Chapitre 9

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  • Une… une mauvaise nouvelle ? demande Trist, d’une voix presque inaudible.
  • Exact. Je commence par celle-ci. Votre perte de mémoire est liée à deux facteurs : votre propre blocage mais aussi… la prise massive de vos anxiolytiques. Et je ne parle pas seulement de la période où vous étiez avec… euh… elle. Mais bien avant.

Bien avant…

Mon coeur se gonfle. Je sais que par moment il abusait de ses maudites pilules. Encore une fois, à cause de moi. Serai-je vraiment capable de prendre soin de lui comme je me le persuade ?

  • Bien avant… répète-t-il, comme en écho à mes propres pensées.

Il baisse la tête : ce mécanisme est presque devenu une habitude. C’est signe qu’il recherche quelque chose, une bribe, un souvenir… mais cela semble vain. Ma prend sa main dans la sienne. Mon petit lion relève la tête et plonge ses yeux dans l’océan maternel où je sais qu’il peut puiser une force incommensurable. J’en ai maintes fois fait les frais.

  • Et les bonnes ? demande-t-elle, une note d’espoir dans la voix.

Le médecin sourit et je décèle une pointe de fierté dans son expression.

  • M. Valère va enfin pouvoir sortir d’ici ! Nous ne pouvons soigner son amnésie mais je suis sûr, presque certain, que le retour dans un environnement familier ne pourra que lui être bénéfique.

Il nous sort les résultats de plusieurs analyses : la plupart de ces taux ont bien augmenté comparé aux premières effectuées il y une semaine. ll a même pris un peu de poids ! Bon, pas énormément mais deux kilos restent deux kilos !

  • Mme Renaud, j’ai deux recommandations à vous faire : vous allez devoir surveiller de près son alimentation et sa respiration.
  • Sa respiration ? fait-elle, complètement étonnée.
  • Oui. Une des conséquences graves du surdosage sont les difficultés respiratoires. Lors du test d’effort de ce matin, M. Valère a eu un peu de mal à suivre la cadence.
  • Je vois.

Enfin, il nous annonce que Tristan peut quitter cette chambre dès aujourd’hui, le temps de remplir les papiers. Je le revois enfin sourire. Bien que ce sourire soit nuancé d’une note de désespoir.

  • Sur ce, je vous laisse terminer votre déjeuner. Mme Renaud, voyez avec les infirmières pour les papiers de sortie. Elles seront de retour d’ici une vingtaine de minutes.

Ma acquiesce et remercie chaleureusement le docteur. Elle le raccompagne. Je regarde mon petit lion : il s’est à nouveau fermé. Les yeux perdus dans le vague, son expression est neutre, encore une fois. Lorsque Ma revient vers le lit, Tristan se met un masque mais il n’arrive pas à me duper. Je sais reconnaître son sourire factice.

  • Tristan… Es-tu prêt à rentrer à la maison ?
  • Je n’attends que ça, Ma. Je ne supporte plus d’être ici. Je veux revoir… non, voir où j’ai vécu avant… avant…
  • Ton kidnapping, achevais-je sa phrase, d’une voix déterminée.

Il lève alors les yeux vers moi et hoche la tête, peu convaincu. Nous ne terminons pas notre repas : il y a quelque chose de nouveau dans l’air. Quelque chose de lourd. D’instable. Ma finit par nous quitter pour prévenir Paps et remplir les papiers.

Nous sortons de la chambre : Trist ne veut plus y revenir. Il n’a aucune affaire personnelle à récupérer : la seule chose qui compte à ses yeux se trouve autour de son cou, m’a-t-il dit. Ces paroles, prononcées d’une petite voix, m’ont quelque peu réchauffé le cœur.

Nous finissons dans le fameux parc. Il est un peu plus de 13h00 : le soleil est haut et la chaleur insupportable. Je m’assois sous le même arbre dégarni de la dernière fois : une jambe étendue et une repliée, le dos appuyé contre le tronc rugueux. Trist est de plus en plus morose. J’ai envie qu’il me questionne mais en même temps j’ai peur de ses demandes… Il finit par s’allonger près de moi, hésite puis finalement pose sa tête sur ma cuisse.

Ma main finit sa course dans ses cheveux et je triture l’une de ses mèches. D’abord surpris, ses yeux finissent par refléter un sentiment… de… gratitude ? avant de se fermer. Nous restons ainsi en silence un petit moment jusqu’à ce que je le vois prendre une grande inspiration.

Le moment est venu.

  • Rey ?
  • Mmmh ? murmurai-je, le cœur battant la chamade.
  • Pourquoi je prenais ces pilules ?

Sa voix. Sa voix est incertaine. Comme s’il se doutait de quelque chose… Je… j’ai du mal à parler. Il ouvre les yeux et les plonge dans le mien. Sa main attrape la mienne et libère sa mèche de cheveux qui retombe doucement.

  • Réponds-moi. S’il te plaît, insiste-t-il.
  • Tu es… tu étais dépressif… Ta… Ta vie t’a complètement brisé. Tu n’acceptais pas le fait que ta mère ait essayé de te tuer… Enfin… C’est ce que je crois.
  • Pourquoi parles-tu au passé ?

Sa question reste en suspens entre nous.

Pourquoi? Parce j’ose espérer que tout cela est derrière toi, que tu réussisses à surmonter tout cela sans ces maudits médicaments.

  • Et parfois… parfois… c’était à cause de moi… Je… j’ai été un vrai connard par moment tu sais…

J’ai prononcé ces mots sans m’en rendre compte mais il fallait qu’ils sortent. Qu’il sache que moi aussi je l’ai fait souffrir. Que j’ai aussi ma part de responsabilité dans toute cette histoire. Que je suis aussi en cause pour son amnésie.

  • Tristan, je…
  • Ne m’appelle pas par mon prénom ! s’insurge-t-il.

Et là… Il me sourit. Un vrai sourire. Un sourire magnifique, plein de tendresse. J’en ai même la larme à l'œil. Sa main se pose sur mon visage. Lentement. Son geste est affectueux. Je ne peux m’empêcher d’accentuer cette caresse en pressant ma joue contre sa paume. Une larme coule et il la cueille du gras du pouce.

  • Je suis ton petit lion tu te souviens ? me murmure-t-il.
  • Comment l’oublier ? C’est impensable pour moi… Je… J’ai cru mourir durant ces six derniers mois… Tu… Tu m’as tellement manqué… mon petit lion

Il se redresse et fait quelque chose que je n’aurai jamais cru possible lorsqu’il est réveillé. Il se place à genoux entre mes jambes, attrape ma tête et la pose contre son cœur. Doucement, tendrement, il me caresse les cheveux. Puis il vient poser sa joue contre le sommet de mon crâne avant de m’envelopper de ses bras frêles. J’enroule les miens autour de lui.

Caché contre son torse osseux, je me sens bien. J’entends son cœur battre calmement. Ce n’est plus la course folle de nos premiers moments. Mais je le sens : il est là. Près de moi. Plus rien d’autre ne compte. Il finit par me détacher de lui avant d’encadrer mon visage de ses petites mains. Ses yeux sont mi-rieur, mi-sérieux.

  • Quoique tu aies pu me faire… Je ne t’en veux pas. De toute façon… Je ne m’en souviens plus !

Il se met à rire. Un rire un peu amer mais sincère. Je lui donne une claque sur l’épaule et il fait mine de souffrir le martyre. Ses yeux se plissent et il fait semblant d’avoir mal en frottant sa clavicule.

  • Plus sérieusement Rey… Je ne peux pas t’en vouloir pour des choses passées dont je n’ai absolument plus aucun souvenir ! Pareil pour ma mère. Je ne me rappelle même plus de son visage ! De plus… elle est morte, non ? Laissons les morts là où ils sont. Je suis en vie et toi aussi. C’est le plus important non ?
  • Tu n’as même pas idée…

Je ne peux m’empêcher de l’attirer près de moi. Il se débat un peu et lorsque ses yeux croisent le mien, je ne sais pas ce qu’il voit, ce qu’il y lit mais il se laisse faire. Assis entre mes jambes, je colle son dos à mon torse et passe mes bras au-dessus de ses épaules. Mes mains rejoignent les siennes et nos doigts s’entremêlent.

  • Mais qu’est-ce que… commence-t-il.
  • Chut… murmurai-je, tout près de son oreille. S’il te plaît… Laisse-moi… Reste comme ça… Juste un instant… S’il te plaît…
  • …, hésite-t-il, d’accord… Rey… Si tu veux…

Je le sens se détendre dans mes bras. Naturellement, sa tête vient se poser dans le creux de mon cou. Je l’entends pousser un soupir. Je ne veux pas analyser un soupir de quoi. Je veux juste…

Apprécier ce moment. Chaque moment.

J’inspire une grande bouffée de mon parfum préféré. De ma drogue. Tristan se laisse aller contre moi et je resserre mon emprise sur lui. Je me sens bien, apaisé. Je sais que ce moment ne durera pas, qu’il ne se reproduira peut-être pas… j’en savoure d’autant plus chaque minute, chaque seconde.

Son coeur… Son coeur bat de plus en plus vite… Peut-il aussi sentir le mien ?

Le temps passe. Je n’ose plus bouger. Comment vais-je me sortir de là ? Une pirouette ne suffira pas. Tristan ne fait rien pour se libérer non plus. Est-il aussi gêné que moi ? Mes oreilles me brûlent : je dois être rouge pivoine.

DDDRRRRIIINNNNGGGGG !

Nous sursautons tous les deux. Trist se dégage de mes bras pour que je puisse atteindre mon téléphone. Après une brève conversation, j’annonce à Trist que nous pouvons enfin rentrer à la maison. Son visage s’illumine avant qu'il ne saute littéralement de joie. Son bonheur réchauffe mon coeur. Tout la gêne s’est envolée.

Nous devons retrouver Ma devant l’entrée de l’hôpital, lui expliquai-je. Puis nous irons au motel chercher nos affaires et enfin Paps passera nous prendre avant la fin de l’après-midi : il est déjà en route.

  • Paps ? Ah… Tu veux dire… euh… Arnold c’est bien ça ?

Soudain, j’ai une idée.

  • Tu pourrais l’appeler Paps aussi : je crois que ça lui ferait un plaisir fou !
  • Tu crois ? me répond-il, les yeux ronds. C’est qu’il m’impressionne avec sa stature et en plus il a l’air tellement… tellement…
  • Tellement quoi ?
  • Je ne sais pas… mais tellement.

Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire.

  • Paps a juste des gros bras et peut-être des yeux méchants et une grosse voix… mais au fond, c’est un gros nounours.

Il me tend la main en souriant. “On y va ?” semble me dire ses yeux.

J’irai partout où tu seras, mon petit lion.


Nous finissons nos bagages aux alentours de 15h00. Tristan ne tient plus en place. Ma se moque en lui disant qu’il nous reste un peu plus de deux heures de route à faire avant de rentrer à la maison.

  • Pas grave ! Je suis enfin sorti de l’hôpital ! Tout le reste m’importe peu.

Sa bonne humeur est contagieuse : je ne peux m’empêcher de sourire. Je repense à ce moment partagé dans le parc : son corps contre le mien, mon nez dans ses cheveux… J’ai adoré. Paps finit par arriver. Il entre dans la chambre et Trist se recroqueville dans un coin, sûrement impressionné par la haute stature de ce pompier volontaire.

Arnold s’approche de Ma et l’enlace tendrement. Puis vient mon tour : j’ai moi aussi droit à mon câlin maintenant ! Ma nous regarde, le sourire aux lèvres. Je jette un œil à mon petit lion, presque caché dans un coin… Paps s’avance lentement vers lui.

  • Salut, garçon.
  • Bonjour… euh…

À ce moment-là, ses yeux cherchent le mien. Ses prunelles noisettes se fixent un instant dans la mienne : je lui articule silencieusement “tu peux y arriver”, suivi d’un sourire. Il me hoche la tête, presque imperceptiblement, avant de se lancer :

  • … Paps… chuchote-t-il.

Les yeux d’Arnold s’arrondissent de surprise puis passe de Trist à moi, au moins trois ou quatre fois. Je hausse les épaules, essayant d’avoir l’air le plus innocent possible. Paps se cache les yeux de sa large main, certainement pour masquer son trouble, puis éclate d’un rire tonitruant.

  • Je ne m’y attendais pas à celle-là Rey ! Garnement ! fait-il en se tournant vers moi.
  • Quoi ? Mais je n’ai rien fait ! protestais-je en rigolant.

Je cours me réfugier derrière mon petit lion, interposant son corps tout frêle entre Paps et moi. Trist me regarde d’un air mi-étonné, mi-paniqué. Mes mains posées sur ses épaules, je tire la langue à Paps avant de me mettre à rire. Agile comme un singe malgré sa carrure, Paps réussit à s’interposer entre mon petit lion et moi, chaque bras enserrant nos corps avec tendresse.

  • Je avais presque perdu espoir d’entendre ce terme un jour. Merci bande de chenapans. Bien que ce ne soit pas le terme exact !
  • Tu avais le choix entre ça et vioc rappelle-toi !
  • Oh toi !

Sa grosse main triture mes cheveux et je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Ma nous regarde, attendrie, limite la larme à l’oeil. Elle pose ses deux poings sur ses hanches.

  • Bon ! Ça suffit les enfants ! Nous rentrons à la maison !
  • À vos ordres mon commandant !

Paps et moi avons répondu d’une même voix. Je jette un oeil à Trist et ma joie se dissipe un peu devant son visage où se mêle un étrange maelstrom de sentiments : joie, tristesse et autre chose… Comme… Comme s’il se sentait… en trop.

Alors là, pas question !

Je profite que Paps et Ma sortent avec les valises pour encadrer le visage de Tristan entre mes mains. Ses yeux voilés s’éclaircissent petit à petit et je le vois reprendre pied dans la réalité. Ses mains recouvrent les miennes et il ferme doucement les yeux. J’ai presque l’impression qu’il me demande de l’embrasser. Mon coeur rate un battement.

Dans quel guêpier me suis-je encore fourré ?

Je déglutis : je ne sais pas si je prends mes désirs pour la réalité ou si c’est ce que Tristan veut. Mon visage se rapproche - dangereusement - du sien, mes lèvres appellent les siennes, hurlent, désespèrent de les sentir, de les toucher, de les goûter, de les dévorer.

Mais…

Je ne fais que poser mon front sur le sien. Tristan lâche un soupir, comme s’il avait retenu sa respiration. J’en suis le premier étonné.

Attendait-il vraiment que…

Son corps s’est rapproché du mien, sensiblement. Ses mains sont toujours sur les miennes. Ses yeux s’ouvrent lentement. Je distingue les pas lourds de Paps dans les escaliers. Je prends mes distances malgré moi. Je dois d’abord parler à Arnold de mes sentiments : je ne sais pas s’il va les comprendre ou même les accepter mais je dois les lui avouer.

  • Je te souhaite à nouveau la bienvenue dans cette famille de fous de mon petit lion, lui chuchotai-je.

Il rigole doucement.

  • Je crois… oui… je crois que cette famille me convient parfaitement… tant que tu restes près de moi…
  • C’est parti les garçons ! Nous n’attendons plus que vous !

Est-ce que j’ai bien entendu ?!

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