Quatrième morsure
Il se déchaussa, jeta son sac de sport et s'écroula sur le canapé. L'appartement baignait dans l'obscurité que seul l'éclairage des lampadaires venait troubler. Le silence régnait en maître.
Il alluma son smartphone. La lumière de l'appareil l'éblouit le temps que ses yeux s'habituent. L'écran affichait une heure moins dix. Le réveil serait difficile tout à l'heure. Il savait que ça avait été une mauvaise idée de suivre Travis dans ce bar pour fêter leur « victoire » ainsi que leurs nombreuses années d'amitié. Un dernier verre qui s'était vite transformé en petite sodomie dans la voiture d'une jolie blonde pour Travis. Son petit cul moulé dans une robe rouge n'avait eu de cesse de lui faire de l'œil pendant que la fille se trémoussait sur la piste.
Il ouvrit le dernier fichier et regarda la vidéo au volume maximal. Il observa la queue de son ami aller et venir dans la bouche de Chung-hee. Les larmes coulaient abondamment sur le visage de leur victime. Devon s'en délectait. Voir le Coréen dans cette position de soumission totale et misérable gonflait sa poitrine d'une fierté malsaine.
Une petite voix en lui lui grognait que leur acte était innommable, inhumain, criminel. Indépendamment de sa volonté, son esprit tentait de lui faire réaliser son crime. Non ! Ce n'était pas de sa faute, mais celle de Chung-hee. Il l'avait bien cherché ! Il n'avait qu'à être normal, aimer les filles comme tout homme devrait savourer les courbes féminines.
Les yeux fermés, son comparse émit un grognement appréciatif. Ses gémissements retentissaient dans le salon. Sa prise sur l'Asiatique se raffermit et son corps se crispa. Il gronda sa jouissance licencieuse. Devon eut le temps d'apercevoir Chung-hee s'écrouler sur le bitume et vomir la semence de Travis avant que la vidéo s'arrête.
Un bâillement lui échappa. Les yeux fixés au plafond, il sentait le sommeil le happer peu à peu. Il se leva et alla dans la salle de bain. Il retira son t-shirt et le balança dans la corbeille à linge sale, dévoilant un torse musclé dont le côté gauche était recouvert d'encre rouge.
Le dragon enlaçait son hôte comme un trésor jalousement gardé. Ses larges ailes l’enveloppaient de part et d’autre ; l’une couvrait ses omoplates, tandis que l’autre retombait depuis son épaule jusqu’au coude droit. Du grand dorsal sur lequel elle reposait, la queue suivait le long du flanc gauche pour venir caresser, de son extrémité, la naissance des poils pubiens. Sa gueule, enfin, occultait entièrement le pectoral droit et dardait un regard perçant, que des crocs acérés rendaient plus menaçant encore.
À travers le miroir, le garçon fixait le dragon, œil contre œil. Il avait l'impression que ses yeux orangés et luisants le scrutaient, comme s'il attendait le moindre faux pas de sa part pour lui bondir dessus. Devon caressait de ses prunelles les lignes du dessin. Il le trouvait magnifique ! Il ressentait toujours une grande satisfaction quand il le regardait.
Il termina de se déshabiller puis entra dans la cabine de douche. Le jeune homme soupira d'aise lorsque l'eau chaude cascada sur son corps. La vapeur se collait sur les parois et les murs et brouillait un peu sa vue. Lorsque ses doigts passèrent sur les cicatrices qui zébraient son dos, son regard s'assombrit et des souvenirs l'assaillirent.
Devon pouvait encore sentir le cuir glisser sur sa peau avant de s'abattre de plein fouet et de le marquer d'une brûlure indélébile. Son haleine qui puait l'alcool emplissait ses poumons, comme si elle ne l'avait jamais quitté, le suivait à chacun de ses pas. Une nausée le prit d'assaut. Des perles se formèrent au coin de ses yeux, mais Khovax les réprima aussitôt. La haine coulait dans ses veines et il envoya son poing dans le mur. Il n'était pas question qu'il pleure ! Il devait se montrer plus fort que ça ! Il ne plierait plus jamais devant quiconque !
Après s'être calmé, l'étudiant sortit de la cage de verre et s'essuya. Il chercha un caleçon propre dans son armoire, puis se vêtit d'un jogging et d'un t-shirt. Il retourna dans le salon pour prendre son téléphone, mais il n'y était plus... Devon fronça les sourcils. Il était pourtant sûr de l'avoir laissé sur la table basse... Il déplaça les coussins du canapé. Rien. C'était à en devenir fou ! Il perdait la tête ! Il n'aurait pas dû accompagner Travis ni boire tous ces shots. Où avait-il pu le foutre, bordel ?
Le manque d'éclairage ne l'aiderait pas à trouver. Il alluma. Ses yeux papillonnèrent un peu, et lorsque ses pupilles s'adaptèrent au changement de luminosité, son corps se figea.
Là, un verre à moitié rempli d'un liquide rouge était posé sur le comptoir du bar. Il s'approcha, méfiant, comme s'il s'agissait d'une bombe. Perplexe, il but une gorgée de la boisson puis courut aussitôt devant le lavabo pour recracher le contenu. Le goût âcre de fer infestait ses papilles et tordait son estomac.
— Du sang ?!
— Du O positif pour être exact. Délicieux, n'est-ce pas ?
Devon se retourna. Son cœur rata un battement. Personne. Son organe s'affolait dans sa poitrine à tel point qu'il crût qu'il s'échapperait. C'était quoi ce bordel ?!
— Qui est là ? Montre-toi, enfoiré !
Un rire psychotique retentit.
— Tant de vulgarités.
— Je ne le répéterai pas, montre-toi si t'es un homme !
Devon s'arma d'un couteau pointu de cuisine et s'avança vers le salon, ses sens en alerte. Son regard balaya la pièce, mais ne remarqua rien d'anormal. Puis c'est là qu'il le vit. Le verre désormais vide. Il écarquilla les yeux. Comment... ?!
Un souffle glacial s'échoua sur sa nuque. La chair de poule recouvrit son corps.
— L'ennui, c'est que je ne suis pas un homme...
Il se retourna et son agresseur lui asséna un coup au visage, puis un second. Il reçut un troisième à l'estomac qui l'envoya heurter le mur de plein fouet. Un cri de douleur perça le calme avant que le corps s'échoue sur le sol, le couteau tombé à quelques mètres de là.
Devon toussa, se redressa péniblement. Un mal de chien tordait tous ses membres. Ses joues le brûlaient, comme s'il avait été au contact direct avec du feu. Il effleura l'endroit où il fut frappé. Il grimaça. Le mec ne l'avait pas loupé. Le fils de pute !
Le jeune homme fit enfin face à son agresseur et se statufia, choqué.
— Chung-hee ?
Le rictus de l'individu s'élargit. Non, ce n'était pas lui. Il était bien trop effrayant pour que ce soit son insipide camarade. Même sa voix était différente. Plus cruelle. Pourtant son apparence était si semblable à celle de l'Asiatique que c'en était troublant. On aurait dit un double maléfique.
— T'es qui, bordel ? Qu'est-ce que tu veux ?
— Tu n'as pas besoin de le savoir, puisque tu ne seras bientôt plus là.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu crois que tu me fais peur ? Je suis pas une tafiole, moi.
— Détends-toi, Devon Khovax, je veux juste m'amuser un peu avec toi.
Le jeune homme parut surpris avant que la colère ne déforme à nouveau ses traits.
— Comment connais-tu mon nom ? C'est Chung-hee, c'est ça ? Il avait trop peur de m'affronter alors il t'a demandé de le faire à sa place ? Ce sale lâche !
L'assaillant rigola. Son rire lui donnait la chair de poule.
— Tu oses parler de lâcheté ?
Il disparut dans une fumée noire avant de réapparaître devant Devon. À quelques centimètres de lui, le monstre semblait encore plus dangereux. Ses yeux, tout de noir, et les sombres stries en-dessous le tétanisaient. Son sourire sardonique ne le quittait pas, mais la haine peignait désormais son faciès et vibrait dans sa voix.
— Ce que ton ami et toi avez fait à Chung-hee est immonde. Vous n'êtes rien que de la sale race, alors évite de nous faire la morale, s'il te plaît. Mais tu n'as pas à t'inquiéter, je vais me faire un plaisir de m'occuper de toi comme il faut. Et quoi de mieux après un bon apéritif, qu'un merveilleux plat de résistance ? Tu devrais te sentir honoré de me nourrir.
Il lécha sa lèvre, affamée. Le cœur de Devon se mit à accélérer.
— Un bon apéritif ?
— Bah quoi, tu ne devines pas ? À ton avis, à qui appartenait le sang ?
L'image de son meilleur ami s'imposa d'elle-même dans son esprit.
— Travis...
Il n'eut pas le temps de s'inquiéter davantage qu'il reçut un puissant coup à l'estomac. Les doigts gelés de l'assaillant encerclèrent sa gorge et le maintinrent avec fermeté contre le mur. Des crocs se plantèrent dans sa peau tendre et le vampire lui pompa le sang.
Une énergie inédite se répandit dans son corps jusqu'à la plus petite cellule. Il n'avait jamais goûté un nectar aussi délicieux. Raffiné, sucré et épicé à la fois. Il était plongé dans sa bulle invisible, coupé du monde où nul cri de sa victime n'arrivait à percer la barrière.
Devon ne cessait de se débattre. Il s'agrippait, le griffait au bras pour essayer de le faire lâcher prise, mais sa force le quittait. Sa tête tournait, ses poumons le brûlaient un peu plus à mesure qu'il se sentait proche de la mort. La victime ne savait dire depuis quand cette torture durait ; la douleur lui faisait perdre la notion du temps.
À travers cette géhenne, son instinct lui souffla de se défendre. Comme possédé, Devon envoya son genou dans l'abdomen de son agresseur. Il profita de sa surprise pour lui sauter dessus. À califourchon sur lui, il lui envoya une pluie de coups de poing.
— Enfoiré ! T'as fait quoi à Travis ?! Je vais te buter, salopard !
Il était incontrôlable. Une vraie bête. La rage prenait possession de chaque fibre de son être. Malgré les attaques, le vampire ne se départait pas de son sourire. L'euphorie coulait dans ses veines. Il n'avait jamais ressenti un tel sentiment de liberté.
D'une facilité déconcertante, il attrapa la main poisseuse d'un liquide curieusement noir et froid de Devon et le fit basculer sous lui. Il tenta de le bloquer, mais l'humain lui donna aussitôt un coup de boule. Il en profita pour se dégager de son étreinte, récupérer le couteau et le planta dans le ventre du monstre qui émit un feulement de douleur.
Un sourire satisfait s'afficha sur son visage pendant que le liquide noir coula sur sa main et vint tacher le sol.
— Alors, ça fait mal ? le nargua-t-il.
Son sourire se fana lorsque le rire du psychopathe résonna. Le vampire s'accrocha à son bras et continua d'enfoncer la lame dans son propre ventre jusqu'à ce qu'à peine quelques centimètres les séparent. Le souffle glacé du blessé s'échoua sur le visage de Devon. Un long frémissement de peur longea sa colonne vertébrale. Bordel, c'était qui ce psychopathe ?!
— Tu es fort pour un humain, je l'admets. Malheureusement pour toi, tu vas quand même mourir.
Le monstre l'attrapa alors à la gorge et l'envoya valser sur la table basse qui se brisa pour former une magnifique mosaïque. Des morceaux de verre entaillèrent le corps de la victime et ses vêtements se colorèrent rapidement de rouge. L'autre retira l'arme de son ventre où seule une tache noire marquait désormais l'endroit.
Avec un rictus pernicieux, il s'approcha en admirant sa victime qui se noyait dans sa souffrance. Un morceau de verre dans la main, il se positionna au-dessus de lui, déchira son t-shirt, puis enfonça peu à peu son arme de fortune dans la région iliaque gauche de son abdomen. Devon hurla. Son corps se tendit, sa peau vira au rouge brique et des larmes brûlèrent ses joues. Deux autres éclats se plantèrent dans la paume de ses mains puis un dans chaque flanc.
Le sang peignait cette douce peau dorée semblable à une magnifique toile de Pollock.
— Alors ça fait mal ?
Une flopée d'injures lui répondit.
— Dis-toi que Chung-hee ressentait la même chose quand ton pote lui a enfoui sa queue dans la bouche pendant que tu prenais plaisir à les filmer !
Sous les cris et les pleurs du cadavre, le vampire lécha chaque incision. Il se reput toute la nuit de ce mets particulièrement exquis.
Un grand merci à Tendris pour la description du tatouage.
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