimer… puisse vouloir vous tuer ? Et de cette manière qui plus est ?

Tristan semble se déchirer, se déliter petit à petit sous mes yeux impuissants. Je me lève de ma chaise de plastique pour m'asseoir près de lui. Il est amorphe. Ma retient ses larmes du mieux qu’elle peut. Je passe mon bras sous celui de mon petit lion et attrape sa main. Nos doigts s’entrelacent naturellement. Il pose sa tête contre mon épaule et finit par murmurer :

  • Pourquoi ? Pourquoi Rey ? Qu’est-ce qui a pu la pousser à faire ça ? À vouloir ma mort ? Qu’est-ce que je lui ai fait ?

Ma étouffe un sanglot. C’en est trop pour elle. Elle essaie de paraître forte, pour Tristan, et je sais que cela lui coûte des efforts. Elle s’approche de nous et pose sa main sur les nôtres.

  • Quelque soit la faute que tu aurais pu commettre, Tristan, elle n’avait pas à… à faire cela. Tu es la victime dans l’histoire. Pas le coupable.

Tristan la regarde : à ses yeux, je comprends qu’il doute des paroles de Ma. Pourtant, non seulement elles sont pleines de sagesse mais elles sont aussi véridiques. Mon petit lion serre ma main de plus en plus fort, jusqu’à planter ses ongles dans ma chair. Lorsqu’il reprend la parole, c’est d’une voix chevrotante :

  • Ma… Je t’en prie… Si tu sais quelque chose… Dis-le moi. Une semaine. Cela fait presque une semaine que je suis réveillé et que… rien ne revient. C’est beaucoup trop difficile de vivre dans le noir. De vivre sans savoir qui je suis. D’où je viens. Je… Je veux connaître la vérité. Même si elle est dure. Je ne sais pas si je serai capable de continuer ainsi…
  • Tristan… Bon. Je reviens.

Ma sort de la chambre. Moi, je retrouve le Tristan d’il y a six mois. Le Tristan désespéré. Le Tristan fragile. Le Tristan… dépressif. Or… Je ne veux pas. Je ne veux plus jamais voir ces Tristan-là. Il s’est recroquevillé sur lui-même et me paraît en cet instant beaucoup plus fragile qu’une fleur à peine éclose. Mes larmes coulent toutes seules. Tristan les sent et lève la tête. Nos mains se séparent et il la pose sur ma joue pour les essuyer du pouce.

  • Ne pleure pas pour moi… Je ne le mérite sûrement pas…

J’ai envie de le gifler.

Tu mérites que l’on pleure pour toi. Tu mérites que l’on s’occupe de toi. Tu mérites que l’on s’inquiète pour toi. Tu mérites tout cela. Tu comptes tellement pour moi. Tellement.

Voilà ce que j’aimerai lui hurler. Mais je me tais. Je me tais et laisse mes larmes couler. Je ne peux que prendre sa main et l’embrasser de la paume au bout de ses doigts. Plus rien n’existe à part nous. Ses yeux reflètent une immense tristesse, tristesse que je veux effacer.

Je ne peux m’empêcher de le serrer dans mes bras.

Je l’ai presque pris sur mes genoux sans avoir réfléchi. Mes bras se sont passés sous les siens et se sont rejoints dans le creux de son dos avant de le soulever pour le presser contre mon torse. Il semble estomaqué car il ne réagit pas et a même un petit hoquet.

Je ne veux pas le regarder. J’ai peur de voir ce que cachent ses prunelles à cet instant précis. J’enfouis mon visage à la base de son cou et le plus doucement du monde, j’effleure sa clavicule de mes lèvres comme si je ne le faisais pas exprès.

Tout à coup, ses bras m’enveloppent… Ils sont de part et d'autre de mon propre cou et il pose sa tête sur mon épaule, ses lèvres juste sous mon oreille. Ses cheveux me chatouillent… Je sens son souffle chaud contre ma peau. Je le serre un peu plus fort et sourit. Nous restons ainsi… quoi ? Une minute ? Une heure ? Aucune idée. J’ai le corps frêle de mon petit lion contre moi et je savoure cette sensation de pur bonheur.

Je sens qu’il veut que je le libère. Je le fais à contre cœur et le plus lentement possible. Il ne me regarde pas : ses yeux restent obstinément baissés, comme s’il était gêné. Ses joues se sont légèrement teintées de rose. Il descend de mes genoux… et je ne sais plus où me mettre. Je me passe une main sur le visage pour essayer d’effacer ma propre rougeur. Mes oreilles me brûlent. Je fais mine de descendre du lit et…

  • Tu comptes aller où comme ça ?
  • Euh… Je… bégayais-je.
  • Se pourrait-il que le grand Rey ait eu peur de notre proximité soudaine ? me fait-il, le sourire taquin malgré ses yeux éteints.

Je rêve ou il utilise la carte du sarcasme contre moi ?

Il regarde partout sauf dans ma direction. On se demande qui est le plus gêné des deux. Je ne peux m’empêcher de secouer la tête avant de sourire à nouveau. Ces montagnes russes vont finir par avoir ma peau.

  • Oh ! Pas besoin de me servir mon sourire démono-carnassier préféré !

Préféré hein ?

Une fois n’est pas coutume, je me passe une énième main dans les cheveux : c’est si frustrant de ne pouvoir rien dire ! Une vraie torture… Si seulement il savait l’effet qu’il me fait, ce que ses paroles ont comme pouvoir… J’ai l’impression d’avoir une bombe à la place du cœur dont le minuteur tantôt s’affole, tantôt redevient normal, tantôt s’arrête… Que se passera-t-il lorsqu’il explosera ? Quels en seront les dégâts ?

  • Plus sérieusement… me chuchote-t-il. Merci Rey… Tu as réagi exactement comme il le fallait… J’en avais… Besoin…

Son dernier mot a à peine été murmuré. Encore une fois, il a les yeux baissés. Je la relève pour planter mon iris dans les siennes.

  • Besoin hein ? fais-je, joueur.
  • Oh ! Mais ne prends pas le melon mon petit Rey… me répond-il, en me claquant la main.

Si j’avais un instant espéré entendre mon surnom, ma joie ne fut que de courte durée… mais je n’ai pas le temps de lui répondre : Ma est revenue. Dans ses yeux brille une lueur de certitude : elle m’apparaît plus forte, comme si elle s’était préparée pour je ne sais quelle bataille.

  • Tristan. Tu es bien sûr ? Tu veux connaître la vérité ?
  • Oui, Ma. Je viens d’avoir… Mmmmh… Une dose surpuissante de courage avant que tu ne rentres.

Le regard surpris de Ma passe de Trist à moi et inversement. Elle nous sourit de manière énigmatique et ne relève pas la remarque de mon petit lion. Elle a voulu être sûre d’avoir le “droit” de tout révéler à Tristan : elle est donc allée demander conseil au médecin. Ce dernier préfère avoir l’avis du psy avant…

  • Ma. C’est ma vie. Mon passé. Je suis en droit de le savoir. Je n’ai pas besoin d’attendre l’avis d’un tel ou d’un tel.

Il se tient droit prêt à affronter la vérité, quelle qu’elle soit. Personnellement, je n’en mène pas large… Sera-t-il réellement capable d’encaisser tout ça ?

Ma commence alors son récit : la mort de son père, les difficultés de sa mère à surmonter cette perte, quelques-uns de ses déboires au collège… Pour enfin arriver à la première tentative de meurtre et l’origine de sa cicatrice. Plus elle avance dans son passé, plus Tristan se referme. Je ne sais pas comment l’expliquer mais… c’est comme s’il rassemblait les morceaux d’un puzzle petit à petit.

Un puzzle pas très beau. Mais qui reste le puzzle de sa vie.

Puis elle raconte comment Arnold l’a rencontré. Je ne connais pas cette partie de l’histoire et bois donc ses paroles.

Apparemment, Arnold intervenait dans le centre pour jeunes où était Tristan à cause d’une fille qui a essayé de se suicider en sautant par la fenêtre. Une fois la gamine mise en sûreté, il était retourné voir le directeur pour les derniers papiers.

Tristan était dans le jardin : nous étions au début du printemps et les températures étaient encore fraîches. Ce qui a choqué Arnold de prime abord c’était la maigreur de Tristan et surtout toute la violence que ce petit corps contenait. Il était vêtu d’un T-shirt léger et d’un pantalon de jogging et… frappait dans un tronc d’arbre de toutes les forces que ses muscles atrophiés pouvaient donner.

Ses mains étaient en sang et son visage n’exprimait ni douleur, ni haine. Il n’exprimait aucun sentiment. Arnold n’a pas pu s’empêcher d’intervenir : par la suite, il a avoué à Ma que ce n’était pas seulement son sens du devoir qui l’avait poussé à saisir Tristan à bras le corps mais bien son appel à l’aide silencieux. Il était tellement puissant ! Mon petit lion s’est évanoui dans ses bras.

Arnold a cherché à savoir qui il était, quelle était son histoire : cette dernière l’avait touchée énormément. Le soir même, il en discuté avec Ma. De fil en aiguille, ils ont pris la décision de l’adopter malgré les quelques réticences qu’ils avaient au sujet de sa médication.

  • Ma… médication ? demande Tristan, relevant sa tête pour la première fois.

Ma se plaque une main sur la bouche. Je crois bien qu’elle voulait taire cette information.

  • Madame, les heures de visite sont terminées.

Sauvé par le gong. Enfin, je crois. C’est l’infirmière de tout à l’heure. Je regarde Tristan. Je ne crois pas qu’il soit en état de rester seul. Il a les yeux baissés et à nouveau… son visage est neutre. C’est beaucoup à encaisser d’un seul coup. Il semble perdu dans le vague, à la recherche ne serait-ce que d'une bribe de souvenir.

Je me lève doucement, prêt à quitter la chambre et il attrape ma main presque inconsciemment. La serre fort. Je crois que le message est clair. Il ne veut pas que je parte. Et je vais réaliser son souhait.

Personne ne me fera quitter cette chambre. Personne.

L’infirmière nous regarde et une lueur de tendresse passe dans ses yeux verts. Elle escorte Ma jusqu’à la porte, lui chuchote quelque chose à l’oreille. Elles se sourient, complices.

  • Je vais raccompagner Mme Renaud à la sortie. Soyez sages tous les deux ! nous dit l’infirmière, en me faisant un clin d'œil tellement appuyé que s’en est ridicule.

Message reçu.

Elle souhaite que je sorte Tristan de cette chambre. La porte se referme doucement, nous plongeant dans une semi-obscurité : Ma a éteint la lumière au passage. Je décide de prendre les devants : je desserre la main de Trist et entrelace nos doigts. De mon pouce, je lui caresse le dos de la main. Je lève son visage vers moi et pose mon front contre le sien.

Ça y est, il réagit.

Je le vois se reconnecter à la réalité. Ses pupilles se rallument doucement et… sa respiration s’accélère ? Non… Je dois prendre mes désirs pour la réalité. Sa bouche est si proche de la mienne ! Je ne peux m’empêcher de passer une langue gourmande sur mes lèvres desséchées.

  • Je… J’ai besoin de nicotine… Tu m’accompagnes ?

Il semble réfléchir. Mais à quoi ?

  • Je… J’arrive.

Il se lève lentement et attrape son oreiller, son drap de lit et sa couverture. Je le regarde, étonné. Il me tend la main : après une brève hésitation, ne sachant pas exactement ce qu’il désire, je la prends et il entrelace nos doigts. Nous prenons la direction du toit.

  • Tu crois vraiment qu’on a le droit d’y être ? demandai-je.
  • Aucune idée et je m’en fiche… Tout, sauf être dans cette chambre.

Le ton employé est vindicatif. Il pénètre sur le toit : je maintiens quand même la porte. Si elle se ferme, nous serons coincés là. Mon petit lion me regarde : ses yeux sont remplis de défis.

Cap ou pas cap de lâcher cette porte ?

C’est ce que ses prunelles et son sourire en coin me disent. J’enlève ma main et le battant se referme avec fracas. Son sourire s’élargit. Il regarde autour de lui et avise un angle, entre le parapet et le local électrique. Trist déploie le drap au sol, place son oreiller et s’y affale. Je m’approche, ne sachant pas trop quoi faire.

Finalement, je m’assois sur la rambarde et sort une cigarette. Je l’allume tout en posant mes yeux mon petit lion. Il s’est perdu dans la contemplation du ciel étoilé. Lorsque l’odeur mentholée de mon poison atteint ses narines, je l’entrevois sourire. Je l’entends murmurer…

  • Menthe, cigarette et… il manque quelque chose.

Il semble plus parler à lui-même qu’à moi. Je me demande bien ce que cette phrase veut dire. Ce n’est pas la première fois qu’il la marmonne. Il finit par s'asseoir et me fixe.

  • Tu as grave l’air d’un psychopathe à me fixer comme ça ! se moque-t-il.
  • Fais gaffe… Tu ne sais pas de quoi le psychopathe est capable, lui répondis-je sur un ton mi-moqueur, mi-menaçant.

Cette fois-ci je n'ai pas rêvé. Je l’ai bien vu déglutir avant de passer une langue sur ses lèvres. Cette réaction a ouvert toutes les synapses de mon corps. Une douce chaleur remonte le long de ma colonne vertébrale. Nous sommes seuls sur le toit d’un hôpital et personne ne sait où nous trouver.

Seigneur…

Des pensées pas très chrétiennes passent alors par ma tête. Pourquoi est-ce que je pense à ça maintenant ? À son corps… À la douceur de ses lèvres… À la chaleur qu’elles dégagaient lorsqu’elles se posaient sur les miennes…

Merde.

Il se lève et s’approche de moi. Je me sens comme une proie face à un prédateur. C’est horrible. Il se place à moins d’un mètre de moi, les mains sur la rambarde sur laquelle je suis moi-même assis. Le vent se met à souffler et s’amuse à mélanger ses mèches décolorées. Il en remet une derrière l’oreille machinalement et soupire.

Je ne peux détacher mes yeux de ce corps frêle où perce à présent une nouvelle fragilité, comme si son coeur, son esprit penchaient du mauvais côté de la balance. Il se tourne alors vers le vide et mon cœur s’accélère. Ses doigts s'agrippent sur la barre de fer et il place sa tête entre ses deux coudes. Comme s’il… prenait… de l’élan…

Doucement… Je l’entends rire. Un rire qui me fait froid dans le dos.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Angel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0