Nouveau chemin 6/
Une lourde chape pesait sur les convives, qui réagirent à peine à l'arrivée des retardataires.
- Tu vas nous faire rater des opportunités...
- Tout pour toi est opportunité, tant que tu contrôles ! siffla Elisabeth. Et tout doit toujours te servir !
- Pas moi, mais la Famille. Avec ta sottise, nous n'aurons aucune chance...
- Avec ou sans ton approbation Irène, je deviendrais prêtresse.
- Tu trahis notre terre et notre sang !
- En me mettant au service de notre Déesse ? Tu délires...
- C'est toi qui sombre dans la folie ! Toutes ces démarches pour quoi ? Une voix dans tes rêves !
- Son appel, Irène... auquel je dois répondre. Voilà trop longtemps déjà que j'attends, pour accomplir le destin qu'Elle m'a choisi. Elle m'a envoyé un signe.
- Elisabeth, le baron d'Islenus est un parti plus que digne d'intérêt ! Et tu veux que je te laisse t'en détourner pour une voix dans ta tête ! Comment... comment peux-tu croire ne serait-ce qu'un instant que je te laisserais t'en détourner comme cela, pour un caprice ?
- Pardon ?
- Nous aurions l'occasion d'étendre notre influence à l'Est de la Forêt Rouge, de trouver des accords commerciaux sur ses mines et ses forgerons !
- Tu sembles oublier les hordes de gnolls et de non-morts locaux...
- Et toi les mesures de précautions...
- Je refuse, Irène. Qu'y a-t-il de compliqué à comprendre ? Non, je ne m'unirais pas à ce veuf, aussi intéressant soit-il sur le plan politique et économique, encore moins au détriment de ma foi.
Ce dialogue de sourdes se poursuivit. Parfois, les quatre aînés d'Adelin et son père tentèrent de soutenir leur mère, mais Elisabeth ne se laissa pas démonter. Sa décision était prise, la seule raison de sa présence en ces lieux était de savoir si son sang la soutiendrait, rendant honneur à leur devise, ou si elle devrait se débrouiller seule.
Adelin préféra ne pas s'en mêler. À vrai dire, si sa tante devenait prêtresse... il pourrait peut-être lui demander un service. Le fêlé regretta de ne pas posséder son propre sceau de notaire pour agir concrètement. Et tenir tête à sa mère lui coûterait bien trop cher.
L'envie de déclencher des incendies le reprit, entre deux calculs et espoirs. Confus, il perdit le fil de la conversation, ne gardant qu'une vague conscience des tons acerbes fusant autour de lui. Au fur et à mesure que les plats se succédaient, lui perdait de nouveau pied. Aussi goba-t-il son dessert pour sortir de table au plus tôt, profitant que l'invitée soit de la famille pour ne pas devoir attendre que chacun aie terminé, invoquant des devoirs à terminer.
De retour dans sa chambre, Adelin manipula la bague créée plus tôt. Portée à incandescence en un temps record, grâce à sa haute teneur en aluminium, elle prit de très nombreuses formes, d'abord grossières, puis de plus en plus détaillées et soignées. Absorbé, le mage sursauta quand on frappa à sa porte. Il jeta un coup d'œil à sa montre : neuf heures du soir. De nouveau Albin, qui ferma derrière lui.
- Alors, l'apostropha Adelin, que vont faire Mère et Elisabeth ?
- Camper sur leurs positions, mais ni l'une ni l'autre ne souhaite agir de façon irrémédiable. Je crois que chacune va réfléchir à un compromis.
Il y eut un blanc. Albin dansa sur ses pieds. Soupira.
- Tu as fait fondre ta fourchette.
- Pardon...
- Par la Lumière, fais plus attention !
Adelin lui répondit d'un air désespéré.
- Je sais que ce n'est pas intentionnel, mais tu restes non-déclaré ! Et arrête avec ton air de chien battu...
- Albin, tu crois que c'est facile, pour moi ? Ça ne l'est pour personne, je sais.
Son frère blêmissait de rage. Adelin surveilla ses poings, devina sous les manches de la veste la tension intense des muscles. Voilà bien neuf ans qu'il n'avait plus subit de coups, mais qu'il voyait les murs se cratériser. Tous deux se dévisagèrent, la tension persista plusieurs minutes... avant qu'Albin ne reprenne des couleurs et se détende légèrement. Un soupir acheva de l'exorciser.
- T'oublie pas, demain matin on s'entraîne.
Le mage tiqua. Il avait espéré passer la nuit parmi les Fêlés, tenter de passer ses pulsions... mais il doutait alors de son état pour l'entraînement.
- Je me doutais bien que tu oublierais. Je sais pas ce qui t'arrive en ce moment...
- Si on pouvait savoir...
- Je crois que tu ne dors pas assez. Tu sais, la privation de sommeil, cela fait partie des méthodes d'interrogatoire... j'en reconnais certains effets sur toi. La confusion, la fatigue, la mémoire qui laisse à désirer, la maigreur, la pâleur...
- Tu me trouves confus ?
- Tes pulsions empirent. À quand remonte ta dernière nuit de huit heures ?
Adelin fronça les sourcils.
- Des années. Ecoute, je voudrais que tu tentes de te garder une nuit de huit heures de sommeil par semaine. Je ne te dis pas que les effets seront immédiats, je crois que rien que pour se remettre de trois mois il faut compter le triple de temps. Alors toi...
- Si on veut commencer dès cette nuit, je devrais éteindre dès maintenant.
Le milicien en resta cois.
- On se doute bien que je ne peux pas continuer comme ça. Alors autant essayer. Donc... bonne nuit, et à demain matin.
- D'ailleurs...
- Entre deux et cinq heures en général, six à sept la nuit du dimanche au lundi.
Albin grimaça. Le propriétaire de la chambre se leva, rangea sa nouvelle création dans un tiroir de sa fabrication puis invita son frère à sortir. Respectant son nouvel engagement, Adelin s'imposa de chercher le sommeil à cette heure inhabituelle, pour passer bien du temps à penser au feu,
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