Chapitre 7: Sororité

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Trois coups retentissent à en faire trembler les murs de la pièce. Alys sursaute dans son sommeil en grognant, porte son bras devant son visage pour émerger avec difficulté du monde des rêves où elle serait bien restée encore un peu. D’un geste las, elle pousse son oreiller afin de regarder l’heure à sa montre posée sur sa table de nuit. Une action maladroite pour la saisir l’envoie rejoindre le tapis installé à côté du lourd lit décoré d’oiseaux, enclenchant une série de marmonnements mécontents. Lorsqu’elle attrape enfin l’objet, la demoiselle constate dans un soupir renfrogné qu’il est à peine sept heures, soit beaucoup trop tôt pour se lever. Les cours au Colleg Arth Mawr ne commencent que dans trois heures et il ne lui faut qu’une petite demi-heure pour se préparer et un quart d’heure pour rejoindre sa salle de classe. Si elle est en retard, elle peut rogner un peu ce temps nécessaire , descendant sous la demi heure écoulée pour l’ensemble. C’est sûrement Meriona qui tente de la sortir des bras de Morphée. Elle a toujours trouvé, dans ses grands principes, que se réveiller après 7 h 30 n’était pas raisonnable pour une jeune fille. Une habitude dans les basses castes, probablement, qui ne la concerne pas après tout. L’adolescente se recroqueville sous son édredon, roulée en boule, les genoux contre sa poitrine. La seule technique éprouvée par elle et son feu frère à ce jour pour échapper à la gouvernante et obtenir un sursis d’une heure est de faire le mort. Elle n’insiste jamais par chance. Sauf aujourd’hui.

La porte en chêne tremble une nouvelle fois sous les coups qui viennent s’ajouter aux trois précédents. Étrange. Se serait-il passé quelque chose de grave ? Alys se redresse et se frotte les yeux, marchant, malhabile, jusqu’à l’entrée de sa chambre pour ouvrir. Ses cheveux blonds sont dans une pagaille monstre et le haut de son kimono glisse de son épaule sans qu’elle s’en aperçoive.

L’arrivée en trombe dans la pièce la réveille de manière presque instantanée. Ce n’est pas la vieille domestique qui se trouve devant la porte, mais sa sœur dans sa robe de chambre des mauvais jours. L’adolescente tique. Il y a donc effectivement quelque chose qui cloche, jamais son ainée ne divaguerait dans cette tenue à cette heure en temps normal. Prudente, Alys referme derrière elle et propose à Cerridwen de prendre place sur son fauteuil de bureau. Là encore, Cerri se pose, mais se relève aussitôt, ne tenant pas en place. Quelle chose étrange a-t-il pu se passer pour que sa sœur se détourne de sa routine de jeune fille de bonne famille tirée à quatre épingles et parfaite ?

« Qu’est ce qu’il y a, Cerri ?

— Mère ! Encore et toujours Mère !» gronde - t-elle en levant les mains au ciel. «Elle est insupportable et tellement…. Tellement… Son comportement est inconvenant. »

Les yeux d’Alys se plissent, circonspects. Certes, Eiluned n’est pas un modèle maternel des plus parfaits et irréprochables. Cependant, plus sa cadette s’assagit, plus elle se dit que sa mère n’est peut être pas aussi mauvaise que ne la décrive son ainée et son père. Maladroite, d’accord, mais dérangeante ou insupportable, le mot est un peu fort. Cela mérite d’avoir le contexte, aussi l’adolescente enjoint sa sœur qu’elle sait avare en parole de préciser son récit.

« Qu’a-t-elle fait, enfin ?

— Elle m’a contredit alors que je réprimandais une domestique, tu te rends compte ? Déjà, c’est son rôle de tenir la maisonnée et de s’assurer que le personnel se conduise correctement. Mais comme elle en est incapable, c’est moi qui dois m’en charger avec tout ce que j’ai à faire. Elle m’a fait perdre la face devant des petites gens, c’est intolérable. »

La jeune fille imagine très bien la scène, mais sait que son ainée s’agace probablement pour presque rien. Si ça avait été important, Meriona serait intervenue tout de suite, elle a des yeux partout dans cette maison. Aussi, Alys choisit-elle de détourner petit à petit la conversation pour que Cerridwen oublie un peu tout cela . Il ne faudrait pas que cette histoire remonte aux oreilles de Père. Tout devient extrêmement grave avec lui, même un micro évènement de cette sorte.

« Tu sais, je ne crois pas que mère pensait à mal…

— Mais elle ne pense jamais à mal ! Elle est… elle est… »

Alys prend la main de son ainée pour qu’elle s’apaise, celle-ci est au bord des larmes.

« Je suis persuadée que tout le monde aura oublié cela d’ici quelques heures. Tu as encore rêvé de Taliesin, hein ? »

Cerridwen détourne le regard, les yeux baissés. Il y a trois mois que leur père a fait bannir de la garde-robe de la jeune femme ses tenues sombres de deuil pour qu’elle passe à autre chose. Les cauchemars sont donc revenus plus fort encore qu’au début. Sa main libre caresse le bracelet qu’elle porte toujours à son poignet et l’adolescente esquisse un sourire réconfortant.

« J’ai un peu de temps après mes cours, tu veux qu’on sorte toutes les deux avant la réception de ce soir ? On pourrait aller aux endroits où on avait l’habitude de se rendre avec lui et allumer un cierge au temple à sa mémoire. Comme ça, tu pourras te détendre avant de prendre tes grands airs de Cerridwen Tylluanos, héritière du clan et bon parti à la recherche d’un candidat ? »

Cerri lui lance un regard noir sur la fin de sa phrase, elle sait que sa petite sœur se moque dans ses derniers mots. Alys lui tire la langue et ébouriffe ses nattes sombres.

« Bon, je suis persuadée que Meriona nous a préparé un fantastique et gargantuesque petit déjeuner et que le majordome m’a apporté le dernier Mair du kiosquier. On lira la page du courrier du cœur, la nouvelle chargée de la rubrique a une plume sarcastique et acide comme tu les aimes. Il n’y aura qu’à railler et deviner qui peut bien épancher ses problèmes de couple dans les magazines. »

L’ainée lève les yeux au ciel, mais sa colère glacée et furieuse a fondu comme l’eau gelée sous la lumière et c’est bien tout ce qui compte. Elle n’apprécie pas la voir dans ces états. Elle regrette de ne pas avoir le talent de Taliesin. Lui savait souffler le chaud et le froid sur les humeurs de Cerrydwen. Il lui manque à elle aussi, leur partie d’échecs interminable, il était son professeur. Elle essaie cependant de se convaincre qu’il n’aimerait pas les voir comme ça, à le pleurer sans s’en remettre. Un nouveau sourire triste orne les lèvres roses d’Alys qui continue avec une teinte de plaisanterie.

« Je te parie le prêt de l’épingle à chapeau que tu affectionnes tant pour une journée que tu es capable de déduire la caste des lectrices juste en regardant le ton des lettres.

— C’est facile, tu sais. Tout est dans le vocabulaire utilisé et le style ».

Cerri se redresse, époussette sa robe de chambre.

« Mets ton uniforme, petite sœur, je vais me changer et je t’attendrai dans le salon. »

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