Chapitre 24 : Filature
L’inspection a duré en tout et pour tout une grosse demi-heure durant laquelle le milicien a annoné une série de questions auquel Siarl a répondu par des monosyllabes grognons. Tesni a mis ce temps à profit ce temps pour échanger sa jolie robe colorée contre un tailleur monochrome, vieilli et passe-partout. A sa décharge, elle n’avait pas prévu de filature dans son programme d’aujourd’hui, plus de se la couler douce au bar une fois son article en papotant avec Seren. La filature, parlons en. Elle n’avait vraiment pas été de tout repos. Ce type n’arrétait pas. Il s’était d’abord rendu dans deux autres établissements. Si la visite du premier avait été , disons, bruyante et sportive, celle du second s’était plus apparentés à une visite de courtoisie, avec un gérant , oh miracle, ravi d’accueillir un milicien en ses murs. Non. Il était ravi d’accueillir « ce » milicien là. De ce qu’elle avait pu comprendre de la conversation qu’elle avait épié, l’homme , la cinquantaine , les joues rouges et le crane dégarni, avait invité son hôte à prendre place au zinc et lui avait offert un café … et une liasses de formulaire qu’elle avait déjà aperçu chez son Patron, dans le bureau . « Vraiment, Lieutenant, qu’est ce qu’ils sont allé nous inventer comme bêtise à remplir. Ils s’ennuient à ce point dans l’Administration ? Ils reçoivent pas assez de papiers comme ça ? » . Le lieutenant avait laissé échappé un rire , bu la tasse de café brûlante , pris sa voix la plus douce et expliqué en détail au gérant attentif l’art et la manière de remplirs les documents relatifs au renouvellement d’agrément pour un débit de boissons alcoolisés. C’était donc un milicien serviable, espèce aussi rare si ce n’est plus que les bon maris à Alphard. Ou alors les premières castes imbus d’eux même.
Le milicien avait ensuite salué respectueusement le personnel de l’établissement puis avait gagné le comptoir d’une petite échoppe afin de se procurer un déjeuner sur le pouce qu’il avait mangé, assis sur un banc , regardant la foule s’agiter autour de lui comme on regarde les actualités au cinéma, d’un oeil distrait mais quand même attentif. Il avait ensuite passé une bonne partie de l’après midi à flaner de ça et là, ce qui l’avait rendu compliqué à suivre en respectant toutes les règles de l’art de la filature. Visiblement, être membre des brigades sanitaires ne requérait ni investissement particulier , ni longue journée de travail. Tesni ne savait pas trop quoi en penser , de lui, de son attitude bonhomme, de sa bonne foi presque débordante. En premier lieu, elle se demandait surtout quel tête allait avoir son rapport pour le patron. Elle aurait suivi Paun le chat noir du Patron dans sa chasse aux vétements sur les fils à linge des voisins, ça aurait été bien plus palpitant. En tant que petite fille de milicien, elle avait pourtant une vague idée du métier mais ne les avaient jamais vraiment cotoyé. Sa mère avait été jugée inapte, son père était secrétaire dans une administration quelconque , elle était fille unique et son grand père , lorsqu’il avait récupéré sa garde, était déjà à la retraite et vivait de rentes acquises par la mise en place d’activités pas forcément très légales.
Notre milicien avait fini par passer la porte du quartier réservé aux militaires en fin d’après midi . Tesni avait du faire usage de son badge de journaliste et d’un prétexte bidon auprès de la sentinelle pour pouvoir continuer à le suivre. Il avait , encore, baguenauder un moment dans les rues avant de rentrer dans un bâtiments gardés par deux plantons bien armés. C’est à côté de celui ci qu’elle l’attend, depuis deux bonnes heures, au point de voir les éclairages artificiels diminués pour simuler l’obscurité d’une nuit artificielle. Elle s’est installée à la terrasse d’un café , faisant mine de travailler un article pour qu’on la laisse en paix. Tesni tapote son crayon à papier contre la tasse vide devant elle. Il ne sort toujours pas, si ça se trouve, il y avait une autre issue et il l’a emprunté pour rentrer chez lui. Dans un soupir , elle s’apprête à se lever pour payer sa consommation quand on s’assoit lourdement en face d’elle. Quand on parle de la planète …
« Désolé , déclare le milicien le plus naturellement du monde , mon supérieur m’a attrapé entre deux porte et, tu le connais, il est plutôt bavard. Je te paie un thé pour me faire pardonner. Quoi que, vu l’heure, on pourrait dîner ici. Qu’en pense-tu ?»
Tesni reste coite, la bouche légèrement entrouverte tandis qu’il lève le bras pour héler un serveur et lui demander la carte. Il ne se dépare pas de son petit sourire, ouvrant le feuillet que le garçon lui tend, attendant qu’il reparte pour reprendre la parole d’une voix calme.
« Détends toi, je suis en train de te donner une bonne raison d’être ici. Officiellement, tu es en rendez vous galant.
- … Pardon ?! , s’étrangle Tesni mais il continue sans y prêter vraiment attention.
- Dans un sens, je me sens moins coupable. La méfiance est dans les deux camps, c’est plutôt sain dans notre situation, je vous trouvais tous bien trop avenants et amicales pour être honnête. Je te conseille leur lapin au vin blanc.
-Est ce qu’il … vraiment… que nous parlions de … ça… au milieu d’ … eux… ? Susurre-t-elle, décidant à contre coeur de l’imiter, jetant à intervalle régulier des regards en coin
- Au contraire, on ne pouvait pas mieux trouver. C’est l’endroit où nous sommes les moins méfiants. J’appelle ça « l’effet quartier protégé ». On y est en sécurité , au milieu de nos semblables et loins des gens que nous surveillons , selon le rôle qui nous incombe. C’est pour ça que je ne suis pas revenu vers toi plus tôt. Tu as choisi ? »
Tesni referme la carte, dépitée. Visiblement, cet idiot l’a repéré depuis le début. « Va pour le lapin. » Marmonne-t-elle « Tu invites tout ceux qui te suivent au restaurant ou je suis une exception ?
-Je t’avoue qu’on ne m’avait jamais suivi. Aux douanes, j’étais toujours derrière un bureau et maintenant, à la sécurité sanitaire, ça n’aurait pas grand interet. M’attaquer aussi remarque, mais les gens ne semble pas s’en apercevoir
- Tu es milicien, brigade sanitaire ou pas, tu es aux ordres et à la bottes des dominants et ta présence bien trop souvent celui d’une comète de mauvais présages. Tu es dangereux et…
- Tout doux. Se sentir en sécurité ne signifie pas pour autant être sourd. Et ca fait beaucoup de parole anarchistes en plein milieu du temple de l’ordre. »
Il hèle à nouveau le serveur et passe commande, ajoutant deux bières aux plats demandés.
« Et puis, reprend-t-il, moi, je ne suis pas dangereux. Je ne porte pas d’arme.
- Ca aussi, on peut en parler, répond Tesni en levant les yeux au ciel. Ca ne te rend pas moins dangereux. Complètement inconscient, c’est certain. Mais jamais inoffensif. »
L’homme semble se plonger dans une longue réflexion, le regard fixé sur ses mains qui jouent avec des dessous de bock abandonné. Le silence est toujours de mise quand on leur apporte la boisson alors Tesni le chasse dés le départ du serveur.
« Et puis, bafouille-t-elle, en quoi on est louche ? Toi, t’es louche, tu ressemble vraiment pas à un milicien
- Si on était tous identique, ça se saurait. On serait une caste composée à majorité d’automate. Bon, on couterait probablement moins cher en alcool, je te l’accorde. Mais beaucoup plus cher en frais de maintenance. Et non, ma chère Tesni, nous sommes bien des humains, tous différents. Tu te rend compte, on a même un prénom chac… Aïe! »
Tesni vient de lui poser violemment la choppe de bière sur le dos de la main, elle fulmine
« Est ce que tu peux arreter cinq minutes de me prendre pour une imbécile ?! Je sais ça !
- Si tu le sais, tu semble faire très bien semblant de l’ignorer » grommelle le milicien en secouant sa main douloureuse. Il sent assez vite les regard curieux sur le couple mal assorti qu’ils forment , perçoit les murmures alors il lui prend d’autorité ses mains dans les siennes, pour conforter l’idée d’une dispute d’amoureux alors que Tesni tente de s’échapper de ce traquenard.
« Reste, s’il te plait. J’arrete de me moquer. Promis. »
La jeune femme grogne mais obtempère parce qu’une question lui brûle les lèvres.
« Alors j’écoute, en quoi on serait plus louche que toi ? »
Le milicien grimace un peu, semble sérieusement réfléchir , choisir ses mots , relache une main pour pouvoir porter son verre à ses lèvres.
« On ne se méfie pas de vous. Enfin, pas de toi , du chevalier au balai ou de Seren. Par contre, ton Patron, y’a vraiment de quoi s’interroger.
- Mais pourquoi ?! Tesni hausse les sourcils , véritablement surprise.
- Voyons voir… De ce que j’ai pu confirmer en sa présence … Il a un bon niveau de langage, il semble très éduqué, il connait beaucoup de chose sur la milice, y compris des secrets qui ne doivent pas sortir de ce quartier et de ce que dit Deneb, des informations confidentielles. Il sait se servir d’une sorcière qui compte, au point de pouvoir de l’extraction et du traitement de donnée et tromper le système de vérification des identités avec des faux papiers plus vrai que nature… Tu as bien consciente qu’il doit y avoir en tout et pour tout une vingtaine de personne qui ont son niveau de compétence ? Et aux dernières nouvelles, elles étaient toutes issues de la première caste, grassement payées et récompensées socialement, triée sur le volet. Donc une interrogation me vient . Qu’est ce qui nous dit que ce n’est pas lui la fameuse taupe que les Sagittarri recherche ? Le traitre dont leur folle de cheffe veut la peau ? Ou même pire, qu’il se sert de nous tous pour atteindre ses objectifs et devenir le prochain dirigeant autoritaire de cette planète?
- Tu te …
- Je me trompe ? De ce que j’ai vu tout à l’heure, vous lui obeissez tous au doigt et à l’oeil, sans vous poser aucune question. Tiens, tu saurais me dire pourquoi il t’a demandé de me suivre.
- Enfys avait pleine confiance en lui ! Il l’aimait et l’aime encore !
- Je ne sais pas qui est Enfys mais de ce que tu semble dire, elle n’est plus là ? Elle est morte lors de la purge non ? C’est votre ancienne patronne ? Est ce que tu as la moindre idée de ce qu’il a du abandonné juste pour pouvoir être avec elle si c’est le cas ? Elle décédée, quel interet il a de continuer ? »
Tesni frappe brusquement des points sur la table, renversant par ce geste sa choppe, prête à lui arracher les yeux si son instinct de survie ne lui avait pas rappeler qu’elle était entourée de miliciens probablement armés jusqu’aux dents.
« Ferme-là , siffle-t-elle , Ferme-là. Tu viens de prouver que tu ne sais rien de nous, de ce qui nous lie tous. Tu n’as pas la moindre idée de ce qu’on a vécu. Toi, finalement, tu as toujours eu le choix. Tu as probablement quitter les douannes en faisant volontairement une connerie. Tes actes n’ont jamais eu aucune conséquence qui pourrait affecter ta sécurité . »
Il s’apprete à répondre mais elle le coupe tout de suite
« Ferme-là, j’ai dis. Nous … Enfys… Siarl, Seren, moi … Le Patron aussi … On a jamais eu le choix … Pire même, être là, dans notre rôle, est notre seule porte de sortie pour survivre en ce monde et espérer quelques poussières de bonheur. Et comme tu l’as fait gentiment remarquer, elle n’est pas infaillible. Elle retarde juste une échéance funeste. »
Elle fouille dans son sac, sort un porte monnaie un peu maigre et pose deux billets sur la table.
« Bonne fin de soirée ! «
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