Nouveau chemin 11/11

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Vint un moment où Adelin cessa de se ronger. Toujours crispé, son souffle chaotique prit le rythme plus régulier de la simple angoisse. Le protocole était clair, le toucher risquait de l'achever. Déjà que son esprit était fêlé... inutile de le briser. Albin contint un grognement. Il ne désirait qu'une chose, saisir son frère, le secouer jusqu'à l'arracher à sa noirceur, l'en sortir une bonne fois pour toutes. L'empêcher de sombrer. Définitivement. Le ramener à la Lumière.
Contraint à l'impuissance, Albin attendit encore, laissa le temps à son frère d'émerger. Peu à peu, ce dernier respira plus calmement, son regard reprit un semblant de vie. Sa tête finit par toucher le sol, tandis que ses muscles se relâchaient. Son aîné tendit la main vers lui, se retint à temps. Toujours égaré.
De son côté, l'Allumé se sentait revenir peu à peu à la réalité. L'herbe fraîche et humide contre sa joue. La raideur de ses muscles. Les sons nocturnes de la forêt. L'odeur de sa propre peur écrasant tout.
Avec le temps, il reconnut la présence de son aîné, toujours le même pour l'accompagner aux moments opportuns. Adelin se sentit hors du temps. Le calme de son modèle l'imprégnait peu à peu. Tout ceci acheva de le ramener parmi les vivants. Il grogna avec faiblesse :

  • Merci...
  • ... de rien. Je ne fais que mon devoir.
  • ... avec un zèle appréciable...
  • Tais-toi. Repose-toi.

À force de volonté, Adelin parvint à s'asseoir contre son frère, tournant presque le dos à ses deux agresseurs. Les yeux clos, il s'imposa de se concentrer sur la sérénité des bois alentours.

  • J'ai si froid...
  • Adelin, tu as invoqué un second soleil. Tu le sais, que les mages n'ont pas des pouvoirs infinis. Vous n'êtes pas des dieux, vous avez vos limites.

Voyant son frère se crisper de nouveau, Albin ajouta du bout des dents :

  • Tu as du épuiser toute ta mana, tout simplement.
  • Comment... comment ça revient ?
  • Par le sommeil. Le vrai, le réparateur, pas ton strict minimum habituel.
  • Donc... demain... ou après-demain... j'aurais de nouveau accès à mon feu ?

Grognement affirmatif. Adelin en soupira de soulagement. L'envie, le besoin de manipuler des éléments incandescents recommençait à le tarauder. Mais il ne pouvait plus. Pour le moment. Un soupçon de frustration s'incrusta dans son marasme. Oh, le sentiment était puissant, mais bien moins que le choc dont il accusait le coup. Les chocs.
On venait d'essayer de le tuer. De l'amener à se parjurer. Son feu... éteint. Comme lui-même. La tête lui tourna, la terre l'aspirait, il se laissa retomber. Cette fois, il ne parvint pas à oublier la proximité de ses deux agresseurs, aussi une vague de dégoût lui permit de se reprendre.
Avec son frère, ils ramenèrent les deux Fêlés à une cache connue de la bande, avant de les planter là.

  • Comment tu te sens ?
  • ... mal.
  • Tu es sûr de vouloir rejoindre ton groupe ?
  • ... quelle heure il est ?
  • Quatre heures du matin, un peu plus.

Adelin grogna de frustration. Il l'avait dans l'os pour... eh bien pour tout. Dormir correctement, tenter en désespoir de cause d'étudier des textes de lois, prier... Son frère lui emboîta le pas sur le chemin de leur domaine, le laissant ruminer, ne sachant que dire ou faire de plus.

Finalement, Albin brisa le silence quand ils approchèrent de l'orée de la forêt.

  • Je les ferais arrêter.
  • Les Fêlés ont besoin d'eux, Albin...
  • Bon sang Adelin, ça va trop loin ! Cette fois, ils ont dépassé les bornes. Ils viennent d'essayer de te tuer, qu'est-ce qu'il te faut de plus ? Entre ça, leur projet de mercenariat... non, non, nous ne pouvons...
  • Sans chef à la tête des Fêlés, que se passera-t-il, à ton avis ? Je refuse de les perdre... j'ai besoin d'eux...
  • Tu ne sais pas ce que tu dis.

Tous deux se replièrent dans un silence lourd de ruminations et d'angoisses. Même une fois infiltrés chez eux, ils se saluèrent de loin avant qu'Adelin ne se procure quelques miettes de sommeil agité et fiévreux.

Il lui fallut trois jours, trois nuits et bien des substances apaisantes pour retrouver un semblant d'énergie et surtout son feu. À la quatrième nuit, il put enfin passer ses envies incendiaires au feu de camp des Fêlés, et apprendre que si Brise-Mains était revenu, le Dépeceur restait loin. Adelin préféra ne pas s'en soucier, plus intéressé par l'idée de laisser enfin un peu de place à sa propre fêlure, de savourer son feu.

Sur le chemin du retour, Adelin éprouva un curieux pressentiment. Il n'aurait su dire s'il s'agissait du contre-coup de son agression, de la fatigue ou de ses consommations récentes, mais une pesanteur planait, dans la forêt ou à la lisière de son esprit.

Son pressentiment s'accrut quand il ne croisa pas Albin en rentrant, mais ne modifia rien à ses intentions de dormir. Cependant, à peine changé pour saisir trois heures de sommeil, un vacarme issu des sous-sols retentit. Des imprécations, du métal, une avancée contrainte et forcée résonnait en son foyer. Cela fit jaillir toute sa famille aux portes de leurs chambres, avant de descendre au rez-de-chaussée accompagnés de leurs gardes.

Là, ils virent sortir six étrangers encadrés de miliciens, dont Albin qui fut envoyé leur faire un rapport.

  • Nous les avons surpris dans les souterrains, armés et dotés de poisons, ainsi que de drogues. Nous allons les interroger à la maison des arrêts...
  • N'est-ce pas dans nos geôles que...

Manard interrompit leur mère en lui caressant le poignet, et la dissuada d'insister du regard. Albin rétorqua avec précautions :

  • La maison des arrêts est mieux équipée pour délier des langues.

Albin rejoignit ses supérieurs, la lame au clair, guettant une tentative d'évasion des prisonniers. Le reste de la famille ne tarda pas à retrouver ses chambres respectives, laissant les professionnels veiller à leur sécurité. Tous, à l'exception d'Adelin. L'esprit confus de fatigue, son pressentiment s'accroissait, le condamnant à une nouvelle nuit blanche, l'obsédant avec les souterrains secrets de sa famille.

Foutu pour foutu, quand il se rendit compte après une absence de sa solitude, il descendit jusqu'aux catacombes familiales. Là, il se servit de sa chevalière qu'il avait oublié d'enlever pour se faufiler en des lieux où nul n'avait mis le pied depuis des lustres.

Perdu dans ces méandres à l'air lourd de poussière et d'air inerte, dans le noir insondable une fois la porte dérobée retournée à sa place, le besoin d'user de son feu le démangea. Un peu de mouvement, de beauté... de chaleur et de vie. Et dans ce noir absolu, quelque chose happa son attention.

Là ! Dansante au sol ! La Lumière ! Alors qu'elle s'acroissait, Adelin se colla dans l'ombre du mur, là où, même s'il en mourait d'envie, la lueur ne l'atteindrait pas. Le besoin de savoir quelle main illuminait ces lieux réservés à son sang l'emportait sur la folie.

Ainsi découvrit-il Bernard fils, égaré dans ces tunnels oubliés. Ce dernier ne le remarqua pas, occupé à lutter contre quelques angoisses.

L'espace d'un instant, Adelin hésita. Il pouvait faire venir les gardes, en tant qu'intrus sur le domaine de nobles, le jeune adulte pouvait être excécuté sans sommation. Ce pouvoir sur la vie et la mort pétrifia Adelin.

La tête lui tourna, tandis qu'une odeur de formol issue du passé lui revenait et le tétanisait. Non. Pour rien au monde il ne voulait condamner quelqu'un d'autre. Il parvint juste à se maîtriser pour ne pas faire de bruit. La lueur séduisante du feu avait disparu depuis longtemps, quand il trouva la présence d'esprit de retourner se coucher.

Quand sa tête entra en contact avec son oreiller, plusieurs pensées s'installaient durablement. Il n'osait quitter le monde des vivants, mais Bernard associé à Thomas pouvaient bien choisir pour lui, cela ne le dérangeait pas... les Fêlés avaient besoin d'un chef... fidèle aux idées initiales du groupe... comme lui-même...

Ces deux idées imprécises à l'origine surent prendre de l'ampleur au fil du temps, dans l'esprit fêlé de l'Allumé.

Fin

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