Chapitre 13
Mon cœur a cessé de battre. Je ne veux pas comprendre pourquoi il me parle de Lydia. Seigneur, il l’avait appelé son ange roux dès qu’il l’a aperçu. Je me demande bien pourquoi d’ailleurs. Je n’arrive pas à lui répondre. Ma voix s’est éteinte en même temps que tous mes espoirs. Ses yeux sont tellement inexpressifs que ça me fait peur. Il finit par détourner le regard pour le perdre au loin.
La conversation se termine. Je ne sais plus quoi dire. Son visage s’est fermé et il me paraît loin, si loin que je ne peux plus l’atteindre. Je le vois prendre la descente pour entrer dans sa chambre. Que dois-je faire ? Le retenir ? Attraper sa main ? Je fais mine de le suivre.
- Rey… Non…
Sa voix est rauque, suppliante, comme s’il se retenait de pleurer. Pourtant, lorsqu’il tourne son visage vers moi, ses yeux sont bien secs.
- Non… poursuit-il. S’il te plaît… Je… Laisse-moi seul un moment … Je… J’en ai besoin…
Mon silence est assourdissant : j’ai comme l’impression que mon cœur vient d’imploser. C’est la première fois depuis que nous nous sommes retrouvés qu’il me demande ça. La solitude. Lui qui me suppliait presque de toujours rester avec lui. Il ne veut plus de ma présence. Je ne peux que hocher la tête. Il pénètre dans sa chambre et j’entends la fenêtre se fermer. À clé.
Je reste là, sans comprendre ce qui m’arrive, ce qui nous arrive. Il veut être seul. J’ai mal, tellement mal que j’ai comme l’impression que ma poitrine va s’ouvrir. Je déteste cette douleur, je ne la comprends pas.
C’est celle du rejet.
Le ciel s’obscurcit de plus en plus. Je ne sais même pas combien de temps je suis resté sur ce toit, en ne pensant à rien, les yeux perdus dans le vide et ne ressentant qu’une immense souffrance.
- Rey ?
La voix de Ma me sort de ma léthargie : je reprends pied dans la réalité. Il fait nuit, le ciel est parsemé d’étoiles mais reste sans lune. Je me sens… étrangement vide. C’est atroce. Ce n’est même pas le même sentiment de vide que j’avais lorsque je pensais avoir perdu Tristan. Non… C’est pire. Parce que je sais qu’il n’est pas loin. Qu’il est bien là. Et que… peut-être… peut-être il ne pense même plus à moi.
- Je savais que tu serais ici. Tu descends manger ?
- Où est Trist ?
- Il est en bas… Dans le canapé… Depuis une dizaine de minutes. Vous n’étiez pas ensemble ? - je secoue la tête- Tu sais… Il me semble… bizarre… comme… distant.
Distant ?
Je descends dans le salon, sans pouvoir m’empêcher d’être morose. Ma se dirige directement vers la cuisine pendant que je m’approche de mon petit lion. Enfin si il est encore le mien… Cette réflexion me fait mal et pourtant…
Je m’assois près de lui, ses yeux n'expriment toujours rien. Je préfère encore que mille questions s’y bousculent plutôt que ce vide. C’est trop. Je ne tiendrai jamais. Comment ? Comment a-t-il fait pour supporter ça ? Comment a-t-il fait pour réussir à garder son calme pendant je me posais toutes ces questions ? Pendant que je refusais de voir ce qui était évident ?
Il est cent fois… non mille fois plus fort que moi. Je suis faible. Si son cœur devait se tourner vers Lydia… Je ne le supporterai tout simplement pas. J’ai envie de lui prendre la main mais je n’ose pas. Elles ne sont qu’à quelques centimètres l’une de l’autre mais même lui ne fait rien pour me toucher.
Je suis perdu et ne sais plus quoi faire. Dois-je faire le premier pas ? Mais pourquoi ? Nous ne sommes pas fâchés, si ?
- Cesse de te tourmenter… La réponse est plutôt claire non ? me murmure-t-il, avant de se lever.
La réponse ? Mais la réponse à quoi ?
J’ouvre la bouche pour répondre mais aucun son ne sort. Déjà, Tristan est dans la cuisine, un masque sur le visage. Il ne me trompe pas : je sais que son sourire est factice. Le dîner se déroule sans que je n’y prête aucune attention et à nouveau je touche à peine à mon assiette. Ma s’en inquiète mais je lui réponds que je n’ai pas très faim après l’énorme glace de tout à l’heure. Mon petit lion fronce les sourcils mais ne réplique pas. Je ne sais même pas si il a remarqué que je ne l'avais pas mangée.
Cette attente, cette incertitude est atroce.
STOP.
Je n’en peux plus. Bien que j’avais pris la décision d’être patient, je n’y arriverais pas. J’inspire un grand coup et essaie de me détendre, finalement, j’aurai dû aller à l’Akuma. Une bonne séance ne m’aurait pas fait de mal. Je regarde l’heure : 20h36. La salle de sport ne ferme qu’à 22h00.
Je m'excuse et sors de table, prétextant un rendez-vous tardif avec Érika. À la mention de ce nom, Tristan réagit et me regarde. Je ne supporte plus la brûlure de ses yeux. Ces prunelles que j’avais pourtant tant espérer revoir me font à présent plus de mal que de bien. Je prends mes clés et m'enfuis. Parce que c’est ce que je suis en train de faire : fuir.
Après avoir passé l’heure et demie suivante à me défouler sur un sac de boxe, je m’affale sur un banc épuisé mais - et juste un peu - rasséréné. Mes poings me font un mal de chien malgré le fait que je porte des gants.
- Ça y est ? On peut approcher du chien enragé ? demande Érika, d’une voix moqueuse. Il ne te manquait plus que l’écume à la bouche et le tableau était parfait…
Je la regarde, essoufflé, un demi sourire sur le visage. Elle rit doucement et s’assoit près de moi. Elle ne pipe mot, attendant certainement que je me calme. Ma respiration se stabilise et même si ma séance a été dure, mon coeur lui ne semble pas se remettre de cette soirée.
- Je peux te demander ce qui se passe ? La dernière fois que j’ai eu de tes nouvelles, j’apprenais que ton Tristan avait été retrouvé et que vous partiez le rejoindre…
- Mon Tristan hein…
Elle me donne un coup dans les côtes. Je me confie à elle. Enfin pas totalement : je lui tais mes sentiments et nos baisers échangés. Sinon, je lui raconte tout : l’amnésie, les tentatives de meurtres, les retrouvailles. Plus j’avance dans mon histoire, plus elle me paraît incroyable. Nous sommes vraiment passé par des moments invraisemblables.
Finalement, elle pousse un sifflement admiratif.
- C’est ta vie que tu me racontes là ou un épisode spécial du dernier FBI ? Parce que là…
- Non, non… C’est bien ce qui s’est passé. Tristan est de retour à la maison et nous faisons en sorte qu’il se sente bien afin qu’il puisse retrouver un semblant de mémoire…
- Et qu'en est-il de vous deux ?
Je la regarde, étonné. Je ne lui en avais jamais parlé. Et Trist n’est venu ici que quelques fois. Le visage d’Érika est on ne peut plus sérieux. Je baisse les yeux et soupire. Mon coeur se gonfle. L’envie de pleurer est là mais mes yeux restent définitivement secs. Par pudeur certainement.
Elle reprend la parole : c’est Ma qui lui en avait touché un mot. Bien avant que je ne lui avoue mes sentiments pour Trist. Elle avait remarqué que nous étions étrangement synchrones, mon petit lion et moi : soit nous allions bien tous les deux, soit nous étions au plus mal. Aussi, Ma avait remarqué une étrange lueur dans mes yeux - “ et je le dis texto” me précise Érika - quelque chose de nouveau.
- Je crois qu’elle a compris que tu l’aimais lorsque Tristan a disparu. Elle avait tellement peur de te perdre aussi qu’elle m’a demandé de te surveiller et de l’appeler à chaque fois que tu étais à la salle. Ça la rassurait un peu. Tu sais ce qui la terrifiait n’est-ce pas ?
- Oui… Je crois… Elle ne voulait pas que je retombe dans ma spirale de violence, pas vrai ?
Érika hoche simplement la tête. Non. Je ne serais pas retombé dans cet engrenage de toute façon. J’ai réussi à m’en sortir au prix d’un énorme effort, je n’allais pas tout ruiner aussi facilement. En revanche, c’était l’envie de vivre qui me quittait peu à peu… Mais ça, je n’osais l’avouer à personne.
À présent que Tristan semble osciller entre Lydia et moi - enfin, c’est ce que je crois - j’ai à nouveau peur. Je ne sais pas si je réussirais à l’accepter. Décidément, je suis bien faible. Moi qui me targuait d’avoir un sale caractère, voilà qu’un petit blond aux yeux noisettes a raison de toute ma volonté.
- Il le sait ? me demande Érika.
- …
Je ne sais pas quoi répondre à cette question. Est-ce que mon petit lion connait mes sentiments pour lui ? Je repense à nos baisers échangés. À nos caresses. À nos moments de tendresse. À cette phrase qu’il a prononcée cet après-midi même : peut-être pour la même raison que le mien.
Puis… À ses joues rosies lorsqu’il a vu Lydia. À son expression lorsqu’ils discutaient ensemble. À son sourire lorsqu’elle lui a pris le bras. Et enfin… à cette question : cesse de te tourmenter… La réponse est plutôt claire non ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je croyais avoir avancé mais… non. Je n’ai rien accompli du tout et cela me brise. Je ne le supporte pas.
- Bon, champion. Va falloir que tu te bouges le cul. La patience et la finesse n’ont jamais été ton fort. Tu vas donc me faire le plaisir de rentrer et de tout lui avouer.
- Tout ?
- Tout. Sinon, c’est moi qui le ferait.
Et je sais qu’elle en serait capable. Comment est toute la question. Si je ne suis pas capable de finesse, Érika l’est encore moins. Je déglutis et panique rien qu’à l’idée. Il n’empêche que je suis mort de trouille. Et s'il me rejetait ? Assis, je pose ma tête sur mes bras, entre mes genoux. Je soupire bien malgré moi.
- Dit donc, si un jour quelqu’un m’avait dit que je verrai Rey la terreur dans cet état, j’aurai… mmmhh… j’hésite entre rire et lui mettre mon poing dans la figure…
- C’est ça, fous toi de ma gueule !
Elle rit et ne me donne que dix minutes pour prendre une douche. Parler à Érika m’a fait du bien. Je file dans les vestiaires. Avec Érika, dix minutes c’est dix minutes, pas une de plus. Je n’avais pas réalisé qu’il était aussi tard. Lorsqu’elle me met enfin dehors, il est presque 23h00. J’allume une cigarette et vérifie le niveau d’huile dans ma moto. Tout est ok. En réalité, je fais ça uniquement pour retarder un peu plus mon retour.
Je prends finalement le chemin de la maison, une vingtaine de minutes plus tard, la boule au ventre. Arrivé dans l’allée, je constate que toutes les lumières sont éteintes… sauf celle du salon. Ma doit sûrement m’attendre.
Oups… Je vais certainement en prendre pour mon grade.
J’entre dans le salon et vois… mon petit lion, à demi somnolent, assis dans le sofa, mon oreiller serré contre lui. Lorsque je passe la porte, il lève vers moi des yeux fatigués et me sourit. J’en reste bouche bée. Il tapote la place à côté de lui. Je m’approche et m’assoit tout près tout en étant peu confiant.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Tu sais bien que je n’arrive pas à dormir… sans toi, me répond-il, la voix ensommeillée.
BABOUM !
Mon cœur a cogné si fort que je m’étonne qu’il ne l’ai pas entendu ou même senti. Sa tête se pose contre mon épaule.
- Mmmmh… Ça y est… tu as retrouvé ton odeur. Menthe/huile/cigarette. Un… parfum… que je mettrai… en bouteille… pour mon usage personnel…
Qu’est-ce qui passe ?
Tristan se pose une main sur le front et je le vois grimacer. Il ramène ses cheveux en arrière avant de m’avouer :
- J’ai plein d’images, Rey… Plein d’images qui me reviennent depuis cet après-midi… Tellement… que je ne sais plus distinguer le vrai du faux. Ma tête n’arrive plus à suivre et mon… coeur… non plus… termine-t-il dans un chuchotis.
Sa main cherche la mienne. Non. Ce qu’il veut c’est se blottir contre moi. Elle glisse sur mon abdomen et sa tête se loge dans mon cou. Il soupire et me dépose un baiser juste sous l’oreille. Mon bras se referme sur lui et mes lèvres effleurent son front. Sa main remonte sur ma poitrine et se pose sur mon cœur.
- Est-ce que… murmure-t-il. Je… J’ai comme… l’impression que… mmmh… Oh… Ma tête… J’ai mal… Si mal…
Je ne peux pas le laisser ainsi. Sans lui demander quoi que ce soit, je le soulève dans mes bras pour le porter jusqu’à ma chambre. Il se laisse faire volontiers et accroche ses bras autour de mon cou. Je resserre mon étreinte autour de son corps chaud et tremblant. En passant devant la chambre de Ma, la porte est entrouverte. Elle est assise sur le lit, un livre ouvert sur ses genoux. Je sais qu’elle nous a vu et peu m’importe. De toute façon, si Trist répond à mes sentiments, je ne suis pas prêt de le quitter.
Je le dépose sur le lit et m’allonge près de lui. Nous nous mettons presque automatiquement dans la position de la cuillère : je crois bien que c’est notre préférée. Il se colle à moi et je l’entends soupirer. Ce soupir est teinté de désespoir. Je sais qu’il ne somnole plus, je sens bien qu’il est parfaitement réveillé. Je pince la fine peau de son ventre et sa main attrape la mienne.
- Rey… Je… J’ai peur…
- De quoi ? Tu sais que je serai toujours là pour toi, pour te protéger.
- Non… ce n’est pas vrai. Et tu le sais très bien.
Sa voix… elle est dure tout en refermant quelque chose de fragile. Il ose douter ? Je ne le permettrai pas. Je veux qu’il se retourne. Qu’il me voit. Qu’il me regarde dans les yeux quand… je le lui avouerai. Parce que oui. Je vais le lui dire. Et ce soir.
Nous voilà face à face. Son front est posé sur le mien et ses mains sont sur ma poitrine.
- Je… commence-t-il. J’ai bien vu comment… comment Lydia te regardait cet après-midi. Et comment tu lui renvoyais son regard… Comment elle te touchait… Ça crève les yeux… Cette fille… cette fille magnifique… est complètement folle de toi. Et puis… elle est tellement belle… Entre…
Il ne finit pas sa phrase.
Je n’arrive pas à y croire.
Tout à coup, je suis en colère. Terriblement. Alors comme ça, il peut percevoir les sentiments de Lydia pour moi et pas les miens pour lui ? Incroyable. J’hallucine. Je me mets à trembler de frustration.
- Tu sais… continue-t-il. Une image m’est revenue. Une image très, même trop nette, accompagnée d’un terrible sentiment d’abandon et d’une immense tristesse.
- Laquelle ? je m’entends lui demander, la voix chevrotante.
- Une image de toi. Me tournant le dos et me disant que tu ne peux pas. Je… Je l’ai ressenti lorsque Lydia t’a pris dans ses bras. C’est… c’est comme si mon coeur… se brisait.
Toute ma colère est retombée. À la place, je sens une culpabilité monstre m’envahir. Je sais à présent que je dois tout lui dire. Il le faut. Je ne pourrais plus garder ça pour moi. Je serre sa main sur ma poitrine et la porte à mes lèvres avant de la poser exactement au même endroit. Bercé par la peur, mon cœur se met à partir au galop.
Sa main bien à plat, il ne peut que sentir mes battement désordonnés. Il lève alors les yeux vers moi et plonge ses prunelles incertaines et incrédules dans ma dualité.
- Tu le sens ? - il hoche la tête, presque imperceptiblement - à ton avis… Pourquoi est-il dans cet état ?
- … je… je ne sais pas…
- Tu ne sais pas où tu ne veux pas le comprendre ? répondis-je, un peu brutalement.
Ses yeux se ferment. Non. Ne me fuis pas. Je serre sa main un peu fort pour l’inciter à les rouvrir. Des larmes y perlent. Pourtant, je ne veux pas le faire pleurer. Je ne veux pas - plus ? - être la cause de ses larmes. Je prends une profonde inspiration.
- C’est pourtant simple. C’est parce qu’il est à toi.
- À… à moi ?
- Oui… J’ai vraiment été con mais… Depuis pratiquement le premier jour, il est à toi. J’ai mis du temps, trop de temps avant de le comprendre… Mais oui… mon coeur, mon corps, mon âme… tout… tout t’appartient mon petit lion.
Il se mord la lèvre inférieure et des perles d’eau salée glissent le long de ses joues. Je les essuie mais c’est peine perdue. Elles continuent de dévaler ses joues creuses. Son silence… Son silence m’est insupportable. Sa tête se pose contre ma poitrine et ses bras m'enlacent. Sa jambe passe par-dessus la mienne. Nous ne sommes plus que des corps mélangés.
- Tu veux dire que… que tu… tu… hésite-t-il.
Tu veux l’entendre ? Très bien. Tu vas l’entendre.
- Je t’aime.
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